Intervention de Gélita Hoarau

Réunion du 14 septembre 2010 à 14h30
Dissimulation du visage dans l'espace public — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Gélita HoarauGélita Hoarau :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au début du mois d’août de cette année, l’UNESCO a classé les pitons, cirques et remparts de la Réunion au patrimoine mondial de l’humanité. Pour paraphraser le ministre chargé de l’écologie, « cette reconnaissance internationale témoigne de la place essentielle de l’outre-mer dans les richesses naturelles de la France ».

Mais la Réunion possède d’autres richesses que ses paysages et sa biodiversité : son histoire, sa culture, nées d’un brassage culturel intense.

En effet, le peuplement de la Réunion s’est fait par un mouvement continu d’immigration venant d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Inde, de Chine et des îles situées aux alentours. Ces populations diverses ont connu, sous la pression de l’esclavagisme, puis de la colonisation, un double phénomène : l’acculturation d’abord, puis la création, grâce au métissage, d’une nouvelle culture – la culture ou l’unité réunionnaise selon certains, la « civilisation créole » pour d’autres.

C’est ce métissage qui a permis à l’identité réunionnaise d’être intrinsèquement disposée à s’enrichir des apports de toutes ses composantes, indépendamment des hiérarchies sociales, culturelles et cultuelles imposées par le système.

Cette unité réunionnaise est marquée par un ciment commun constitué des éléments suivants : la langue créole et un « vivre ensemble » qui, à l’heure des questionnements identitaires, est cité en exemple.

Ce « vivre ensemble » propre à la Réunion eu égard à son histoire et qui s’inscrit dans le droit fil des valeurs républicaines est notamment fondé sur le respect des différents cultes et pratiques religieuses, qui se confondent parfois. Parmi ces religions, on compte notamment le catholicisme, l’hindouisme et l’islam.

Cet islam, venu du nord de l’Inde, a su, dès la fin du xixe siècle, intégrer ses institutions religieuses dans l’espace public réunionnais. Cette visibilité tranquille, cette intégration de l’islam au sein de la société réunionnaise a permis de préserver notre île des remous et des polémiques suscités en France continentale par le port du foulard islamique par les jeunes filles dans les établissements scolaires et autres questions concernant l’intégration des musulmans dans la société française.

Toutefois, ce « vivre ensemble » ne saurait se réduire à une image d’Épinal. Ce modèle d’unité est mis à mal pour diverses raisons. La première d’entre elles est, sans conteste, le contexte socioéconomique difficile. Comment garantir notre cohésion et maintenir la confiance dans nos valeurs républicaines quand le taux de chômage dépasse 30 % de la population active, quand les revenus de plus de 50 % de la population totale du département sont inférieurs au seuil de pauvreté ? Chacun doit être conscient que notre région est au bord de l’explosion sociale. À cela s’ajoute un déni identitaire.

Ensuite, madame la ministre, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui n’est pas non plus propre à assurer ou à encourager ce « vivre ensemble ». Il stigmatise une partie de la population en visant une pratique vestimentaire à la fois extrêmement marginale et condamnée par la quasi-totalité de celle-ci, attachée au principe de liberté de la femme.

L’application de ce texte risque donc d’être vécue par certains comme un acte d’ostracisme et de susciter, par réaction, un renforcement du fondamentalisme islamique. Au final, ce texte condamnera certaines femmes musulmanes au confinement dans le cercle familial, dans la sphère domestique.

Ce déploiement législatif semble disproportionné, seules quelques centaines de femmes étant concernées en France, et déraisonnable, au vu du fondement juridique du projet de loi, alors qu’il existe déjà des dispositions réglementaires visant à interdire, dans certains cas, le port du voile intégral, ou du moins à limiter cette pratique et à dissuader de l’adopter. C’est le cas de la loi du 15 mars 2004, qui interdit, dans les établissements scolaires publics, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ou encore de l’obligation faite aux agents publics de ne pas manifester leur obédience dans le cadre de leurs fonctions. Chaque citoyen français peut être soumis à un contrôle d’identité, qui ne peut se faire qu’à visage découvert. Se pose également le problème de l’application de ce texte.

Madame la ministre, garantir les valeurs de la République, c’est créer des conditions décentes de vie – emploi, logement, scolarité de qualité, santé – pour que chacun puisse s’inscrire dans le développement de la société. C’est aussi reconnaître le pluralisme d’une société.

C’est la raison pour laquelle je considère, madame la ministre, qu’une loi relative au sujet soulevé n’a pas lieu d’être. Aussi ne prendrai-je pas part au vote de ce texte, à l’instar de la présidente de mon groupe.

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