Intervention de Jean Desessard

Réunion du 13 avril 2005 à 15h00
Gestion des déchets nucléaires

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

En matière de gestion des déchets nucléaires, je vous entretiendrai non pas du « principe de précaution », de nature à alarmer encore certains sénateurs qui ne sont pas encore convaincus qu'il s'agit à la fois d'une impérieuse nécessité pour la santé environnementale et d'une opportunité pour la recherche, mais simplement du « principe de prévision ».

Comment considérerait-on une femme ou un homme effectuant des travaux ménagers et qui pousseraient sous le lit, jour après jour, le résultat de leur balayage ?

Quel avenir aurait un éleveur qui laisserait s'accumuler devant sa porcherie des tonnes de lisier ?

Et que penserait-on d'ingénieurs et de pouvoirs publics qui mettraient en circulation des avions, condensés technologiques de pointe, sans les pourvoir de services de maintenance et sans bâtir au sol les pistes adaptées ?

C'est pourtant ainsi que furent autorisées et construites nos centrales nucléaires : aucune solution n'avait été prévue pour le stockage et le traitement des déchets !

Dès le début, les associations écologistes, puis les Verts, ont alerté les pouvoirs publics et la société civile sur les risques encourus : accidents aux conséquences irrémédiables à l'échelle de milliers d'années, menaces pour les travailleurs, problème du transport de combustible, dépendance pour la fourniture d'uranium, opacité, liens étroits avec le nucléaire militaire, risque de dissémination de la technologie et, bien sûr, héritage funeste pour les générations futures avec les déchets.

Ceux qui, hier, s'en gaussaient et promettaient la vitrification totale pour les mois suivants et la transmutation les années suivantes sont désormais plus modestes. Les recherches se multiplient, les rapports s'accumulent : le rapport Le Déaut du 21 avril 1992, le rapport Bataille de 1990, le rapport Bataille de 1996. Mais, hormis quelques préconisations, toujours pas de solution, rien en vue !

En janvier 2005, la Cour des comptes a évoqué, au-delà du domaine sanitaire et environnemental, les risques économiques et financiers : où sont les provisions pour le démantèlement et la gestion des déchets des principaux opérateurs ? Et que deviendront-elles dans le cadre des ouvertures de capitaux dans des marchés concurrentiels ?

Monsieur le ministre, à une question écrite qui vous était posée par ma collègue Marie-Christine Blandin, vous avez apporté la réponse suivante, publiée dans le Journal officiel du 7 avril 2005 : « Cette responsabilité se matérialise dans les comptes par la comptabilisation au passif de ces entreprises -principalement le CEA, EDF et AREVA - de provisions pour charges nucléaires de long terme ». En clair, ces opérateurs ne disposent manifestement pas des fonds suffisants, à l'heure actuelle, pour la gestion des déchets nucléaires !

Pour faire face à cette lacune, vous révélez que ce n'est qu'au dernier trimestre 2004 qu'un groupe de travail réunissant les producteurs de déchets, l'ANDRA et les administrations concernées a été mis en place afin d'élaborer « un référentiel partagé d'évaluation des charges de traitement des déchets ». Certes, c'est une bonne initiative, mais elle risque d'être vaine.

En effet, si l'on sait que, pour les soixante-dix ans à venir, le démantèlement et le traitement des déchets en France devraient coûter quelque 63 milliards d'euros, on ne sait toujours pas combien coûtera l'enfouissement profond des déchets les plus dangereux. Il paraît donc difficile de dédier des actifs lorsque l'on ne dispose pas de données précises quant à la somme à économiser.

Enfin, s'agissant de l'état des recherches en la matière, vous précisez, monsieur le ministre, que « la définition de la solution technique de gestion pour les déchets radioactifs est liée aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à longue vie encadrés par la loi du 30 décembre 1991 ». Quel aveu !

Le dernier rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de MM. Christian Bataille et Claude Birraux, publié le 15 mars 2005, met en perspective une loi pour 2006. Mais sur quelles bases ? Le contenu du rapport est éloquent : il acte le fait que, en matière de gestion des déchets, parmi les trois pistes, ni la transmutation, ni l'enfouissement géologique, ni la gestion de surface ne sont au point et ne suffiront.

En 1991, on promettait des recherches pour trouver la meilleure solution. En 2005, s'agissant de la transmutation, on dit qu'il « reste à passer à la phase industrielle », ce qui ne devrait pas être atteint avant 2040, et, s'agissant du stockage géologique, il est écrit, à la page 51 du rapport, qu'« il reste des incertitudes à lever sur la faisabilité » et, à la page 59, que « l'évaluation de la sûreté globale du conditionnement de surface reste à parachever ».

Malgré ce constat très mitigé, on conclut sur la nécessité pour le Parlement de poursuivre ces trois pistes de recherche.

Le Graal de la transmutation risque une fois de plus de vampiriser tous nos crédits de recherche en matière d'énergie aux dépens de l'efficience, des process économiques et des modes renouvelables de production.

Chaque année s'accumulent 110 mètres cubes de déchets de haute activité à vie longue, 600 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue et 28 000 mètres cubes de déchets de moyenne ou faible activité à vie courte. Par habitant, chaque année, c'est un kilo de déchets nucléaires qui est produit.

Alors qu'AREVA pollue les écrans de télévision avec une publicité à la limite de la propagande, alors qu'EDF est devenu le chantre de l'alerte sur l'effet de serre depuis qu'elle n'a presque plus de centrales thermiques, nous, écologistes, considérons que les déchets nucléaires hypothèquent gravement l'avenir des générations futures et représentent un risque majeur, aussi grave que l'effet de serre et, de plus, irréversible.

C'est pourquoi les Verts restent opposés au nucléaire tant civil, que militaire, ainsi qu'à toute mesure irréversible d'enfouissement.

La septième recommandation du rapport Bataille qui prévoit « un fonds dédié aux recherches sur les déchets et leur gestion, alimenté par les producteurs de déchets » est bien le moindre des engagements que l'on puisse exiger de ceux qui nous mettent, aujourd'hui et pour l'avenir, en péril !

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