Intervention de Michel Mercier

Réunion du 13 décembre 2010 à 14h30
Simplification et amélioration de la qualité du droit — Discussion d'une proposition de loi

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la simplification et la qualité du droit sont au cœur de la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre examen.

Cet objectif d’un droit plus cohérent, plus clair et plus lisible, porté en l’occurrence par une initiative parlementaire, le Gouvernement s’y associe pleinement. Et comme ministre de la justice, je suis particulièrement heureux d’y contribuer, en représentant devant vous l’ensemble des membres du Gouvernement, qui sont tous, ou presque, concernés par ce texte très riche.

L’objectif, donc, est totalement consensuel ; je reviendrai dans un instant sur les enjeux qui le sous-tendent. Mais sa mise en œuvre, est-il permis de le relever en introduction de ce propos, l’est un peu moins.

Simplifier, améliorer le droit est une œuvre passionnante ; c’est aussi, comme l’ont souligné les rapporteurs, une œuvre délicate, pour laquelle une approche apparemment technique laisse rapidement la place à des questions de nature plus politique. Chacune des assemblées parlementaires a ses attentes, ses priorités, ses préventions ; le Gouvernement peut en avoir aussi.

L’important est que nous sachions collectivement avancer de manière constructive pour progresser le plus rapidement possible vers un consensus. C’est tout le sens de la discussion qui s’ouvre, puis ensuite de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Je sais pouvoir compter sur vos débats pour veiller à mener la simplification dans le respect de la cohérence de nos lois.

Chacun d’entre nous le souligne depuis des années : le droit et, plus particulièrement, la loi souffrent d’une complexité croissante.

Cette complexité résulte de plusieurs phénomènes.

D’abord, des modifications législatives successives, dans tous les domaines du droit, se sont traduites par un empilement de textes à la cohérence parfois incertaine.

Ensuite, les sources du droit se sont diversifiées : les directives, les règlements communautaires sont ainsi, directement ou indirectement, créateurs de règles nouvelles en droit interne. Il devient particulièrement difficile à nos concitoyens, et même aux professionnels, de s’y retrouver dans ce dédale de réglementations. Une telle évolution est porteuse de risques évidents.

« Nul n’est censé ignorer la loi » : cet adage, on le sait, est une fiction, mais une fiction nécessaire. Il exprime l’idée, consubstantielle à tout ordonnancement juridique, que nul ne saurait se soustraire à la loi en invoquant l’ignorance dans laquelle il se trouvait de l’existence du texte ou de son contenu. Or ce principe risquerait de perdre tout son sens s’il n’était soutenu par un effort réel d’amélioration de la qualité du droit.

Il est donc de notre devoir de veiller à rendre la loi accessible et intelligible. C’est même, depuis une décision du Conseil constitutionnel, rendue en 1999, un objectif de valeur constitutionnelle – que l’assemblée de la rue de Montpensier rappelle dans la plupart de ses décisions –, tant il est vrai que la connaissance suffisante par les citoyens des normes qui leur sont applicables est une condition de l’égalité et de la garantie des droits proclamées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’enjeu est donc central : il s’agit de mieux garantir la sécurité juridique à laquelle aspirent tant les particuliers que les entreprises, et qui, trop souvent, est affectée par la superposition de règles de droit nombreuses et instables.

Un droit clair, un droit lisible est le gage d’une meilleure prévisibilité des comportements. C’est une exigence démocratique et citoyenne autant qu’un impératif économique.

Or, comme chacun le sait ici, plus de 3 300 lois ont été adoptées sous la Ve République, avec une accélération marquée et préjudiciable de la production normative au cours des vingt dernières années, si bien qu’au 1er juillet 2008 on comptait quelque 64 codes, et 2 600 lois et ordonnances en vigueur, sans compter près de 24 000 décrets.

Le constat est récurrent et la prise de conscience réelle au sein des institutions publiques, au niveau national comme, d’ailleurs, à l’échelon européen. Cette prise de conscience a donné lieu à l’adoption d’un certain nombre de mesures utiles pour l’avenir.

Une accélération a ainsi été donnée à l’exercice de codification de textes jusqu’alors épars et même difficiles à identifier.

Le 23 juillet 2008, le constituant a par ailleurs soumis la préparation des projets de loi à une exigence d’étude d’impact prenant notamment en compte les questions de sécurité juridique. Enfin, la même révision constitutionnelle a permis l’examen de propositions de loi par le Conseil d’État.

Pour autant, il est clair que le « stock » des lois en vigueur est pour partie le produit d’une instabilité normative « incessante et parfois sans cause », pour reprendre les termes figurant dans un rapport du Conseil d’État ; une instabilité à laquelle, je m’empresse de le dire, toutes les majorités successives ont occasionnellement cédé.

Mais cette instabilité a eu pour conséquence inévitable de compliquer le droit et d’en affecter la cohérence. Les textes se sont enchaînés sans que les nouveaux prévoient l’abrogation expresse des anciens, ni même assurent la mise en cohérence des règles nouvelles avec le droit existant.

Dans ce contexte, on mesure toute l’importance de toiletter le corpus législatif : de nombreuses règles désuètes ou obsolètes subsistent, qu’il faut supprimer. Il faut aussi clarifier notre droit pour corriger des redondances et des incohérences introduites par ces modifications successives.

Plusieurs lois de simplification sont déjà intervenues pour remédier, ces dernières années, à la complexité du droit.

Les premières, portées par le Gouvernement, ont été suivies d’initiatives parlementaires, dont celle qui est soumise à votre examen aujourd’hui. Je veux, à cette occasion, souligner l’excellente collaboration du Gouvernement et des assemblées pour enrichir ces textes.

Les clarifications et les mises en cohérence inscrites dans la proposition de loi sont nombreuses. Elles couvrent des domaines très divers. Certains d’ailleurs s’en inquiètent, mais à ceux-là je veux dire que c’est la contrepartie de l’ambition du texte. Son champ large témoigne avant tout, me semble-t-il, de l’étendue des besoins en matière de simplification et d’amélioration du droit.

Quels en sont les grands axes ?

Le texte simplifie, tout d’abord, les procédures administratives. Il faut faciliter les démarches de nos concitoyens, car, trop souvent, leur complexité suscite l’incompréhension et pose d’importantes difficultés pratiques.

La proposition permet ainsi d’alléger les démarches administratives des particuliers et celles qui pèsent sur les entreprises. En permettant l’échange de données entre administrations, l’usager n’aurait plus à produire une information ou une pièce qu’il aurait déjà fournie à une première autorité administrative.

L’Assemblée nationale a souhaité, et le Gouvernement soutient cette évolution, que soient apportées des garanties supplémentaires de sécurité et de confidentialité : les échanges de données doivent être encadrés et concerner les seuls éléments strictement nécessaires au traitement des demandes des usagers.

Nous serons très vigilants, et je sais que telle est aussi votre conviction, sur la protection des données personnelles.

Votre commission propose d’autres améliorations significatives de la procédure administrative, afin tout d’abord de prévenir le contentieux : vous ouvrez ainsi le champ du recours administratif préalable obligatoire à tous les actes portant sur la situation personnelle des fonctionnaires, et j’y suis particulièrement attaché.

Vous l’ouvrez à titre expérimental afin d’en évaluer les effets pratiques ; je soutiens cette démarche et veillerai à ce qu’elle soit effectivement mise en œuvre dans des délais rapprochés.

Un projet de décret est déjà prêt sur ce point et je souhaite qu’il puisse faire l’objet d’arbitrages rapides, afin que sa publication coïncide avec l’adoption des dispositions de la proposition de loi de simplification.

La proposition de loi prévoyait, par ailleurs, de permettre aux administrations d’être plus à l’écoute de leurs usagers : en facilitant les consultations publiques « ouvertes » sur internet. Votre commission propose de supprimer cet article, il me paraît important de le maintenir : car cette mesure de démocratie participative permet aux administrations de mieux comprendre les besoins des usagers. Mais nous aurons bien sûr l’occasion d’en reparler tout au long de nos débats.

Le texte soumis à votre examen ouvre également des perspectives pour valoriser l’activité économique. Il pose ainsi un cadre général pour les groupements d’intérêt économique. Cette structure, vous le soulignez, a connu un grand succès ; elle disposera désormais d’un cadre juridique adapté.

La proposition de loi vise également à renforcer la protection des droits de nos concitoyens.

Des garanties sont ainsi apportées par le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale en matière de fichiers informatiques, sur l’initiative, notamment, du président Warsmann. Dans un souci de cohérence, votre commission des lois a souhaité renvoyer l’adoption de ces dispositions à une proposition de loi pendante devant l’Assemblée nationale. Mais au vu des garanties apportées par ces mesures, il me paraît intéressant de les rétablir au sein du texte soumis à votre examen. L’objectif, je le rappelle, est d’encadrer plus strictement les fichiers de police en énonçant limitativement les finalités qu’ils peuvent poursuivre. L’importance de ses dispositions doit retenir toute notre attention et leur adoption intervenir dans les meilleurs délais.

Vous avez aussi choisi de renvoyer les dispositions relatives au droit de préemption à un texte autonome. Cette décision est opportune : en effet, le sujet est complexe et nécessite une réforme d’ensemble ; il suppose donc un temps de réflexion et une concertation complémentaires. En habilitant le Gouvernement à modifier le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, nous pourrons poursuivre les travaux en cours et engager la réforme sous les meilleurs auspices.

Cette proposition de loi met, ensuite, la France en conformité avec ses engagements européens.

La proposition de loi prévoit la transposition de plusieurs directives, dont une série de dispositions de la directive « Services » ou encore la directive du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la médiation civile et commerciale. En ce domaine, un socle commun de règles sera désormais applicable à toutes les médiations.

Afin de permettre une application uniforme de ces règles protectrices, le Gouvernement a souhaité qu’elles puissent s’appliquer non seulement aux litiges transfrontaliers mais également aux litiges nationaux. Je vous présenterai un amendement en ce sens.

Enfin, cette proposition de loi introduit des clarifications en matière pénale et l’on connaît tout l’enjeu d’un droit lisible et cohérent dans ce domaine.

Vous aurez l’occasion de débattre de chacune des évolutions proposées ; je voudrais évoquer ici les grands axes de simplification et d’amélioration en droit pénal.

Le texte entreprend des mises en cohérence, afin notamment d’harmoniser les règles applicables et de supprimer les règles obsolètes. La proposition de loi supprime ainsi des références devenues sans objet – référence à la peine de mort, par exemple – ; elle met à jour le droit pour réparer des oublis de coordination.

Elle précise par ailleurs des incriminations, notamment en matière de corruption.

La simplification de formalités en matière pénale est également prévue, avec, en particulier, la possibilité ouverte au directeur du service d’insertion et de probation de recevoir directement le bulletin n°1 du casier judiciaire, alors qu’il devait auparavant le demander au juge de l’application des peines ou au procureur de la République.

La proposition de loi introduit aussi des mesures de bonne administration de la justice pénale. Elle renforce ainsi la procédure de filtrage de la Cour de révision des condamnations pénales : le président de la commission de révision pourrait écarter seul les demandes manifestement irrecevables, mais par une ordonnance motivée.

Votre commission des lois a, enfin, introduit, dans le code de procédure pénale, de nouvelles dispositions relatives aux autopsies judiciaires, afin notamment de veiller à un meilleur encadrement procédural, de mieux protéger les droits des proches et de combler le vide juridique sur le statut des prélèvements humains. Je vous proposerai un amendement qui reprend vos propositions tout en garantissant la compatibilité de celles-ci avec les nécessités de l’enquête pénale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le chantier en faveur de la qualité de la loi retient toute notre attention. Il est vaste et il suppose une grande vigilance : on le sait, les modifications mêmes formelles des règles de droit ne sont pas sans conséquences.

Avant que ne s’engagent nos débats, gardons tous en mémoire l’idée que la qualité de la loi est le gage de sa légitimité et, donc, de sa pleine effectivité.

Je veux de nouveau remercier le président de la commission des lois et l’ensemble des rapporteurs pour la qualité du travail qu’ils ont fourni et qui va nous permettre maintenant d’engager un travail fructueux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion