Madame Goulet, vous avez dénoncé à juste titre les méfaits de l’ignorance, tant sur notre territoire que dans l’ensemble du monde musulman. Lorsque j’occupais d’autres fonctions, j’ai souvent eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec les responsables d’États confrontés au détournement du Coran par certains, qui veulent lui faire dire ce qui n’y figure pas. Prenant en compte cette dimension, le projet de loi prévoit une période de six mois pendant laquelle un effort général de pédagogie sera entrepris sur le territoire national.
Bien entendu, un effort d’explication de la teneur du dispositif doit également être accompli hors de nos frontières. À cette fin, je me suis notamment rendue en Jordanie, au Qatar et au Liban. Ce travail doit être poursuivi afin d’expliciter notre conception du rapport de la personne et de l’État, parfois différente de celle qui prévaut dans d’autres pays, par exemple en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.
Monsieur Peyronnet, de façon globale, le présent projet de loi vise les tenues destinées à dissimuler le visage, sans comporter de définition précise. Telle n’est pas la vocation d’une loi. Il reviendra au juge d’apprécier chaque cas particulier. Comme plusieurs orateurs l’ont indiqué, le point important est qu’une relation visuelle avec l’autre soit possible.
Le Premier ministre et moi-même avons reçu les représentants des principaux cultes pratiqués en France. Le CFCM unanime a lui-même affirmé l’absence de lien entre le Coran et le port du voile intégral, pratique d’ailleurs interdite dans les lieux saints de l’islam, notamment lors du pèlerinage à La Mecque. Nous devons mettre en exergue cette réalité.
En fait, la véritable question est celle du communautarisme, selon lequel des règles spécifiques s’appliquent à certaines catégories de la population et peuvent dans certains cas aller à l’encontre de la norme commune. Le communautarisme est reconnu par la Grande-Bretagne ou les États-Unis, leur culture constitutionnelle étant différente de la nôtre, qui pose le principe de l’égalité de tous devant la loi, sans aucune fragmentation de la société.
Quant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est une législation turque relative à la sécurité publique qui a été visée. Or le présent projet de loi ne porte pas sur la sécurité publique, même si, bien entendu, l’application de ses dispositions pourra avoir un certain nombre de conséquences en la matière : si tel était le fondement du texte, nous encourrions effectivement un risque d’inconstitutionnalité, voire de contradiction avec les principes européens, dans la mesure où l’interdiction porterait sur l’ensemble de l’espace public. Il convient de souligner ce point important.
MM. Baylet et Gilles ont rappelé avec raison que l’islam français est républicain et respectueux des lois. Les représentants du CFCM que nous avons entendus ont d’ailleurs eux aussi insisté sur ce fait.
Le projet de loi ne stigmatise personne ; c’est dans cet esprit qu’il a été rédigé.
Monsieur Masson, il est vrai que le projet de loi peut sans doute répondre à certaines préoccupations sécuritaires, mais l’ordre public matériel n’est pas son fondement juridique, je le répète. Sur ce plan, un certain nombre de textes existent déjà, notamment le décret relatif au port de la cagoule, que j’ai moi-même signé. Notre préoccupation, en l’occurrence, est de lutter contre le communautarisme et de préserver le « vivre ensemble ».
Un tel fondement ne réglerait pas les problématiques en jeu et ne répondrait pas à notre volonté de lutter contre le communautarisme et d’assurer le « vivre ensemble ».
Madame Troendle, vous avez rappelé à juste titre que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme tient compte des traditions constitutionnelles nationales. Si elle défend la liberté d’opinion et de conscience, elle admet néanmoins que les États peuvent apporter des limitations nécessaires dans une société démocratique pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
C’est pourquoi je pense très sincèrement que le projet de loi qui vous est proposé est parfaitement compatible tant avec les principes constitutionnels français qu’avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Monsieur Nègre, comme vous l’avez souligné, le projet de loi n’est en rien un texte d’exclusion, bien au contraire : en effet, il vise à affirmer que l’on ne peut pas vivre dans une société en s’en excluant ou en étant forcé de s’en exclure et qu’il importe que l’ensemble de nos concitoyens puissent continuer à évoluer dans l’espace commun dans l’égalité et le respect mutuel. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il existe un prosélytisme à caractère plus politique que religieux, puisqu’il recouvre la volonté d’implanter une forme de communautarisme dans notre pays.
Madame Labarre, vous avez relevé la critique selon laquelle le projet de loi condamnerait certaines femmes à ne plus sortir de chez elles. Nous en avons beaucoup débattu et finalement estimé que le projet de loi pourra au contraire être le support sur lequel ces femmes pourront s’appuyer pour cesser une pratique qui les exclut de la vie en société et qui nie leur individualité. Il nous reviendra d’y veiller à la fois par la pédagogie et par la contrainte. Quant aux risques de séquestration, évoqués lors du débat à l’Assemblée nationale, il existe des moyens juridiques de lutter contre la séquestration d’une personne.
Madame Boumediene-Thiery, le débat sur le port du voile intégral n’est pas récent. Vous me reprochez souvent, lorsque je présente un texte, d’aller trop vite et de ne pas prendre suffisamment le temps de la réflexion. Or, je le rappelle, cela fait presque deux ans que le débat est ouvert, et ce n’est d’ailleurs même pas le Gouvernement qui l’a engagé ! Quand le tour d’une question a été fait, vient le moment d’intervenir et de prendre une décision.
Par ailleurs, ce débat n’a rien à voir avec celui sur l’identité nationale : il s’agit ici de l’unité nationale. Comment vivons-nous ensemble ? À visage découvert. Encore une fois, il faut éviter les amalgames, pour ne pas dénaturer l’esprit dans lequel le texte a été rédigé.
Monsieur Fortassin, comme vous l’avez affirmé, la dissimulation du visage dans l’espace public est un refus de la République, de ses valeurs et de ses principes. Je crois moi aussi que notre réponse doit être à la hauteur de ce défi. Telle est bien l’ambition du texte, que je vous remercie de soutenir.
M. Alduy a rappelé, au nom de Melle Joissains, que la dissimulation du visage dans l’espace public est une double négation : négation de la personne dissimulée, qui n’apparaît plus en tant qu’individu mais seulement en tant que membre d’une communauté, d’une part ; négation de l’autre, auquel est refusé le droit élémentaire de voir le visage de son interlocuteur, d’autre part. Tout cela est tout à fait contraire à la dignité de la personne et aux règles les plus fondamentales de notre République.
Madame Hoarau, le « vivre ensemble » est le socle commun sur lequel repose notre pacte républicain. Contribuant en cela à la lutte contre le communautarisme, il transcende nos origines, nos religions, nos croyances, nos opinions. Il est bon de le rappeler de temps en temps. Ce « vivre ensemble » unit citoyens de métropole et d’outre-mer. Vous avez mis l’accent sur certains problèmes affectant l’outre-mer. Au-delà de certaines difficultés et spécificités, il faut rappeler les principes de la République qui nous rassemblent. C’est aussi sur cette base que pourront se développer certaines actions dans différents domaines.
Monsieur Revet, nous nous connaissons de longue date. Vous savez donc combien je suis attachée depuis toujours à la lisibilité des textes, à leur simplicité, à leur concision, que ce soit dans le domaine législatif ou dans le domaine réglementaire. Je m’efforce, depuis que je suis à la chancellerie, d’apporter quelques améliorations en ce sens.
En l’espèce, le présent projet de loi me paraît très clair. Il est court, et j’ai veillé à ce qu’il soit rédigé le plus lisiblement possible. En effet, nos concitoyens doivent pouvoir comprendre la logique des lois qui leur seront appliquées. S’il pouvait en être ainsi de tous les textes, je m’en réjouirais autant que vous !
Monsieur Gilles, vous avez mis l’accent sur la nécessité de lutter contre tous ceux qui tentent d’imposer aux femmes de dissimuler leur visage dans l’espace public. Vous avez eu raison de rappeler, parallèlement, la reconnaissance par la République de toutes les religions, de toutes les philosophies, de toutes les familles de pensée : c’est notre tradition et notre honneur. La nature républicaine de l’islam de France a été réaffirmée par les représentants du culte musulman eux-mêmes.
Je terminerai en reprenant à mon compte l’heureuse formule de Mme Hermange selon laquelle le visage est rencontre. L’espace public est le lieu de cette rencontre, nous devons le préserver : c’est une question de respect de soi, des autres, de la République, c’est donc une question de respect de la France.