Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous vivons dans cette assemblée un moment particulier, celui d’un quasi-consensus pour refuser le port du voile intégral, pour affirmer que cette pratique porte atteinte à la dignité de la femme. Une telle situation est suffisamment rare pour ne pas être saluée.
Toutefois, des réponses diverses peuvent être apportées au problème soulevé.
Il convient tout d’abord de remarquer que cette question n’est pas franco-française ; elle se pose dans la plupart des démocraties. Si la Belgique et l’Espagne ont voté ou vont voter des interdictions générales du port du voile intégral, tel n’est pas le cas, notamment, dans le monde anglo-saxon, où l’on se refuse à prendre une telle mesure. Certes, madame la garde des sceaux, ces pays ont une culture différente de la nôtre, cependant personne ne pourra prétendre que le Royaume-Uni ou les États-Unis sont moins attachés que nous aux droits fondamentaux, au respect de l’égalité entre l’homme et la femme, à la lutte contre le terrorisme. Il n’en est rien, bien entendu, pourtant ils ont choisi une autre voie.
Il me semble que ce projet de loi comporte deux obscurités qui auraient peut-être pu être levées.
La première est d’ordre juridique. Nous ne savons pas encore, pour l’heure, si ce texte franchira la critique du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Certes, nous n’avons pas à nous sentir tenus par l’avis du Conseil d’État, car notre pouvoir va bien au-delà. Il n’en reste pas moins que celui-ci s’inscrit dans le respect des principes constitutionnels, sauf à changer de République.
Ces principes constitutionnels sont-ils ou non respectés ? D’aucuns affirment que l’avis du Conseil d’État du 30 mars dernier n’est pas si clair que cela. Or, à la page 17, il y est écrit : « Une interdiction générale du port du voile intégral en tant que tel ou de tout mode de dissimulation du visage dans l’espace public serait très fragile juridiquement. » Quelques paragraphes plus loin, il est souligné que le Conseil d’État ne peut recommander cette solution.
Madame la garde des sceaux, vos services se sont-ils entourés de toutes les garanties juridiques ? Vous vous appuyez sur des experts, mais leur expertise en matière de garde à vue n’a pas empêché le Conseil constitutionnel d’annuler quatre articles du dispositif élaboré en la matière…
La seconde obscurité n’est pas anodine et fera à l’avenir l’objet de discussions récurrentes. Le Gouvernement peut-il nous garantir que cette loi sera appliquée partout et à tout le monde ? Peut-il prendre cet engagement aujourd’hui ?
Les forces de l’ordre interviendront-elles place Vendôme pour dresser une contravention de 150 euros à une princesse qui descend de sa Chrysler ou de sa Mercedes pour se rendre chez un bijoutier ? Pouvez-vous vous engager sur ce point ? Pouvez-vous prendre l’engagement que, en Seine-Saint-Denis, les forces de l’ordre iront, au risque de se faire « caillasser », verbaliser une jeune fille démunie, portant le voile intégral ?
Madame la garde des sceaux, je pense que vous ne le pouvez pas. Il s’agit à mes yeux d’une loi déclaratoire, qui nous donnera à tous bonne conscience mais ne pourra malheureusement sans doute pas être appliquée. Pour cette raison, je ne prendrai pas part au vote.