Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité recueillir l’avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans son domaine de compétence et de ce seul point de vue, sur les conséquences du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, et je l’en remercie vivement, au nom de mes collègues de la délégation.
Même si l’intitulé de ce projet de loi ne mentionne jamais les femmes, ni le voile intégral, le dispositif proposé traite effectivement, sur le fond, d’un double enjeu et défend la place de la femme dans notre société et le respect du second alinéa de l’article 1er de la Constitution.
Il est permis de s’interroger sur cette discrétion.
Un rapport du Conseil d’État sur les possibilités d’interdiction du voile intégral, publié en mars dernier, ne laisse guère de doutes sur les risques d’inconstitutionnalité d’une telle mesure.
Ce rapport évoque en revanche la possibilité juridique d’une interdiction de la dissimulation du visage au nom des valeurs républicaines qui inspirent notre contrat social. Je ne reviendrai pas sur les points qui viennent d’être excellemment rapportés par M. Buffet.
Le Gouvernement a choisi de s’engager dans cette voie, qui permet d’aboutir aux mêmes effets qu’une interdiction directe du voile intégral.
Ce choix est courageux : selon le Conseil d’État, les valeurs républicaines ne constituent pas à coup sûr un fondement juridique solide pour l’interdiction d’une pratique qui, pourtant, les bafoue. Il y a un risque contentieux, et donc un risque politique. Cependant, « la liberté et l’égalité de la femme, la protection de certaines jeunes femmes au nom de nos valeurs communes valent de prendre des risques juridiques », comme l’a affirmé sans ambages Jeannette Bougrab, présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, quand nous l’avons auditionnée sur ce texte.
Mes chers collègues, pour que les promesses d’égalité républicaine, qui sont au cœur de notre contrat social, soient tenues à l’égard des femmes musulmanes dans notre pays, nous estimons nécessaire de prendre ces risques. Car, finalement, tout l’enjeu de ce projet de loi, c’est bien l’égalité républicaine.
Par honnêteté, j’ai tenté de faire le tour de l’ensemble des raisons possibles de ne pas légiférer.
On peut dire que le phénomène, tout en s’étendant, reste marginal : deux mille femmes environ, dont beaucoup de récentes converties, porteraient actuellement le niqab ou la burqa en France.
On peut avancer le fait que certaines de ces femmes invoquent, parfois, leur libre adhésion. On peut dire aussi que la liberté de s’habiller comme on l’entend est une liberté élémentaire, et que la rue reste le lieu où celle-ci peut le mieux s’exercer.
On peut se demander par ailleurs si une interdiction n’aura pas un effet stigmatisant à l’égard de la communauté musulmane et, enfin, si elle n’aura pas pour conséquence d’exclure physiquement de l’espace public les femmes soumises au port du voile intégral.
Quelle que soit la part de recevabilité que l’on peut reconnaître à ces arguments, en tant que rapporteur et avec l’ensemble de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – je me permets d’insister sur l’importance que revêt la deuxième partie de l’intitulé de notre délégation –, nous avons choisi de les réfuter au profit d’une analyse respectueuse d’un grand principe de notre République, l’égalité entre les hommes et les femmes.
Quel est, en effet, le libre arbitre qui s’exprimerait par le choix de l’exclusion ?
Comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau, les mots esclavage et droit sont contradictoires. Autrement dit, la tradition républicaine exclut la liberté de ne pas être libre.
Quelle serait cette revendication religieuse qui conduirait à une forme de négation de soi-même en se faisant disparaître sous un voile intégral ? Comme le déclare Sihem Habchi, présidente de Ni putes Ni soumises : « La burqa, c’est le bout du bout de l’exclusion », et comme l’affirmait encore Jeannette Bougrab au cours de son audition : « Au nom d’une liberté religieuse, on ne peut exclure la moitié de l’humanité ».
Comment serait-il possible d’imaginer un sentiment de stigmatisation au sein de la communauté musulmane, alors que le port du voile intégral, importé en Europe par les courants salafistes de l’islam, est, de toute évidence, l’une de ces pratiques sectaires qui atteignent toutes les religions et que le souci de la démocratie oblige à endiguer quand il en est besoin, et je me permettrai d’ajouter, quand il en est encore temps ?
Les musulmans de France ne sont aucunement inscrits dans ces dérives sectaires, il n’y a donc aucune raison qu’ils voient ici la moindre attaque contre leur religion.
Enfin, comment justifier par l’argument des possibles effets pervers de la loi sur quelques femmes, qui se retrouveraient par l’interdiction du port du voile intégral exclues de la communauté citoyenne, ce qui constituerait en fait une non-réponse que nous proposerions à des millions de femmes françaises musulmanes, qui attendent du législateur la mise en application rigoureuse de l’égalité citoyenne dans notre pays, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État ?
Ajoutons, mes chers collègues, que la notion de société postule l’existence d’une relation entre les humains et donc d’une réciprocité entre tous ses membres. Malheureusement, nous avons la connaissance historique et l’expérience des drames universels engendrés par la négation radicale de l’autre. C’est pourquoi il nous faut rejeter ce refus de l’autre induit par le port du voile intégral et lutter pour le maintien du lien élémentaire nécessaire entre les membres de la communauté française, nécessaire à son unité.
Mes chers collègues, la conviction de notre délégation est que, par la rupture d’égalité qu’il introduit entre les femmes et les hommes, le port du voile intégral ne peut trouver sa place dans la société française.
Depuis un peu plus d’un siècle, la France a emprunté un double chemin, celui de l’affirmation de la laïcité de sa République et celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce cheminement est ardu. Le consternant symbole régressif que présente, à cet égard, la dissimulation du visage des femmes dans l’espace public ne peut que confirmer la nécessité d’éradiquer cette pratique.
En ce qui concerne le dispositif du projet de loi, nous avons, bien entendu, approuvé, pour toutes les raisons que je viens de vous exposer, la prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public ainsi que les pénalités qui accompagneront son entrée en vigueur.
Nous apprécions particulièrement tout ce qui facilitera l’information et l’accompagnement des femmes concernées. Le fait que l’amende instituée puisse être accompagnée ou remplacée par l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté est particulièrement bienvenu. Le délai de six mois fixé entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de l’interdiction de dissimuler son visage est tout aussi justifié, car cela facilitera la connaissance et l’explication des nouvelles dispositions.
J’ajoute que, dans ce délai, les structures publiques ou associatives intéressées auront la possibilité de prendre le relais du législateur afin de faire connaître et expliquer ses intentions et les prescriptions de la loi. Ce souhait est mentionné dans une recommandation adoptée par notre délégation.
Voilà pourquoi, monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a approuvé et vous demande d’approuver le projet de loi.