Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 13 avril 2005 à 15h00
Gestion des déchets nucléaires

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Cependant, et malgré le peu de temps laissé à sa préparation, le débat d'aujourd'hui porte également sur une question capitale pour notre nation : la gestion des déchets nucléaires radioactifs.

Il en va de la fiabilité de la production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire, principale source d'électricité dans notre pays, qui regroupe plus de 850 sites où sont stockés des déchets, deux de ces sites, la Hague et Marcoule, concentrant à eux seuls 90 % de la matière radioactive.

En tant que membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai pris connaissance voilà trois semaines du rapport de nos collègues députés Christian Bataille et Claude Birraux, qui forment un duo à la compétence reconnue.

Plusieurs aspects doivent être considérés lorsque l'on parle de ces déchets particulièrement sensibles et dont la durée de vie est très longue, sujet que j'aborderai successivement sous l'angle du financement, de la compatibilité avec la directive européenne, de l'information des citoyens et, enfin, de la recherche.

Un des enjeux principaux de ce débat est constitué par la question du financement de la gestion des déchets dans le nouveau contexte concurrentiel, avec le changement de statut d'EDF et l'ouverture du capital des opérateurs du nucléaire.

Cette question n'est autre que celle de la garantie de ce financement, et elle est d'autant plus importante que des opérateurs privés - et étrangers - pourront entrer dans le capital des entreprises du secteur. On sait, par exemple, que Enel, le numéro un de l'électricité en Italie, est prêt à participer au réacteur nucléaire de troisième génération, l'EPR, et que les industries électro-intensives pourraient également contribuer au financement de ce dernier.

Nous pouvons donc légitimement nous interroger, et vous interroger, messieurs les ministres, sur les garanties de financement. Quelles formes pourraient-elles prendre ? S'agira-t-il de prises de participation ?

La question du financement se pose aussi du fait du changement du contexte concurrentiel avec l'ouverture du capital d'EDF et, à terme, de celui d'AREVA, ce qui nous amène à la question des estimations du coût du stockage des déchets en profondeur.

Entre les premières évaluations réalisées en 1996 par l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, et celles qui ont été réalisées en 2003, le coût apparaît avoir augmenté selon un rapport estimé de 1, 4 à 2, 3, la différence d'estimation correspondant à une différence de 5 milliards à 18 milliards d'euros.

Le coût effectif du stockage futur pourrait faire peser des risques sur la marge bénéficiaire d'EDF : un surcoût estimé à la valeur moyenne de 10 milliards d'euros aurait un impact de l'ordre 0, 56 euro par mégawattheure.

Par ailleurs, la Cour des comptes notait en janvier dernier que EDF était « sans doute l'entreprise française pour laquelle la traduction comptable de ses obligations de long terme est la plus délicate et le chiffrage le plus aléatoire ». De plus, « les provisions relatives aux déchets radioactifs doivent être estimées, alors que les solutions techniques de retraitement et de stockage ne sont pas encore arrêtées ». Enfin, EDF ne disposerait aujourd'hui que d'un « embryon d'actifs dédiés par rapport à la masse à financer et tout repose sur sa capacité à disposer d'actifs suffisants ».

La Cour des comptes recommandait donc de mettre en place un plan comptable particulier applicable aux entreprises de l'industrie nucléaire afin de sécuriser les moyens de financement.

Elle soulignait en outre que, sans mécanisme de sécurisation financière par le biais, notamment, de fonds dédiés, sujet dont traitera tout à l'heure Simon Sutour, « le risque existe, dans cas d'une ouverture de capital d'AREVA et d'EDF dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations de démantèlement et de gestion de leurs déchets soient mal assurés et que la charge rejaillisse in fine sur l'Etat ».

Enfin, la Cour des comptes n'a pas hésité à nous mettre en garde contre des gaspillages possibles des provisions par EDF.

Messieurs les ministres, que comptez-vous faire et quelles garanties pouvez-vous nous apporter à ce sujet ?

Dans leur rapport parlementaire, MM. Bataille et Birraux proposent quant eux la création d'un fonds de gestion dédié alimenté par les producteurs de déchets. Ils précisent que « le nouveau statut de société anonyme d'EDF, principal producteur de déchets radioactifs en France, oblige à réexaminer les modalités de financement des recherches sur la gestion à très long terme des déchets radioactifs ainsi que sur la gestion industrielle de ces derniers et à mettre en place une transition du système actuel de provisions au bilan de l'entreprise vers un dispositif pérenne et indépendant qui garantisse les financements sur une très longue période ».

Le rapport recommande ainsi de créer un mécanisme adossé à l'Etat pour garantir un financement pérenne. Un tel fonds est une nécessité du fait du changement de statut des entreprises qui « seront soumises aux contraintes à court terme des marchés financiers ».

Le fonds dédié, alimenté par les producteurs, pourrait être géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Je souscris pleinement à cette préconisation : le Gouvernement entend-il en tenir compte, notamment dans la préparation de la loi de 2006 ?

Je terminerai cette partie de mon propos consacrée au financement en rappelant que plusieurs de mes collègues, dont Bernard Piras et Simon Sutour, ont déposé en décembre dernier une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le financement des opérations de démantèlement du site de Marcoule et sur l'abondement du fonds dédié. Voilà un exemple concret des problèmes de financement auxquels nous allons être confrontés dans les décennies à venir !

La question du financement ne pourra trouver de réponse que dans le cadre législatif national et européen, la question centrale étant celle du stockage définitif ou du stockage réversible des déchets radioactifs, ce qui m'amène à la question de la compatibilité de l'approche française avec la directive européenne tendant à instituer une nouvelle législation communautaire dans le domaine de la gestion et du traitement de ces déchets, directive en cours d'élaboration et amendée par le Parlement européen, et dont la Commission européenne a proposé en septembre dernier une version révisée prenant en compte ces amendements.

La Commission européenne souhaitait faire adopter par les Etats un programme de gestion ultime des déchets, assorti d'un calendrier, impliquant que ces derniers s'engagent sur des dates butoirs en matière de programmation de gestion des déchets.

Cependant, la directive fixe comme priorité l'enfouissement géologique des déchets, alors que la France a plutôt opté pour la recherche en matière de séparation et de transmutation, la Commission européenne estimant que « le stockage en profondeur apparaît en effet comme la technique la plus sûre en l'état actuel des connaissances alors que la lenteur des progrès de la recherche sur la transmutation et le stockage en surface ne permet pas aujourd'hui d'espérer une solution industrielle dans un proche avenir ».

Il y a donc bien une différence entre l'approche de nos collègues députés et la position de la Commission européenne.

Le texte de la directive privilégie le stockage définitif. Son article 4, consacré aux programmes nationaux de gestion des déchets radioactifs, précise que « les Etats membres étudieront la possibilité de donner priorité au stockage définitif en couches géologiques profondes, en prenant en considération leurs circonstances spécifiques ». Quant à son article 5, il prévoit que le programme de gestion national contient le calendrier retenu pour la gestion à long terme des déchets radioactifs, dont la définition recouvre les déchets de faible et moyenne activité ainsi que les déchets de haute activité.

C'est en totale contradiction avec la position française issue de la loi Bataille et avec les suites qui ont été données à celle-ci dans le rapport déjà cité. La question de la réversibilité des solutions de stockage en profondeur est même l'un des axes de recherche retenus par la France et, dans le rapport Bataille-Birraux, il est considéré que le stockage géologique est incontournable mais doit être réversible.

Les Etats sont pour la plupart hostiles au concept du calendrier communautaire pour le stockage définitif, et le Parlement a supprimé la notion de calendrier communautaire pour la mise en exploitation des sites de stockage définitif.

Nous souhaiterions connaître la position du Gouvernement sur cette question et sur les contradictions entre la directive européenne et les positions françaises.

La France a-t-elle su faire valoir ses positions, et que doit-on attendre des futurs textes européens ?

Quant au site de Bure, seul site expérimental alors que la loi Bataille en prévoyait deux sinon trois, le retard constaté - l'expérimentation n'a commencé qu'en 1999 - ne permettra pas de respecter le délai de quinze ans avant la saisine du Parlement. Il convient donc d'accentuer les recherches sur la réversibilité pour assurer la complémentarité avec la séparation-transmutation et le stockage de longue durée.

C'est un enjeu considérable, car il conditionne le choix du maintien de la filière nucléaire et son acceptabilité. Les résultats de cette expérimentation doivent être publiés avant qu'une décision finale soit prise sur l'avenir de ce site.

On peut s'étonner que le rapport, publié en juin, de la commission nationale d'évaluation ait conclu que le site de Bure présentait les caractères requis pour recueillir un tel stockage, ce qui semble pour le moins prématuré et peut susciter des inquiétudes chez les populations riveraines.

Au-delà de ces questions essentielles, sur le plan tant du financement que des choix stratégiques liés, notamment, à la directive européenne, l'information de nos concitoyens est un autre point qu'il me semble indispensable d'aborder aujourd'hui.

De plus en plus sensibles à leur environnement en même temps que particulièrement attentifs aux risques industriels et technologiques, les Français exigent, à bon droit, une information exhaustive et des renseignements transparents.

Vous venez, mes chers collègues, d'intégrer la Charte de l'environnement, en particulier son article 5, dans la Constitution : la concertation est donc plus que jamais de rigueur.

A ce propos, je souhaiterais savoir où en est le projet de loi sur la transparence nucléaire. Ce texte, préparé lors de la précédente législature, devait être suivi par Mme Bachelot et il devrait l'être maintenant par vous, monsieur Lepeltier. Comme la Cour des comptes, je m'interroge - et je vous interroge - sur la non-inscription à l'ordre du jour parlementaire de ce texte, qui devrait étendre les droits à l'information du citoyen et créer un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire.

Pourquoi, messieurs les ministres, un tel « saucissonnage » s'agissant de textes portant sur des enjeux aussi importants quant à l'avenir énergétique de la France ? Aujourd'hui, une question orale avec débat - sur l'initiative, et je l'en remercie, de notre collègue Henri Revol -, demain le projet de loi d'orientation sur l'énergie : à quand le projet de loi sur la transparence nucléaire ?

La seule restriction que j'émettrai à propos du rapport de nos collègues députés concerne le rôle que ces derniers voudraient faire jouer à l'ANDRA dans l'information des citoyens.

On ne peut, en effet, être juge et partie, raison pour laquelle j'ai suggéré, lors de la présentation de ce rapport, la création d'une autorité indépendante des opérateurs. C'est un point important pour l'acceptabilité sociale, évoquée par plusieurs de mes collègues, notamment pour éviter d'entretenir des craintes irrationnelles qui pourraient devenir le fonds de commerce de certains. J'ai ainsi en mémoire un précédent rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les craintes irrationnelles suscitées par les antennes relais de téléphonie mobile ; cela pourrait se reproduire avec les laboratoires enfouis...

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, la gestion des déchets radioactifs soulève non pas une seule question mais bien plusieurs problématiques, auxquelles les politiques doivent apporter des réponses. Ces réponses, il appartient aujourd'hui au Gouvernement, messieurs les ministres, de les fournir.

Ainsi, quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux préconisations contenues dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, quels financements envisage-t-il, et comment compte-t-il assurer l'information de nos concitoyens ?

Il y a moins d'un an, un ministre nous assurait qu'il n'y aurait pas de privatisation d'EDF parce que, EDF, c'est le nucléaire et qu'une centrale nucléaire n'est pas un central téléphonique. Il ajoutait : « Un Gouvernement ne prendra jamais le risque de privatiser l'opérateur des centrales nucléaires. »

On sait aujourd'hui ce qu'il en est, et vous conviendrez, messieurs les ministres, de la légitimité de nos interrogations de l'époque comme vous comprendrez nos inquiétudes d'aujourd'hui.

Il faut que les orientations de la France en matière de stockage soient rapidement et clairement définies.

Pour ma part, j'estime qu'il faut que le traitement et l'entreposage des déchets radioactifs échappent à la logique du marché : la seule solution est qu'ils soient réalisés par une filiale à 100 % publique. C'est en effet la condition indispensable à la bonne gestion de ces déchets, dont la durée de vie dépasse tout ce que nous avons eu à gérer jusqu'alors.

La question de la gestion des déchets nucléaires rejoint aussi, sur le plan international, celle de la crédibilité de la politique énergétique de la France, qui vient de lancer le programme EPR et dont la production électrique est pour les trois quarts d'origine nucléaire. On comprend, dès lors, que les propositions de la France revêtent, par rapport à la Commission de Bruxelles, un caractère essentiel.

Jusqu'à quel point la poursuite du programme nucléaire est-elle soutenable au regard de nos engagements en matière de développement durable ? Qu'adviendra-t-il des moyens de financement à l'heure de l'ouverture du capital des entreprises contrôlées par l'Etat ? Les exploitants pourront-ils faire face à leurs obligations pour respecter le principe « pollueur-payeur », et quelles contraintes pèseront sur eux lors de l'ouverture de leur capital ?

Messieurs les ministres, pouvez-vous nous donner l'engagement que les financements seront non seulement assurés mais aussi suffisants au vu des actuelles provisions réalisées ?

Voilà autant de questions, messieurs les ministres, auxquelles je souhaite vous entendre répondre à l'occasion de ce débat.

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