Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sur quelque banc, sur quelque travée que nous siégions, nous savons tous que l’unité de notre pays est notre bien le plus précieux. La préserver est donc notre devoir commun, quelles que soient nos différences, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Le développement de pratiques radicales, contraires aux valeurs de la République, appelle notre vigilance et notre détermination. Le projet de loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public en est l’expression.
Adopté par l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier, ce texte est aujourd’hui soumis à votre examen.
Je salue une fois de plus – l’hommage est devenu habituel, mais n’en est pas moins sincère de ma part - la qualité du travail effectué par la commission des lois et par son rapporteur. La recherche de l’intérêt général, je le sais, a prévalu sur les considérations partisanes.
Je tiens à dire que le débat parlementaire a fait, une nouvelle fois sans doute, honneur à notre démocratie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté de vivre ensemble dépend, nous le savons tous, de notre capacité à nous rassembler autour des valeurs communes et de la volonté de partager un destin commun.
Ce « vivre ensemble » entraîne par nature le refus du repli sur soi, le refus du rejet de l’autre, qui sous-tendent le communautarisme.
Vivre ensemble suppose l’acceptation du regard de l’autre.
Ce n’est pas une question de sécurité, même si elle est parfois évoquée en ces termes.
Ce n’est pas non plus une question de religion.
La France est une terre de laïcité, qui, à ce titre, assure le respect de toutes les religions. Elle garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Nous l’avons rappelé lors de la concertation que nous avons menée, le Premier ministre et moi-même, avec les responsables religieux et les représentants des partis politiques.
Le projet de loi vise d’ailleurs toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics. Ce point est important. Le texte ne stigmatise pas telle ou telle façon de dissimuler son visage, telle ou telle raison, tel ou tel prétexte invoqués pour le faire.
Vivre la République à visage découvert, c’est une question de dignité, une question d’égalité devant la République, aussi, et une question de respect de nos principes républicains.
Le principe d’une interdiction générale de la dissimulation du visage sur l’espace public est donc assorti à la fois de sanctions dissuasives et, dans la mesure où vivre ensemble suppose que chacun ait le désir de cette vie en commun, de mesures pédagogiques.
Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue, quelle qu’elle soit, destinée à dissimuler son visage.
La règle est claire, simple, logique. Elle pourrait, par certains côtés, constituer un modèle de législation, un modèle de ce que pourrait ou devrait être la loi d’une façon générale.
La portée de l’interdiction, qui a donné lieu à discussions, se déduit de son fondement juridique : l’interdiction est générale dans tout l’espace public.
Cette règle repose sur un fondement constitutionnel : l’ordre public social.
La notion d’ordre public, vous le savez tous, inclut traditionnellement trois composantes matérielles : la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Elle comprend aussi une composante sociale, ou « immatérielle », qui n’est pas moins importante.
Si l’ordre public matériel implique une proportionnalité entre le but visé et la contrainte imposée, l’ordre public social, exprimant les valeurs fondamentales du pacte social, permet, lui, de prendre des mesures d’interdiction générales.
Cette notion est explicite dans la jurisprudence du Conseil d’État, plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.
Plusieurs arrêts du Conseil d’État en ont précisé les contours. On peut citer l’arrêt Société Les Films Lutétia, de 1959, ou l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, de 1995. Cette jurisprudence, qui acte l’existence de l’ordre public social, n’est donc pas récente.
La notion d’ordre public social est présente aussi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration et celle du 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité en sont deux illustrations.
En l’espèce, pour juger constitutionnelles les interdictions de la polygamie et de l’inceste, le Conseil constitutionnel s’est appuyé, lui aussi, sur les valeurs fondamentales du « vivre ensemble ».
La dissimulation du visage sous un voile intégral est contraire à l’ordre public social, qu’elle soit contrainte ou volontaire.
Contrainte, la dissimulation du visage porte atteinte à la dignité de la personne. L’asservissement ou la dégradation de l’entité de la personne humaine sont strictement incompatibles avec notre Constitution.
Volontaire, le port du voile intégral revient à se retrancher de la société nationale, à rejeter l’esprit même de la République, fondée sur le désir de vivre ensemble.
Le voile intégral, de nombreux écrits et témoignages l’attestent, dissout l’identité d’une personne dans celle d’une communauté.
Il remet en cause le modèle d’intégration à la française fondé sur l’acceptation des valeurs de notre société et des principes de notre Constitution que je viens de rappeler.
Il exprime la volonté de mettre en œuvre une vision communautariste de la société, c'est-à-dire non égalitaire et non participative.
En ce sens, le voile intégral est incompatible avec nos principes constitutionnels.
La portée générale et absolue de l’interdiction découle de son fondement constitutionnel.
Toute mesure de police visant une atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publiques doit être strictement limitée et proportionnée au trouble. En revanche, une mesure visant une atteinte à l’ordre public social ne peut être que de portée générale et absolue.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, que j’évoquais à l’instant, l’a reconnu. Le Conseil d’État l’avait jugé préalablement.
J’ajouterai deux remarques concernant la logique de l’interdiction générale.
Premièrement, une interdiction partielle, qui serait limitée à certains lieux, à certaines époques ou à certains services, constituerait une forme d’incohérence intellectuelle ou juridique, et soulèverait des difficultés d’ordre pratique.
Elle affecterait la portée et la lisibilité de notre message. Comment en effet pourrions-nous affirmer que « le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni la dignité, ni l’égalité », si nous limitions l’interdiction aux seuls lieux publics ? Cela voudrait dire que l’on peut porter atteinte à la liberté, à la dignité, à l’égalité quand on ne se trouve pas dans un lieu « public »…
Comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commenceraient dans la gare et s'arrêteraient à sa sortie ? Car c’est à cela que cela revient ! Il faut donc, là aussi, avoir une certaine logique.
Il convient à ce propos de revenir sur un débat qu’a pu susciter l’interprétation d’un avis rendu par le Conseil d’État sur un premier texte. Si vous lisez bien cet avis, le Conseil d'État n'a pas nié l’existence d’un fondement juridique à une interdiction générale. Il relève simplement que le Conseil constitutionnel n'a pas à ce jour reconnu explicitement la notion d'ordre public social. Pour autant, il l’a reconnue implicitement à travers les deux arrêts précités.
Deuxièmement, si l'interdiction est certes générale et absolue, elle n'est pas pour autant dépourvue d'exceptions. En effet, il importe là aussi d’être pragmatique et logique. Certaines activités peuvent exiger la dissimulation du visage dans l'espace public, sans pour autant porter atteinte à l'ordre public social.
Par exemple, pour des motifs d’ordre professionnel et au titre de leur protection, certaines personnes sont amenées à porter un casque ou un masque, lesquels dissimulent leur visage. Il est évident que l’on ne va pas le leur interdire. De la même façon, des personnes peuvent être amenées, pour des raisons médicales, à porter un masque parce qu’elles sont particulièrement sensibles à tel ou tel facteur de risque.
Les exceptions peuvent également s’inscrire dans le cadre de pratiques sportives, comme l’escrime, ou bien concerner des fêtes ou encore des manifestations artistiques ou traditionnelles. Ainsi, nous avons moins de pénitents dans nos fêtes traditionnelles qu’en Espagne, par exemple, mais il en existe dans plusieurs régions de France ! Et il n’est pas question d’interdire ce type de manifestations, puisqu’elles sont au contraire destinées à établir un « vivre ensemble » qui correspond à la volonté commune.
L'interdiction ne s'appliquera donc évidemment pas à l'ensemble de ces situations, dès lors qu’elles sont compatibles avec les principes du « vivre ensemble ».
Tels sont les fondements juridiques et logiques du texte.
Il faut ensuite examiner la question des sanctions, que nous avons essayé d’adapter aux objectifs qui sont les nôtres. Nous ne voulons pas sanctionner pour sanctionner ; au contraire il s’agit d’amener des personnes qui aujourd’hui ne respectent pas les principes de la République, ou qui les ignorent, à les respecter. L’enjeu pour nous est donc autant de convaincre et de dissuader que de réprimer. Il faut notamment convaincre certaines femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral, et ceux qui les y obligeraient à accepter les règles de la vie en commun et les principes du vivre ensemble.
C’est pourquoi nous faisons une distinction selon que l'infraction résulte d’un choix volontaire ou bien d’une contrainte.
Le premier cas de figure - la personne dissimule délibérément son visage - appelle une réponse qui équilibre pédagogie et fermeté. Dans ce cas précis, le dialogue devra primer la sanction. Le texte prévoit donc une entrée en vigueur de la loi six mois après sa promulgation, ce délai permettant un effort de pédagogie à destination des personnes concernées. Et chacun a son rôle, qu’il s’agisse des associations, des mouvements religieux – pour ce qui concerne le voile intégral -, des mairies ou encore de la police. Nous avons chacun notre rôle à jouer en la matière pour faire en sorte que tous ceux et toutes celles qui portent un masque, dissimulent leur visage ou se couvrent d’un voile intégral, y renoncent spontanément.
Bien entendu, ces mesures doivent être assorties d’une sanction, car il n’y a pas de loi s’il n’y a pas les moyens de la faire appliquer. La méconnaissance de l'interdiction prévue par la loi est constitutive d'une contravention de la deuxième classe. Elle est sanctionnée à ce titre par une amende d'un montant maximum de 150 euros et un stage de citoyenneté peut être substitué à l’amende ou prescrit en complément de cette peine.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est au juge qu’il reviendra de déterminer le montant de l’amende réellement infligé, de substituer à l’amende le stage de citoyenneté ou bien de décider le cumul de l’amende et du stage de citoyenneté. C’est lui qui fixera, en fonction des circonstances et de la réitération éventuelle, la peine qui lui paraîtra la plus adaptée à la situation.
Le second cas de figure, c'est-à-dire la dissimulation forcée du visage, exige quant à lui une réponse beaucoup plus ferme. Comme je l’ai dit en introduction, la République n'admet pas les atteintes à la dignité humaine ni ne tolère l'abus de la vulnérabilité des personnes.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a, dans cet esprit, souhaité des sanctions plus fermes, et donc plus dissuasives, envers ceux qui contraignent des personnes à dissimuler leur visage. Si vous adoptez le texte tel qu’il vous est soumis, il s’agira donc d’un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant s'élever à 30 000 euros, la peine étant doublée dans le cas où la personne contrainte serait mineure au moment des faits, soit une peine de deux ans de prison et de 60 000 euros d'amende. Cela résoudrait le problème de la pression exercée sur certaines jeunes filles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'heure où nous constatons une internationalisation et une complexification de nos sociétés, les Français s'interrogent sur le devenir de la Nation et sur l’avenir de ce qu’ils sont. Notre responsabilité est de faire preuve de vigilance et de réaffirmer les valeurs que nous avons en partage et qui sont le fondement de notre volonté de vivre ensemble. Notre devoir, s’agissant de principes fondamentaux et constitutionnels, est de parler d'une seule voix pour manifester notre attachement unanime à la République, à ses principes et à ses valeurs.
L'autorité politique, juridique et morale de la Haute Assemblée en fait un garant de la stabilité de nos institutions. Il vous revient aussi de garantir la pérennité de nos valeurs, lesquelles fondent un modèle qui a fait notre pays et qui fait aussi son image, un modèle qui fonde notre pacte social et qui forge notre identité. Il nous revient d’être dignes des exigences qui sont attachées à l'honneur d'être Français et au privilège de vivre en France.