Intervention de Louis Nègre

Réunion du 14 septembre 2010 à 14h30
Dissimulation du visage dans l'espace public — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le débat sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public concerne non pas, de façon anecdotique, quelques centaines ou quelques milliers de personnes, mais notre société et, surtout, l’idée que l’on peut se faire de la France.

La discussion que nous avons aujourd’hui est fondamentale, car elle nous invite à nous poser des questions de fond sur la façon dont nous concevons, dans notre Nation, le « vivre ensemble » et sur les valeurs de ce « vieux pays », comme pourraient dire les Américains, qu’est la France.

Nous sommes tous, et jusqu’à maintenant, issus d’horizons très différents : sans remonter aux Wisigoths, aux Ostrogoths et autres Burgondes, notre pays est le melting pot par excellence de tribus, de races, de peuplades qui, au fil des siècles, a progressivement donné naissance sur ce territoire hexagonal à un peuple riche de la diversité de ses origines.

Au-delà des hommes, la France a été historiquement profondément façonnée par une culture judéo-chrétienne millénaire qui s’est enrichie au cours du siècle des Lumières dans sa réflexion, sa diversité et, surtout, sa tolérance au point que la Révolution française a été la première dans le monde à créer cet être original, étrange à tous égards, qu’est le Citoyen, et je l’entends avec un « c » majuscule.

Cet être asexué dont on ignore les mœurs, la religion, la couleur de peau ou les convictions politiques est le fondement de la République et donc de nos valeurs, aujourd’hui encore.

Le génie de la France, par cette invention, a permis de transcender les différences individuelles. Chers collègues, gardons-nous de porter atteinte à cette avancée de la liberté et de l’égalité !

Si quantité de pays, de nations n’ont toujours pas découvert ce symbole démocratique, la France peut néanmoins être fière de cette création porteuse des symboles d’universalisme et de fraternité qui sont nos fondements moraux.

En 1905, face aux menées cléricales de certains cercles traditionalistes catholiques, la loi de séparation des Églises et de l’État a marqué un coup d’arrêt et a confirmé le caractère laïque de notre République et son ouverture à tous, autant à ceux qui croyaient au ciel qu’à ceux qui n’y croyaient pas.

Dans le cadre de cette tradition, notre démocratie, qui n’a pas à rougir de ses valeurs – bien au contraire ! –, a le droit et le devoir de réagir à nouveau au moment où cette vision du monde façonnée par notre histoire peut être mise en cause par des actions de groupuscules qui, à l’évidence, ne partagent pas nos idéaux républicains.

Madame le ministre d’État, chers collègues, souvenons-nous qu’il y a quelques années l’union républicaine et laïque de tous a su faire face avec succès à l’offensive similaire des signes religieux dans nos écoles, au point qu’aujourd’hui - je parle sous le contrôle de tous ici - ce sujet n’est plus d’actualité.

La République a des valeurs ; elle a su faire passer le message à l’époque. Pourquoi ne saurait-elle pas le faire passer aujourd’hui ?

Cette précédente réaction nous montre la marche à suivre pour maintenir dans notre pays les valeurs qui sont les nôtres face à l’intégrisme, à tous les intégrismes, d’où qu’ils viennent, en l’occurrence, plus précisément, une forme de prosélytisme à caractère d’ailleurs plus politique que religieux.

Chers collègues, notre attitude est d’autant plus fondée que les autorités religieuses musulmanes au plus haut niveau ne rangent pas le port du voile intégral parmi les prescriptions de l’islam, ce qui montre bien que notre action est dirigée non pas contre une religion mais contre des dérives fondamentalistes, ce qui est totalement différent !

Concrètement, la dissimulation du visage heurte notre société. Les Français sont opposés pour 82 % d’entre eux à la dissimulation du visage.

Comme l’a très bien montré notre rapporteur, François-Noël Buffet, et comme l’a confirmé par ailleurs Mme Élisabeth Badinter, bien qu’elle soit de sensibilité différente, « le visage n’est pas le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vêtement du visage ».

Cette attitude, en mettant en cause la relation à autrui et la réciprocité d’un échange s’opposerait directement aux exigences du « savoir vivre ensemble », exigences qui s’imposent à chacun, quelle que soit sa confession.

De plus, au-delà de la mise en cause de la relation à autrui, la dissimulation du visage porte directement atteinte à la dignité de la personne, ce qui constitue, nous semble-t-il, une base constitutionnelle incontestable pour l’interdiction prévue, d’autant qu’elle est limitée à l’espace public, je le rappelle.

De même, le Conseil d’État a relevé que le respect de la dignité de la personne humaine fait partie intégrante de l’ordre public. Je rappelle que le 27 juin 2008 – c’est récent – le même Conseil d’État a rejeté la requête d’une Marocaine qui s’est vu refuser l’accès à la nationalité française en raison de sa pratique religieuse radicale, qui incluait le port de la burqa.

L’ordre public est également mis en cause du fait de l’impossibilité d’une identification, laquelle concerne d’ailleurs tous les modes possibles de dissimulation du visage, et toutes les justifications, alors même que les préoccupations de sécurité aujourd’hui sont maximales pour nos concitoyens.

Alors, oui, comme l’a dit M. le Premier ministre, « l’enjeu en vaut la chandelle ».

Aussi, à la lumière des différents arguments que je viens d’exposer et compte tenu des principes qui fondent notre pacte républicain et du contrat social qui nous lie tous, il me paraît plus que jamais indispensable de défendre, à travers l’approbation de ce texte, nos valeurs fondamentales et de combattre le communautarisme d’où qu’il vienne, car si celui-ci devait se développer, il porterait un coup fatal à notre modèle d’intégration à la française.

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