Séance en hémicycle du 13 décembre 2010 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • PACS
  • simplification

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (163, 2010-2011), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir m’exprimer devant vous, cet après-midi, pour préparer le Conseil européen.

Le Sénat joue un rôle majeur dans l’élaboration de la stratégie européenne, rôle qui s’est affirmé. Je tiens à rendre hommage au travail remarquable effectué par Jean Bizet, au sein de la commission des affaires européennes, et par les sénateurs particulièrement impliqués en la matière.

Je suis, en effet, convaincu de la nécessité de travailler en étroite collaboration avec le Parlement sur les sujets européens, comme le traité de Lisbonne. Il y va de l’intérêt de chacun, afin de permettre une meilleure appropriation par la représentation nationale des enjeux européens, devenus déterminants.

Lors du conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu vendredi dernier à Fribourg et auquel j’ai participé a été réaffirmée la force du tandem franco-allemand face à la crise.

Le Conseil européen des 16 et 17 décembre intervient également à un moment stratégique, cela n’échappe à personne, et ce pour deux raisons.

D’une part, l’Europe fait face à la crise de l’euro et aux différents tests opérés par un certain nombre de spéculateurs sur sa monnaie. Ce Conseil européen doit être l’occasion pour elle d’affirmer une nouvelle fois sa détermination et sa capacité à progresser tout en se renforçant par rapport à ces tests.

D’autre part, politiquement, il s’agit d’un moment important, qui permettra à l’Union européenne de repartir à l’offensive, de montrer qu’elle est résolument en état de marche et qu’elle a la capacité, au-delà des difficultés, à avancer et à consolider ses instruments.

De ce point de vue, les enjeux du Conseil européen sont nombreux. Ils sont principalement concentrés sur la question de la monnaie unique et sur l’amélioration des mécanismes de défense de l’euro.

Avant d’entrer dans le détail de mon propos, je souhaite m’arrêter un instant sur le chemin parcouru en moins d’un an et demi.

Depuis sa création, l’euro avait un point de faiblesse, que plusieurs observateurs avaient d’ailleurs relevé : que se passerait-t-il si une crise conduisait un pays à l’attaquer ? Aucun dispositif de défense n’était à disposition.

Lorsque la crise grecque est survenue, l’Union européenne n’avait pas d’outil adéquat pour y faire face. Elle a mis environ six mois à mettre en place un plan de réaction. Lorsque la crise est intervenue en Irlande, cette fois-ci, l’Europe était prête et, en moins de quinze jours, l’ensemble des forces composant plus spécifiquement les pays impliqués dans le domaine de l’euro ont été capables de réagir et d’élaborer un plan de défense, et ce aussi rapidement que les États-Unis.

Le Conseil européen des prochains jours permettra de donner une visibilité, au-delà de la gestion des crises les unes après les autres, à la détermination des pays de l’Union européenne.

Oui, malgré les difficultés, l’Europe avance ! En un an et demi, elle a accompli un chemin considérable.

Les enjeux du Conseil européen sont principalement concentrés sur la politique économique.

La mise en place d’un mécanisme pérenne de gestion des crises est un signal fort. Elle montre que l’Europe est prête à se doter collectivement des moyens pour se protéger. Elle indique également que l’Europe ne se contente pas de réagir aux crises les unes après les autres, mais que, crise après crise, elle tire des leçons, afin de sortir des épreuves auxquelles elle est confrontée plus forte qu’elle ne l’était antérieurement à ces dernières. Elle montre enfin que l’Europe est prête à se donner des moyens pour se protéger et pour préparer l’avenir.

Quand un pays est attaqué, comme ce fut le cas de l’Irlande, c’est aussi la monnaie de la France, de l’Allemagne, de l’ensemble des pays de l’Union européenne qui composent l’Eurogroupe qui est touchée.

L’Union européenne doit accompagner ses différents États membres en ne laissant personne au bord du chemin.

Je tiens en cet instant à saluer le rapport très prometteur, fouillé et détaillé remis par le sénateur Jean-François Humbert. Il nous permettra d’avancer sur les normes de régulation à l’échelle européenne.

Ce Conseil montrera la capacité de l’Europe à agir en amont. De ce point de vue, l’Eurogroupe a trouvé un accord le 28 novembre sur les contours du futur mécanisme européen de stabilité. Vous le savez, le Président de la République a mené d’intenses consultations pour y parvenir, en lien avec Angela Merkel. M. Herman Van Rompuy a indiqué qu’il soumettra au Conseil européen une proposition de révision du traité tenant compte des travaux de l’Eurogroupe. Cette proposition de révision sera la plus simple, la plus efficace et donc la plus rapide possible à transposer.

Par ailleurs, les travaux menés par M. Michel Barnier vont également dans le bon sens. Ils doivent nous permettre de renforcer la régulation, notamment celle du secteur bancaire.

Vous relèverez, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque ce sujet a été évoqué devant vous, que ce mécanisme européen de stabilité, sur lequel l’Eurogroupe s’est entendu, comporte également une participation des créanciers. Ainsi, à partir de 2013, chacun sera mis face à ses responsabilités.

J’en viens à la gouvernance économique, qui repose sur une conviction simple que nous sommes plusieurs à partager : l’euro ne pourra pas être une monnaie stable et durable sans un renforcement de la gouvernance économique à l’échelle européenne. Voilà seulement quelques mois, cette idée, que seule la France osait défendre, était taboue. Aujourd’hui, la très grande majorité des pays de l’Union européenne en reconnaît la nécessité absolue. Elle a fait l’objet d’échanges entre le Président de la République et Angela Merkel à Fribourg.

Le Conseil européen a repris à son compte les conclusions du groupe Van Rompuy. Il va être saisi d’un rapport sur l’état d’avancement de ces travaux. Nous attendons, pour notre part, que toutes les orientations et rien que les orientations fixées par le Conseil européen du mois d’octobre dernier soient respectées. Par ailleurs, la gouvernance économique ne doit pas se réduire à des sanctions ; elle doit rendre possible une vision à 360 degrés et ainsi, étape après étape, avancer à l’échelon européen.

J’ajouterai quelques mots sur le budget de l’Union européenne pour 2011. Ce dossier a fait partie des premiers auxquels je me suis attelé. La non-adoption de ce budget serait catastrophique pour notre pays. La bascule sur le système des douzièmes provisoires aurait, pour la France, un coût de trésorerie de 2 milliards d’euros et des conséquences sur la politique agricole commune, notamment.

Au-delà des enjeux de budget et de trésorerie, il s’agissait d’une question symbolique. Nous le ressentons tous, à l’heure actuelle, certains veulent tester l’Union européenne et noircir, en quelque sorte, sa capacité à agir et à progresser.

Il était symbolique de montrer que, dans cette période de crise, nous ne cédions pas aux différentes institutions, et que chacun était capable de faire un bout du chemin, d’assumer sa part de responsabilité, pour permettre l’adoption d’un budget pour 2011 allant dans le sens de l’intérêt communautaire.

Nous nous sommes battus pour ce budget et le rapport de Denis Badré montre bien le rôle majeur que jouent les Parlements nationaux dans son élaboration.

Là encore, en quelques mois, grâce à une mobilisation collective, un chemin important a été parcouru. Le projet a été approuvé par le Conseil le 10 décembre et j’ai bon espoir qu’il le soit par le Parlement européen le 15 décembre.

Ce budget repose sur un bon équilibre. L’Union européenne montre qu’elle prend en compte les enjeux budgétaires. Personne ne comprendrait que les efforts effectués par les États afin d’assurer une meilleure gestion de leurs finances nationales ne soient pas partagés par l’Union européenne.

L’enjeu est autre. Il s’agit de montrer que l’Europe est capable de dépenser modérément tout en étant plus efficace. Maîtriser les dépenses ne signifie pas revoir à la baisse les ambitions européennes, mais implique, au contraire, de dépenser mieux.

Après ces questions de politique économique, qui, vous le constatez, sont majeures à l’occasion de ce Conseil européen, j’évoquerai l’état des travaux conduits par Mme Ashton.

Il est crucial – et ce sujet a été évoqué lors de l’audition devant la commission des affaires européennes du Sénat –, de rester très vigilant sur les relations de l’Union européenne avec ses grands partenaires stratégiques.

Durant cette période, l’Union européenne doit nous protéger et nous permettre d’être à l’offensive dans les relations avec la Chine, la Russie et les États-Unis.

Notre travail conjoint consiste à identifier, au-delà des intérêts nationaux, des intérêts communs aux Européens qui seront, ensuite, défendus collectivement par l’Europe.

Enfin, le Conseil européen pourrait être invité à accorder au Monténégro le statut de candidat à l’Union européenne. Nous avons la conviction que les processus d’élargissement et les négociations d’adhésion doivent être conduits avec la plus grande exigence et une extrême rigueur.

Il ne s’agit pas d’outils de communication ou de variables d’ajustement pour envoyer des signaux positifs ou sympathiques à tel ou tel. Ces questions sérieuses mettent en jeu la capacité de l’Union européenne à agir et à avancer.

Ce Conseil est, pour nous, un rendez-vous décisif. Il peut être le point de bascule après cette année 2010, qui a été une année d’épreuves au cours de laquelle certains ont voulu tester l’Union européenne et ont fait preuve de scepticisme systématique.

La présente crise nous montre que, face à des pays continents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, face à des défis comme celui du développement durable ou face à des pressions telles que celles que peuvent exercer les marchés financiers, l’Union européenne est une question de bon sens.

Ce Conseil européen doit nous permettre de réaffirmer ce principe, tout en montrant une Union européenne en état de marche et capable, de nouveau, de repartir à l’offensive.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de la zone euro est présentée de façon de plus en plus alarmante.

Il faut, bien sûr, faire la part de l’appétit, bien connu, des médias pour les mauvaises nouvelles. Il faut également tenir compte de la manière dont fonctionnent les marchés financiers, avec ces rumeurs et ces analyses, parfois fantaisistes, qui suscitent des mouvements de cours incessants et alimentent la spéculation.

Si nous voulons avoir une vue plus exacte de la situation de la zone euro, il faut prendre un peu de recul.

Voilà moins d’un mois, Eurostat a publié les statistiques relatives aux finances publiques au sein de la zone euro. En 2009, la dette publique et le déficit public ont atteint en moyenne respectivement 79, 2 % et 6, 3 % du PIB.

Confrontons ces chiffres à ceux des deux grandes zones comparables : les États-Unis et le Japon.

Dans la même période, aux États-Unis, la dette publique et le déficit se sont élevés à 84 % et à 7, 3 % du PIB, pourcentages supérieurs à ceux de la zone euro. Au Japon, ils ont atteint 190 % et 9 % du PIB.

Ainsi la situation des finances publiques dans la zone euro est assurément très difficile, mais elle est similaire à celle des zones monétaires auxquelles elle peut être comparée, et même plutôt meilleure.

Il faut également rappeler que, même aujourd’hui, l’euro se situe par rapport au dollar 13 % au-dessus de son cours d’introduction. Ce n’est donc pas une monnaie faible ! Pourtant, cela n’empêche pas des commentaires inquiets chaque fois que l’euro se rapproche d’une parité raisonnable.

Alors, pourquoi ces pronostics aussi sombres sur la zone euro, dont on annonce régulièrement l’éclatement ? La réponse me paraît assez évidente. En raison d’une intégration beaucoup moins forte, la zone euro a laissé se développer en son sein des stratégies économiques divergentes, parfois même dangereuses, et nous payons le prix de ce manque de cohérence. Sa situation n’est pas pire que celle des zones comparables, mais elle prête davantage le flanc à la spéculation. Elle permet une spéculation pays par pays, avec le risque d’un effet domino qui verrait les plans de sauvetage se succéder, car nous savons bien que, après la crise qu’ont connue la Grèce et l’Irlande, la liste n’est pas obligatoirement close.

Nous subissons les conséquences de la manière dont la zone euro a été conçue ou, plus exactement, de la façon dont elle n’a pas été conçue : elle n’a pas été prévue pour prévenir les crises, et moins encore pour y faire face.

Le problème est né, au moins en partie, de la manière dont l’Europe se construit. Les caractéristiques de la zone euro sont le résultat d’une négociation diplomatique, et non la traduction d’une conception d’ensemble cohérente. De là découlent des faiblesses qui sont apparues au grand jour : l’absence d’un mécanisme efficace de coordination économique et budgétaire, l’interdiction de renflouer un État, la fameuse clause de no bail out, qu’il a bien fallu contourner, enfin, une définition des missions de la Banque centrale européenne orientée uniquement vers la lutte contre l’inflation, ce qui n’encourage pas les anticipations de croissance.

Il est aisé, en s’appuyant sur ces constats, de se livrer aux pronostics les plus sombres. Pourtant, fait majeur, après chaque pic de crise, l’Europe a su se ressaisir. Ainsi, lors de la crise bancaire de 2008, c’est elle qui a montré la voie. Ensuite, elle a su faire face aux crises grecque puis irlandaise. Enfin, elle a entrepris de réformer en profondeur sa gouvernance économique et de se doter d’un fonds pérenne de gestion des crises.

Quoi que l’on en dise, la direction retenue est la bonne. Encore faut-il aller suffisamment vite. Avec la mondialisation, les évolutions économiques, et plus encore les mouvements sur les marchés, sont extraordinairement rapides. L’Europe donne parfois le sentiment de prendre son temps, alors qu’elle ne l’a pas. C’est pourquoi le Conseil européen devra avant tout montrer que la réforme de la gouvernance et la création du mécanisme de stabilité sont désormais sur des rails. Les hésitations, les petites phrases des uns et des autres sont un luxe, qui n’est plus dans les moyens de l’Europe. Aucun État membre ne s’en tirera au détriment des autres : chaque fois que la cohésion européenne s’affaiblit, il n’y a que des perdants.

Cela suppose, notamment, de mettre fin aux mauvais procès qui sont faits ici et là à l’Allemagne. Est-ce un défaut que d’être compétitif ? Ne faudrait-il plutôt s’inspirer de ce modèle ? Est-il scandaleux que l’Allemagne, qui a le rôle le plus important dans les mécanismes de garantie mutuelle, demande que l’on ne laisse pas se reproduire les phénomènes qui nous ont menés à la situation actuelle, et qui conduisent à l’appeler à l’aide aujourd’hui ? Il est commode, quand on est surendetté, de désirer la mutualisation des dettes et de dénoncer un manque d’« esprit européen », alors que cette idée ne suscite pas l’enthousiasme !

En réalité, nous ne progresserons dans la solidarité européenne que si chacun balaie devant sa porte, au lieu de donner le sentiment qu’il compte sur les autres pour le faire.

L’Europe est un groupement d’États qui repose sur la confiance mutuelle, mais la confiance se mérite. Aucun mécanisme européen ne dispensera les pays membres, à commencer par la France, de procéder aux réformes qui remettront leurs finances en ordre et leur rendront leur compétitivité. Lorsque tout le monde aura le sentiment que chacun prend sa part de l’effort, alors la mutualisation sera bien plus facile.

La construction européenne est aujourd’hui à l’épreuve. C’est le moment de lui appliquer la formule de Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Je suis persuadé, pour ma part, que l’Europe sortira finalement renforcée de cette crise, qui aura fait prendre conscience aux Européens qu’ils ont définitivement partie liée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – MM. Denis Badré et Jacques Mézard applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 16 et 17 décembre sera principalement consacré à la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion des crises de la zone euro.

Afin de tirer les leçons des crises, grecque hier, irlandaise aujourd’hui, et de prévenir tout risque pour la stabilité de la zone euro, il est indispensable de pérenniser le mécanisme de gestion des crises et d’aller, comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes, vers une véritable gouvernance économique européenne, que la France appelle de ses vœux depuis déjà plusieurs années.

Ces réformes, qui exigent une révision du traité de Lisbonne, représentent l’évolution la plus importante des règles économiques en Europe depuis la mise en place de l’euro.

Et on le constate une nouvelle fois : lorsque l’Europe avance, c’est à la suite d’un accord entre la France et l’Allemagne. Je tiens à cet égard à dénoncer ici les discours irresponsables de ceux qui n’ont de cesse de mettre en avant les risques de contagion et de faillite de la monnaie unique.

Je voudrais rappeler la solidarité dont a fait preuve l’Europe, et en premier lieu la France et l’Allemagne, à l’égard de la Grèce et de l’Irlande.

En réalité, il importe d’engager les économies européennes sur la voie du redressement de leurs finances publiques et d’éviter en particulier tout décrochage de compétitivité entre notre pays et notre voisin allemand.

Je concentrerai mon propos sur les sujets de politique étrangère, qui intéressent directement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Si l’intégration européenne connaît actuellement d’importantes avancées en matière économique, en revanche, dans le domaine de politique étrangère et de défense, les choses progressent plus lentement, et c’est un euphémisme !

Lors du prochain Conseil européen, la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Lady Ashton, devrait présenter un rapport sur les relations entre l’Union européenne et ses partenaires stratégiques, comme les États-Unis, la Russie et la Chine.

D’ici à une vingtaine d’années, l’Europe ne représentera plus que 6 % des habitants de la planète. Elle risque ainsi d’être marginalisée sur la scène internationale, face aux États-Unis, à la Chine et aux autres puissances émergentes.

Il est donc indispensable que l’Union européenne renforce ses relations avec ses principaux partenaires, qu’il s’agisse de ses relations diplomatiques, de ses échanges commerciaux ou de ses approvisionnements énergétiques.

Or, malgré la succession de sommets entre l’Union européenne et les pays tiers, une impression domine : l’Union ne parvient pas à définir une véritable stratégie au regard de ses principaux partenaires.

Le maigre bilan du sommet entre l’Union européenne et les États-Unis ou les timides avancées enregistrées lors du dernier sommet entre l’Union européenne et la Russie semblent confirmer ce constat. Et je pourrais faire la même observation au sujet de l’Inde ou de la Chine.

D’une manière générale, que ce soit avec ses grands partenaires ou avec les États-Unis et le Moyen-Orient, par exemple, l’Europe peine à parler d’une seule voix. Le principal défi qu’elle doit relever concerne la crédibilité. Il est donc impératif de mieux définir nos intérêts, nos priorités et la manière dont l’Union européenne devrait négocier avec ses principaux partenaires.

Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne dispose certes de nouveaux instruments, en particulier le poste de président stable du Conseil européen, celui du Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et, désormais, le service européen pour l’action extérieure.

Toutefois, l’Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix, à être une puissance au regard de la mondialisation, que si une réelle unité existe entre les Européens, condition première d’une politique étrangère commune.

Comme j’ai pu le constater lors d’un récent déplacement au siège de l’Organisation des Nations unies, l’ONU, l’Union européenne a connu un sérieux revers devant l’Assemblée générale des Nations unies, puisqu’elle s’est vu refuser, le 14 septembre dernier, la possibilité, pourtant prévue par le traité de Lisbonne, de s’exprimer en tant que telle dans cette enceinte, comme le faisaient jusqu’à présent les représentants de la présidence semestrielle. Or cela aurait permis de renforcer la visibilité politique et l’efficacité de l’Union européenne au sein des Nations unies. La leçon est claire : à l’ONU, l’Union européenne n’est pas considérée comme une puissance ; elle n’inspire pas le respect.

Monsieur le ministre, de votre point de vue, quelles sont les raisons de cet échec et quelle stratégie les États membres entendent-ils suivre pour renforcer la position de l’Union européenne au sein de l’ONU ?

Je souhaite maintenant dire un mot à propos du Monténégro et de l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux.

Le Conseil européen devrait décider s’il accorde, ou non, le statut de pays candidat au Monténégro, comme le recommande la Commission européenne. La France est-elle prête à donner son accord ? Plus généralement, quelles perspectives se dessinent actuellement à propos du processus de rapprochement des pays des Balkans occidentaux avec l’Union européenne ?

Enfin, avec la crise économique, l’on constate que la réduction des budgets de défense en Europe s’accentue, en total décalage avec les évolutions observées partout ailleurs dans le monde, notamment en Asie et au Moyen-Orient. L’effort de défense fait partie intégrante de la stratégie de puissance des grands pays émergents. Dans ces conditions, l’Europe ne risque-t-elle pas de perdre progressivement tout moyen de peser sur la scène internationale ?

À cet égard, je me félicite des récents accords franco-britanniques intervenus en matière de défense. Le renforcement de la coopération entre la France et le Royaume-Uni, pays qui représentent à eux seuls la moitié des dépenses militaires de l’Europe, constitue une avancée majeure et un exemple concret d’une coopération européenne souple et pragmatique, appuyée sur une vision commune.

Avec les commissions chargées de la défense à l’Assemblée nationale, à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords, nous venons d’ailleurs de créer un groupe de suivi de cette coopération bilatérale de défense.

Monsieur le ministre, quel est le point de vue de la France sur la proposition germano-suédoise visant à recenser les différentes capacités qui pourraient faire l’objet de mutualisations en Europe ? Il ne faudrait pas, en effet, que cette initiative se traduise par une simple gestion de la pénurie. Il faut au contraire qu’elle s’inscrive dans la perspective d’une réelle amélioration des capacités militaires européennes, en lien avec les ambitions d’une véritable politique de défense commune.

Je souhaite aussi connaître votre sentiment sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune.

Le Sénat a adopté une résolution dans laquelle il estime indispensable que la disparition de l’assemblée de l’Union de l’Europe occidentale soit subordonnée à la mise en place d’une structure permettant aux parlements nationaux d’exercer un suivi effectif et régulier des questions de défense à l’échelon européen.

Notre conviction est que les parlements nationaux doivent avoir leur mot à dire sur les questions de défense, car ce sont eux qui votent les budgets ou qui autorisent l’envoi de troupes à l’étranger. Si nous ne parvenions pas à un accord à vingt-sept sur une structure à la fois souple et efficace, pourquoi ne pas imaginer une coopération sur une base volontaire entre les parlements qui souhaiteraient s’y associer ?

Comme nombre d’entre nous, j’ai la conviction que la politique étrangère et de la défense est un domaine dans lequel il est désormais impératif d’avancer. Les citoyens attendent une affirmation de l’Europe dans ces matières, affirmation nécessaire à l’équilibre d’un monde multipolaire.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – MM. Denis Badré et Jacques Mézard applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.

Puis les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole – deux minutes au maximum – dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jacques Mézard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur leprésident de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, après la Grèce au printemps dernier, l’Irlande vient de solliciter une aide européenne pour financer sa dette. À qui le tour demain ? À l’Espagne qui vient de lancer un vaste plan pour alléger sa dette publique ou au Portugal qui vient d’adopter son troisième plan d’austérité ? La France risque-t-elle de suivre ? Nombre de nos concitoyens se posent cette question.

Contrairement à la Grèce dont le sauvetage fut laborieux, l’Union européenne a su cette fois apporter sans délai un soutien au gouvernement irlandais. Sans doute faut-il s’en féliciter, mais chacun sent bien que ce qui se joue aujourd’hui, c’est la capacité de celle-ci à opposer une réponse forte et durable aux marchés financiers.

En attaquant la dette souveraine des pays les plus fragiles de la zone euro, les marchés financiers contribuent encore un peu plus à creuser l’écart entre les économies européennes. Au fond, ces réactions en chaîne révèlent l’existence d’une zone euro à plusieurs vitesses : d’un côté, les économies industrielles à forte intensité technologique qui ont des excédents, telle l’Allemagne ; de l’autre, les pays dont les exportations sont plus sensibles à la concurrence par les prix et qui accumulent des déficits publics ou privés, comme la France ou les pays méditerranéens. Les taux auxquels sont financés ces derniers se sont envolés, atteignant 5 % à 6 %, quand l’Allemagne emprunte à un taux de 2, 6 %.

Les marchés seraient-ils en train de reconstituer une « zone mark » ? Certains analystes financiers plaident déjà pour la sortie des maillons faibles de la zone euro. L’insuffisance de coordination des politiques économiques et budgétaires est un constat récurrent depuis la création de l’euro.

Les décisions qui seront prises lors du prochain Conseil européen pèseront lourd sur l’avenir. Le Conseil doit examiner les grandes lignes du mécanisme permanent de gestion des crises et faire le point sur les propositions législatives de la Commission européenne dans ce domaine.

Pour nous, plusieurs interrogations demeurent et font douter de la capacité de l’Europe à apporter une réponse adaptée à la crise. Pourtant, l’enjeu se situe là.

Il est proposé de durcir le pacte de stabilité en prenant mieux en compte la dette dans le mécanisme de surveillance budgétaire. Cela relève du bon sens. Toutefois, il faut sans doute distinguer le déficit structurel et le déficit lié à l’investissement dans le capital humain, c'est-à-dire l’éducation et la formation, ou encore dans l’innovation et la recherche. En d’autres termes, il convient de faire le départ entre le bon déficit et le mauvais. Par ailleurs, quelle sera la norme de dette acceptable ? Pour la France, porter la dette à 60 % du PIB avec un plafonnement du déficit budgétaire à 3 % signifie un excédent annuel de 1, 25 % du PIB pendant vingt ans.

Sur les sanctions à l’encontre d’un État qui ne respecterait pas le pacte de stabilité, le groupe de travail d’Herman Van Rompuy défend la notion de majorité inversée, mettant en exergue qu’il n’y aura plus d’automaticité en l’espèce, dans la mesure où une proposition de la Commission européenne au Conseil européen de sanctions dans le cadre du pacte de stabilité devra désormais être rejetée à la majorité qualifiée. Cela réintroduit quelque peu le politique au cœur du dispositif, mais quelle sera l’étendue de ces sanctions ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très clair ! La task force propose des sanctions progressives : dépôt sur un compte bloqué rémunéré, puis non rémunéré avant une amende. Cette palette nous paraît peu crédible et s’inscrit dans une vision technocratique.

Que dire de la proposition de la Commission européenne de partager le montant des amendes entre les États les plus prospères ? On croit rêver ! Que dire aussi de l’idée de sanctions politiques abordée au sommet de Deauville ? Monsieur le ministre, souhaitez-vous vraiment ouvrir la boîte de Pandore de la modification du traité ? En quoi la suspension des droits de vote d’un État se différencie-t-elle fondamentalement de la proposition d’exclusion d’un pays de la zone euro ?

Nous aimerions des précisions sur tous ces points. Bien sûr, les membres du RDSE reconnaissent que des avancées ont été obtenues sur la surveillance des politiques économiques et la coordination des budgets nationaux. « L’Europe se fera dans les crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. De fait, la crise financière et économique aura eu au moins le mérite de remettre dans l’agenda européen la question de la gouvernance économique.

Aujourd’hui, on a encore le sentiment que cette gouvernance s’inspire d’une vision allemande, c’est-à-dire a minima, réduite à la question du seul déficit : rien sur les perspectives d’harmonisation fiscale, rien pour doter l’Union européenne d’un budget à la hauteur des enjeux ou lui conférer une capacité d’emprunt, et je ne parle même pas d’une approche volontariste dans le domaine social. Pourtant, le défaut de convergence sur tous ces points aboutit à une confrontation économique qui ne fait que des perdants, fragilise l’euro, entraîne ou risque d’entraîner l’Europe dans le déclin.

Quand Jean-Claude Trichet dénonce l’insuffisante rigueur du dispositif annoncé, il est, comme l’a déclaré Jean-Pierre Chevènement, dans son rôle de « pape de l’orthodoxie néolibérale ». Nous pensons que les efforts demandés à certains pays sont difficilement soutenables économiquement et socialement. Comment un État surendetté peut-il retrouver une perspective de croissance durable dans un contexte d’euro fort, sans marge de relance budgétaire et avec une concurrence européenne et internationale agressive ?

Selon nous, l’Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner ; elle doit aussi relancer et promouvoir ! Or elle piétine sur une stratégie de croissance. Cela a été rappelé : sur ce plan, la zone euro est la lanterne rouge ! Après l’échec de la stratégie de Lisbonne, la nouvelle stratégie Europe 2020 propose des objectifs communs, recentrés et clairement évalués. Toutefois, soyons réalistes, elle ressemble plus à un catalogue d’incantations qu’à une volonté commune.

Selon nous, il est nécessaire de développer une politique ambitieuse de relance par l’investissement public. Il serait souhaitable de mutualiser les efforts nationaux sur de grands projets dans les domaines de la recherche, de l’innovation, de l’énergie, des infrastructures de transport et même de la défense. C’est le seul moyen d’atteindre une masse critique, gage d’efficacité. Les réformes proposées n’ouvrent, hélas ! aucune perspective dans ce sens, ou si peu ! Elles révèlent surtout un manque d’ambition et de volonté politique.

Une réflexion sur les ressources communautaires, sur le niveau du budget et sur les possibilités d’emprunt s’impose dans le cadre des négociations sur les perspectives financières d’après 2013.

Enfin, j’évoquerai brièvement la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière pour venir au secours de pays qui pourraient faire défaut à l’avenir. S’il semble acquis que le secteur privé y contribuera, de quelle manière et à quelle hauteur ? Les banques ont bénéficié de l’argent public, pour des montants considérables, et certaines ont réalisé depuis d’énormes profits sans aucune contrepartie. Monsieur le ministre, que propose la France pour enfin les responsabiliser ? Je n’ose dire les moraliser.

Pour conclure, le Conseil européen du mois d’octobre dernier a lancé des pistes qui doivent être précisées et concrétisées, mais qui demeurent insuffisantes. Il est urgent de dégager l’Europe de la tutelle des marchés financiers, ce point est presque unanimement reconnu. Cela suppose notamment de faire jouer un autre rôle à la Banque centrale européenne. Pourquoi ne pas avoir envisagé la mutualisation d’une partie des dettes souveraines, de même que le recours aux bons européens placés sur le marché au même taux ? La véritable gouvernance économique, celle que les membres du RDSE appellent de leurs vœux, implique une politique de convergence des marchés du travail, des systèmes de retraites, de la politique fiscale. Nous considérons que le moment est venu de changer les règles du jeu du système économique européen, en accord avec nos partenaires, dans le sens d’une politique de relance.

M. le président de la commission des affaires européennes et M. Pierre Fauchon applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l’ampleur des crises financières à répétition que traversent les pays de la zone euro et à leurs multiples conséquences, économiques, sociales mais aussi institutionnelles, le groupe CRC-SPG avait demandé, en urgence, un débat parlementaire extraordinaire. Nous regrettons profondément qu’il nous ait été refusé par la conférence des présidents et par le Gouvernement.

À rebours de l’argumentation qui nous a été opposée, nous pensons que, loin de gêner le Gouvernement et d’inquiéter ou de provoquer les marchés, un tel débat aurait au contraire pu montrer la détermination de la représentation nationale à vouloir trouver des solutions communes avec nos partenaires européens et conformes à l’intérêt général communautaire. En effet, les maux principaux dont souffre l’Union européenne en cette période de crise inédite sont l’action en ordre dispersé, le repli sur les égoïsmes nationaux et, surtout, la défense des intérêts économiques privés, au détriment des populations.

De fait, ce débat, nous l’avons aujourd'hui, à la veille d’un Conseil européen décisif pour l’avenir de l’Union européenne et de sa monnaie.

Monsieur le ministre, vous ne vous étonnerez pas que je ne partage pas le relatif optimisme dont vous avez fait preuve, et ce parce que je suis fondamentalement en désaccord avec vos explications sur les raisons de la crise – ce sont aussi celles du Président de la République – et avec les propositions de solutions que vous défendrez avec lui lors du prochain Conseil européen. Vous examinerez essentiellement la nécessité de prolonger, au-delà de 2013, le mécanisme adopté les 28 et 29 octobre dernier destiné à juguler la crise des dettes souveraines qui a déstabilisé la Grèce et qui s’attaque désormais, sous une autre forme, à l’Irlande.

De profondes divergences existent entre les pays d’Europe, en particulier entre la France et l’Allemagne, sur la raison d’être et l’utilisation du Fonds européen de stabilité financière. À cet égard, je ne suis pas convaincu que le sommet franco-allemand, qui s’est tenu à Fribourg à la fin de la semaine dernière, a réellement levé tous nos désaccords.

Mais, au-delà des divergences apparentes, il existe, sur le fond, un accord de tous nos partenaires pour appliquer des solutions qui, pourtant, ne permettront pas de nous prémunir contre ces crises à répétition.

La recette que vous utilisez est simple : il s’agit ni plus ni moins que de continuer à renflouer ceux qui sont directement responsables de la crise. Car ce qui est présenté comme un bras de fer entre les marchés financiers et les institutions de la zone euro n’est qu’un théâtre d’ombres. En effet, ces derniers en demandent toujours plus.

Les prétendus plans d’aide ou de sauvetage de la Grèce et de l’Irlande, le Fonds européen de stabilité financière, les interventions massives de la Banque centrale européenne sur le marché des obligations des États attaqués, le projet de mécanisme permanent de résolution des crises ont été inefficaces à rassurer les marchés et n’ont pas empêché la crise de faire tache d’huile. Au contraire, tous ces dispositifs, qui ont aussi révélé la faiblesse et le retard des États à réagir, les ont rendus plus exigeants.

Plutôt que d’épouser cette logique aveugle et destructrice, cette logique de soumission, il faut en adopter une autre : cesser cette fuite en avant et faire prévaloir, grâce à des solutions politiques, l’intérêt général sur les intérêts privés.

Jacques Delors, qui n’est pourtant pas tout à fait ma référence en ce domaine, a fort justement analysé la situation voilà quelques jours dans un entretien au Monde, estimant que « ce n’est pas aux banquiers qui ont reçu des États, comme prêts ou garanties, 4 589 milliards d’euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. [...] la politique doit être l’ultime référence et je refuse que ces banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro ! »

Lorsque les règles du marché sont à l’origine de la faillite des banques, ce n’est pas aux peuples d’Europe de renflouer ces établissements. C’est pourtant exactement ce qui a été fait pour l’Irlande. Le plan de l’Union européenne et du Fonds monétaire international a voulu sauver de la faillite un secteur bancaire qui était précisément à l’origine de la fragilisation de l’État irlandais.

C’est en profitant de la dérégulation financière et de bas taux d’intérêt offerts par l’euro que les banques ont consenti des prêts très risqués, qui ont provoqué une bulle immobilière. Lorsque cette dernière a éclaté, le système bancaire n’a pu éviter la faillite qu’au prix d’une garantie de 50 milliards d'euros de recapitalisation sur fonds publics.

Mais le tonneau des Danaïdes financier que représente le renflouement des banques a de lourdes conséquences sur la réalité économique et sociale du pays. Tout cet argent public – il s’agit de sommes colossales ! – est autant de moins consacré aux dépenses sociales. Alors, pour les populations, tout s’enchaîne avec une logique implacable : augmentation du chômage, aggravation de la pauvreté et de la précarité, casse des droits sociaux et des services publics. Tel est le contexte dans lequel l’Union européenne et le Fonds monétaire international, le FMI, sont intervenus pour tenter de mettre l’Irlande à l’abri des attaques spéculatives des marchés.

La logique de ce plan de sauvetage est simple : faire payer les pertes à la collectivité tout en préservant les profits du secteur privé. Cependant, ce type de solution ne rassure même pas les marchés. Déjà, les agences de notation désignent la liste des prochains pays auxquels s’attaquer. Certains experts avancent même l’hypothèse que la France ne soit pas à l’abri.

Il faut avoir le courage politique de tirer les enseignements de cette impasse et ne pas persister à vouloir appliquer les mêmes solutions, même édulcorées, comme le souhaite l’Allemagne, qui voudrait faire contribuer quelque peu les marchés aux pertes de ses investissements.

Ajoutons à tout cela que l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, qui a coïncidé avec la crise de la dette en Grèce, a révélé que le traité de Lisbonne, en raison de ses dysfonctionnements, était caduc. L’Europe a notamment découvert qu’elle était tout simplement impuissante à protéger sa monnaie.

Si vous aviez prioritairement le souci de l’intérêt général communautaire, tous ces éléments devraient vous inciter à poser de nouveaux principes et à proposer de nouvelles orientations.

Notre pays pourrait préconiser, par exemple, de modifier les objectifs du pacte de stabilité, qui rationne les dépenses publiques.

Il devrait aussi avoir l’audace de proposer de favoriser les investissements utiles à l’emploi, à la formation et au développement des territoires, grâce à un crédit sélectif, et bien sûr de taxer sérieusement les mouvements de capitaux pour dissuader la spéculation.

Pour notre part, nous soutenons le projet récemment soumis par plusieurs partis de gauche représentés au Parlement européen.

Ces derniers préconisent, à l’inverse du Fonds européen de stabilité financière imposant une cure d’austérité aux pays affichant un déficit public trop élevé, la création d’un « fonds européen pour le développement social ».

Celui-ci aurait vocation à financer des investissements publics en matière d’emploi, de formation, de recherche, d’environnement et d’infrastructures publiques. Il serait abondé par une sérieuse taxation des transactions financières et nécessiterait impérativement de modifier les missions de la Banque centrale européenne.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions dont le groupe CRC-SPG souhaitait vous faire part à la veille du prochain Conseil européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Denis Badré

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe est-elle en crise ?

Oui, comme toujours, dirais-je, puisqu’elle est réputée progresser de crise en crise, ou plutôt de résolution de crise en résolution de crise.

D’ailleurs, le mot grec « » ne signifie-t-il pas « moment décisif ? » Oui, nous sommes de nouveau au temps des décisions, celles dont nous sommes en droit d’attendre qu’elles offrent à l’Europe de vraies stratégies pour le long terme.

Les coups de boutoir des mouvements spéculatifs, qui affectent les dettes souveraines des États de l’Union, doivent être clairement, financièrement et politiquement, découragés.

L’Union européenne ne peut plus se contenter de passer le cap irlandais après avoir franchi les écueils grecs, en se préparant à affronter de nouvelles tempêtes. Il y va de l’intérêt général, celui de l’Union, donc de tous ses membres, qu’ils soient immédiatement menacés ou non.

Commençons par cesser d’écouter avec une complaisance assez irresponsable ceux qui préconisent la fin d’un euro qu’ils n’ont jamais accepté. Ils font directement le jeu des spéculateurs, qui misent précisément sur toutes les formes d’agitation ou de déstabilisation monétaire. Ils ne voient pas que les dévaluations compétitives, qui nous ont tant affectés dans les années quatre-vingt, seraient d’aimables distractions à côté des drames dont l’euro nous a protégés et dont souffrent toujours les plus faibles.

Sauf pour Gribouille, il ne peut être question de repartir en arrière. Imaginons ce que deviendrait le poids de notre dette, déjà beaucoup trop lourd, si nous devions rembourser celle-ci en francs dévalués, à des taux qui s’envoleraient ! Les analystes sérieux ne peuvent imputer à l’euro ni la crise grecque, ni les difficultés de l’Irlande, ni même les déficits français.

Dès lors, euro il y a et continuera à y avoir, et nous devons regarder la situation en face.

Nous avons des politiques budgétaires nationales, que le pacte de stabilité et de croissance est censé contrôler. Ce pacte est de nature intergouvernementale et se révèle, à l’usage, trop peu contraignant.

Nous avons un budget européen dont les dépenses sont en principe de nature communautaire, mais dont les recettes restent pratiquement intergouvernementales, puisqu’elles sont votées à hauteur de 85 % par les parlements nationaux.

Certes, nous avons une politique commerciale et une politique de concurrence communes. Tout cela ne fait pas une politique économique commune, loin s’en faut.

Nous disposons d’une monnaie unique, quant à elle parfaitement communautaire.

Dans un domaine économique très inachevé, en friche, l’euro existe !

Sa mise en place a même représenté une réelle perte de souveraineté pour les États, puisque frapper monnaie constitue l’un des premiers privilèges de souveraineté. Malheureusement, cette démarche, authentiquement communautaire, a été engagée dans des conditions assez confuses et de manière insuffisamment assumée, quasi honteuse, devrais-je dire.

« L’Europe se construira petit à petit et par des réalisations concrètes », disait Robert Schuman. Nous y sommes. Une percée heureuse a été réalisée, presque par surprise. Mais il faut que l’armée suive, et rapidement si possible.

Le traité de Maastricht, qui a porté l’euro, aura bientôt vingt ans. Il est plus que temps de regrouper nos forces vers l’avant, autrement dit les éléments avancés, dangereusement exposés, le gros de l’armée restant dans ses quartiers. Nous n’avons plus le choix, car il ne peut être question de replier les éléments de pointe sur les bases arrière.

Prenons, par exemple, un sujet d’actualité assez controversé, les euro-obligations. Selon l’idée qui a été lancée par le président Juncker, elles seraient émises solidairement par les États de l’Union européenne. Voilà une démarche intergouvernementale : le taux de telles obligations et leur notation s’établiraient autour de la moyenne de ce qu’ils pourraient être pour chaque État participant au « collectif » de lancement.

Nous pouvons comprendre la réaction de l’Allemagne, qui préfère évidemment continuer à opérer seule et pour son compte avec un taux moindre et une meilleure notation.

La solution, en théorie économique, pourrait être de faire agir non pas l’ensemble des États, mais leur Union, c’est-à-dire de passer à une démarche communautaire.

Cependant, le budget de l’Union européenne, qui n’est pas vraiment communautaire, je le notais à l’instant, ne permet pas actuellement d’emprunter.

S’il était possible de faire sauter ce verrou, si l’Union européenne pouvait emprunter, c’est elle qui apporterait la meilleure garantie, sans dérapage de taux ni décote de notation. Ce serait l’alignement sur les meilleurs, et non plus sur la moyenne.

À nouveau, c’est non pas l’euro qui est en cause, mais le caractère inachevé de la démarche de la construction économique européenne.

Le Fonds européen de stabilisation financière marquait une volonté. S’il était nécessaire de le créer, il ne constitue pas la solution miracle.

Des mesures de supervision financières doivent être introduites pour éviter qu’un défaut de paiement n’entraîne des conséquences systémiques. Le fonds ne peut jouer son rôle hors d’une réforme profonde du pacte de stabilité, sans coordination et surveillance des politiques budgétaires des États. Il doit suffire à endiguer les crises, à l’expresse condition toutefois que tout ait été fait pour les prévenir.

À cet égard, il faut d’urgence concrétiser les propositions adoptées par le Conseil des ministres du mois d’octobre dernier qui visaient en particulier à obliger les États à se doter d’un cadre budgétaire pluriannuel – la France est engagée dans cette voie –, à accélérer les procédures contre ceux qui ne respectent pas le pacte, à conditionner les financements communautaires à son application. Oui, il faut trouver le bon équilibre entre l’autonomie budgétaire des États et une nécessaire discipline collective.

Le choix de ne pas appliquer de sanctions à la France et à l’Allemagne, en 2003, a porté un coup à la crédibilité du pacte, il faut bien le dire. La crise de 2008-2009 a souligné l’inadaptation de ce dernier en révélant que les dangers pouvaient provenir du secteur privé, comme du dérapage des finances publiques. Enfin, le choix de la solidarité avec la Grèce ou l’Irlande, qu’il fallait faire et assumer, confirme que les difficultés financières d’un État sont désormais bel et bien devenues l’affaire de tous.

Dans un tel contexte, une réforme du pacte, même si elle est incontournable, ne représente elle-même qu’une solution de court terme.

Elle maintiendra les apparences de la souveraineté, mais en corsetant les choix de politique économique. Elle accordera un rôle central à des experts, au détriment de la légitimité démocratique. Enfin, elle continuera à se focaliser sur les seuls comptes publics, en perdant de vue les risques majeurs liés aux disparités de compétitivité des États et aux endettements privés.

Au-delà du pacte, il faudra bien accepter d’aller vers une souveraineté partagée. Celle-ci supposera des choix collectifs prenant en compte la conjoncture et la situation de chaque pays. Pour instaurer une confiance réelle entre les États, elle exigera un système crédible d’incitations et de sanctions financières. Elle devra couvrir l’ensemble du champ de l’économie. L’engagement de tous dans ce sens préfigurerait enfin ce « gouvernement économique européen », objet jusqu’à présent de tant de sympathiques, mais vaines incantations.

Je ferai quelques observations à ce point de mon exposé.

Qui dit « rigueur partagée » commence par dire « rigueur », monsieur le ministre. Cette dernière va devoir être comprise et acceptée par tous les Européens.

Des décisions aussi lourdes pour l’avenir ne peuvent plus être arrêtées simplement dans le secret des Chancelleries et de réunions à haut niveau. Les Parlements, le Parlement européen comme ceux de nos États – le vote des budgets nationaux reste bien l’une de leurs prérogatives essentielles –, doivent y être associés. Le débat de ce jour nous engage dans cette voie qu’il ne faudra donc plus quitter.

Comme les enjeux sont lourds et la matière compliquée, ne faut-il pas en outre envisager immédiatement, monsieur le ministre, un grand effort de pédagogie, qui serait mené conjointement par les pouvoirs législatifs et exécutifs nationaux et communautaires ?

Qui, parmi nos concitoyens, sait ce que signifie et ce que suppose une supervision financière, ce qu’impliquent une coordination et une surveillance des budgets nationaux ?

J’en viens à l’affaire du budget européen pour 2011.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, mercredi, en séance plénière, le Parlement européen devrait approuver, nous l’espérons en tout cas, le compromis préparé la semaine dernière sur le budget européen.

Le Conseil qui se tiendra le lendemain pourrait alors en prendre acte. Ce serait tant mieux, car une impasse budgétaire aujourd’hui compromettrait, notamment, le lancement du service européen pour l’action extérieure et le financement d’ITER, c'est-à-dire le réacteur thermonucléaire expérimental international, sans arranger, loin de là, tout le reste.

Notons donc que cette autre « crise annoncée » va sans doute pouvoir se dénouer, mais elle laissera ouvert le débat délicat sur la nature du budget européen, sur son financement à partir de ressources propres, sur le nécessaire recentrage de ses dépenses sur les compétences de l’Union européenne, débat qui va interférer avec celui qui s’engage sur les perspectives financières 2014-2020, autre grand et beau sujet.

Je ne développerai pas ces thèmes, monsieur le ministre, mais je suis évidemment à votre disposition pour les aborder, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances.

Si les parlements nationaux doivent désormais accepter un regard communautaire sur les budgets nationaux, le Parlement européen devra lui aussi admettre celui des parlements nationaux sur toutes les questions touchant à un budget européen dont, après tout, nous votons toujours l’essentiel des dépenses.

À nous de dégager les voies qui permettront aux parlements nationaux et au Parlement européen de vivre ensemble leurs responsabilités européennes respectives, responsabilités consacrées de part et d’autre par le traité de Lisbonne. De leur capacité à nouer un dialogue constructif et équilibré dépendra une bonne prise en compte des intérêts nationaux et de l’intérêt commun.

Plus que jamais, l’Europe, c’est nous ! À nous de revenir à l’essentiel, de retrouver le sens de l’avenir et l’esprit communautaire. À nous de conforter, comme vous venez de le faire à Fribourg, monsieur le ministre, un couple franco-allemand qui ne soit ni dominateur ni donneur de leçons, un couple franco-allemand qui rappelle simplement à tous pourquoi et au service de quelles valeurs a été lancée la construction européenne.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette période de turbulences budgétaires et monétaires, la maison Europe n’en finit pas de trembler.

Toutefois, dans une Europe unie par la monnaie, mais non unie fiscalement, sans budget important et sans volonté de coopération en matière économique pour obtenir davantage de croissance, les intérêts égoïstes et les trajectoires purement nationales dominent, au risque de saper peu à peu les bases mêmes du projet européen.

La présente crise a révélé bien des paradoxes, qui, s’ils ne sont pas résolus au plus vite, risquent de remettre en cause la légitimité de la construction européenne dans son ensemble. J’en soulignerai deux, majeurs à mes yeux.

Tout d’abord, les gouvernements annoncent vouloir régler le problème de l’instabilité monétaire et budgétaire sans pour autant remonter à ses origines mêmes.

Les failles de l’Union économique et monétaire sont pourtant apparues au grand jour dès le mois de janvier dernier : dérive budgétaire grecque, crise du système bancaire irlandais, éclatement de la bulle immobilière espagnole.

Lors du prochain Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement vont se mettre d’accord sur la création d’un mécanisme européen de stabilité. Il aura donc fallu attendre mi-décembre pour qu’un mécanisme permanent de traitement des crises de dette souveraine soit adopté par l’Union européenne, après de nombreuses tergiversations, hésitations et déclarations intempestives de part et d’autre. Et encore, ce mécanisme est loin de régler le problème.

En effet, d’une part, les gouvernements refusent d’aller plus loin dans l’intégration européenne et s’opposent à tout nouveau transfert de souveraineté. L’intervention du FMI et de son excellent directeur général, Dominique Strauss-Kahn, …

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

… montre à quel point l’Union européenne ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour imposer les conditions de prêts à un État et, donc, des procédures permettant une réelle coordination, voire une intégration des politiques budgétaires nationales.

Or, dans une Union européenne dominée par des États frileux et conservateurs, toute vision d’une Europe politique intégrée est rejetée. Comment alors garantir l’efficacité du nouveau mécanisme de surveillance européen, si l’on n’assume pas définitivement que, dans une union économique et monétaire, un certain nombre de règles doivent s’imposer aux États ?

D’autre part, ces règles doivent prioritairement viser la reprise de la croissance et l’harmonisation fiscale, notamment de l’impôt sur les sociétés, tout autant que l’assainissement des finances publiques. L’austérité ne doit en effet pas se transformer en récession et le mécanisme européen de stabilité, en outil européen de casse sociale. Ce serait tout simplement catastrophique en soi, mais également pour l’image de l’Union européenne auprès des citoyens.

Enfin, pour être véritablement crédible, il est impératif que ce mécanisme s’accompagne d’une réforme plus globale de la zone euro et de l’Union européenne.

Qu’en est-il, monsieur le ministre, de la création d’euro-obligations ? Je reprendrai à cet égard les observations formulées par Denis Badré. Faut-il préférer que la zone euro continue à mettre en concurrence les taux d’intérêt des dettes souveraines pour le plus grand profit des marchés financiers ?

Qu’en est-il de la création d’un véritable budget européen, doté de ressources nouvelles et permettant d’utiliser les effets de levier dont on se prive aujourd’hui sur le plan économique ?

Qu’en est-il de l’harmonisation fiscale ou de la proposition de taxer les profits financiers, afin de faire payer, en toute transparence, les vrais responsables de la crise actuelle ?

Les socialistes demandent un projet ambitieux et global pour l’Union européenne et non un énième rafistolage, peu à même de rétablir la confiance dans l’euro, et, plus généralement, dans l’Union économique et monétaire.

J’en viens au second paradoxe, et non des moindres, que je veux souligner. L’Union européenne s’est dotée, sur le plan intérieur comme à l’échelon mondial, de nouvelles ambitions, mais elle ne semble pas prête à se doter des moyens nécessaires pour les assumer.

La stratégie Europe 2020, adoptée au printemps dernier, dote l’Union européenne de priorités claires en faveur de politiques d’innovation, au service de la croissance et de l’emploi. Je ne peux que me réjouir de l’adoption d’objectifs chiffrés en matière d’éducation et de réduction de la pauvreté.

Pour autant, les politiques d’austérité mises en œuvre risquent fort de mettre à mal la réalisation de ces objectifs. De ce point de vue, des inquiétudes ont été exprimées lors de la journée syndicale européenne du 29 septembre dernier.

À cet égard, l’exemple de l’Irlande est frappant : alors que la stratégie Europe 2020 met l’accent sur l’éducation et la formation et vise une réduction du taux de pauvreté de 25 %, les mesures annoncées en contrepartie du plan d’aide prévoient, entre autres, une réduction du salaire minimal, une diminution des prestations sociales et une hausse des coûts de scolarité pour les étudiants universitaires ! Le taux d’imposition sur les sociétés reste, en revanche, inchangé ! Dans ce contexte, quel crédit peut-on donner à la stratégie Europe 2020, monsieur le ministre ?

En outre, les financements manquent. Et aujourd’hui, la tentation est grande d’utiliser, pour financer cette nouvelle stratégie économique, l’enveloppe des fonds de cohésion auxquels nos collectivités locales, en général, et nos communes, en particulier, sont très sensibles. En matière économique et sociale, l’ambition de l’Union européenne pour 2020 risque donc de tourner court !

Autre exemple de ce paradoxe, le traité de Lisbonne entérine la vision d’une Union européenne actrice du jeu mondial, capable d’affirmer et de diffuser ses valeurs. La création du service européen pour l’action extérieure, ou SEAE, et du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en témoignent et sont susceptibles de créer une véritable dynamique.

L’une des cinq priorités de la Commission européenne pour 2011 est également que l’Union européenne « pèse de tout son poids » sur la scène internationale. Nous nous félicitons de cette ambition, concrétisée par la mise en place officielle du SEAE au 1er décembre dernier.

Pour autant, nous savons tous combien l’émergence de l’Union européenne en tant qu’acteur politique mondial dépendra de l’attitude et de la bonne volonté des États membres à agir de concert sur le plan diplomatique comme économique.

Or dans le domaine de l’énergie, force est de constater que chaque État membre poursuit son propre intérêt stratégique. Au lieu de construire une véritable communauté européenne de l’énergie, comme l’a proposé Jacques Delors, que j’approuve, nous nous enfermons dans des relations bilatérales, au risque d’y perdre influence, sécurité d’approvisionnement et argent ! Alors que la Commission européenne vient d’émettre une communication sur ce sujet, quelle sera l’ambition de la France en la matière ?

Au risque de paraître un peu cruel, je citerai comme nouvel exemple, et non des moindres, l’Union pour la Méditerranée. Le Président de la République en avait fait l’un des projets phare de son programme. Mais deux ans et demi après son lancement en fanfare, force est de reconnaître que ce projet tourne au fiasco. Preuve en est l’annulation du sommet de Barcelone qui devait se tenir le mois dernier. En définitive, le processus de Barcelone semble avoir été tué, sans pour autant être remplacé, l’Union européenne étant parallèlement affaiblie. Beau résultat !

L’Union pour la Méditerranée est un projet essentiellement intergouvernemental, qui a dépossédé les institutions européennes des relations avec la rive sud de la Méditerranée. Si le processus de Barcelone était imparfait à de nombreux égards, il n’en demeure pas moins qu’il avait le mérite d’exister et de proposer, dans un cadre intégré, une relation entre les deux rives de la Méditerranée.

Aujourd’hui, face au fiasco de l’Union pour la Méditerranée, Mme Ashton souhaiterait que ce projet revienne dans le giron de l’Union européenne. Monsieur le ministre, la France saura-t-elle satisfaire la demande, toute légitime, de la Haute Représentante et apporter ainsi son soutien aux nouvelles institutions créées par le traité de Lisbonne en matière de politique extérieure ?

En conclusion, au-delà des grandes déclarations, bien françaises, sur l’« Europe-puissance », il est aujourd’hui prioritaire de renouer avec les principes qui ont fait le succès de l’Union européenne : l’intégration, la solidarité, la défense des intérêts communs et la coopération. On ne pourra pas réconcilier les citoyens avec le projet européen si l’Europe se résume à des décisions économiques injustes et à des ambitions sans moyens. La responsabilité des chefs d’État et de gouvernement est, à cet égard, immense. Nous espérons qu’ils en ont conscience et qu’ils sauront, dans quelques jours, en tirer toutes les conséquences.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat préalable au prochain Conseil européen, je souhaite vous faire part de mes impressions à mon retour d’une mission d’étude que je viens d’effectuer en Irlande à la demande de la commission des affaires européennes du Sénat et de son président, Jean Bizet, que je tiens à remercier.

Considérée voilà encore peu de temps comme un excellent élément de la zone euro, souvent citée en exemple pour sa discipline budgétaire, l’Irlande se distingue aussi par l’affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale. La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser cette réputation, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l’intervention financière de l’Union européenne.

Je voudrais vous présenter très succinctement les grandes lignes de mon rapport d’information.

Tout d’abord, il me paraît très important de rappeler que la croissance qu’a connue l’Irlande au cours de la période 1992-2006 est le fruit d’une stratégie menée en solitaire au sein de l’Union européenne.

Bénéficiant jusqu’en 2004 des fonds de cohésion de celle-ci, ce pays a reçu, entre 1973 et 1999, une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et a pu ainsi financer en partie la modernisation de ses structures.

Parallèlement et au moyen d’une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, il a su dynamiser son économie. Le taux de l’impôt sur les sociétés, qui est le symbole de cette course à la croissance en solitaire, s’élève à 12, 5% depuis 2003, alors que la moyenne européenne s’établit à 27, 5 %.

Cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l’Éire un territoire attractif, ouvert, drainant encore l’an passé 110 milliards d’euros d’investissements directs étrangers.

Les fruits de la croissance ont été investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, qui faisait alors preuve d’une certaine atonie. Les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s’est créée à ce moment-là, conduisant artificiellement les prix à grimper. Ce sont 17 % des revenus de l’État qui vont alors provenir de l’immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. Ce secteur est ainsi devenu le deuxième moteur de la croissance irlandaise.

Cette stratégie, encouragée à l’échelon national, n’a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du Fonds monétaire international. Je rappelle que les stress tests bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné au mois de juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables.

Comme nous le savons, la crise financière mondiale a rappelé très durement la fragilité de ce tropisme immobilier.

À ce stade de mon intervention, je me dois d’insister sur un point : la crise bancaire irlandaise est une crise home made, « faite maison », selon les termes du gouverneur de la Banque centrale de ce pays. Elle est bien le fruit des responsabilités locales. Les banques irlandaises ont pensé pouvoir croître au-delà de leur base de départ. Elles ont agi imprudemment. Le gouvernement irlandais a facilité cette dérive, en octroyant nombre d’avantages fiscaux et réglementaires, allant même jusqu’à garantir, à l’automne 2008, l’intégralité des dépôts bancaires et des prêts. Il n’a, par ailleurs, pas suffisamment encadré l’activité bancaire au travers d’une régulation efficace.

Cette crise se traduit, pour les banques irlandaises, par un défaut de solvabilité suivi d’un manque de liquidités. Le gouvernement irlandais se retrouve lui aussi confronté à un problème en la matière. Ses investissements massifs dans le secteur bancaire, conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise, ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011.

C’est dans ce contexte délicat qu’intervient la demande d’utilisation du mécanisme européen d’ajustement financier. Si la situation irlandaise n’a rien à voir avec le caractère d’urgence que revêtait le cas grec, le nouveau plan d’austérité annoncé par le gouvernement de ce pays ne paraissait pas suffisant pour juguler la crise de liquidités qui menace à terme l’État irlandais.

Cet appel à l’aide n’est pas sans poser un véritable problème politique pour le gouvernement de Brian Cowen, déjà au plus bas dans les sondages d’opinion et ne disposant plus que d’un soutien relatif au Parlement. L’intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont, en effet, vécues comme une atteinte à l’indépendance nationale.

Il existe au sein de la population une profonde défiance à l’égard de l’Union européenne, le discours de la Commission à l’égard de l’Irlande étant jugé trop sévère. La Banque centrale européenne est, par ailleurs, considérée comme l’avocate des grandes banques européennes.

Pour autant, l’euroscepticisme latent de la population irlandaise ne doit pas occulter le rejet que lui inspire le gouvernement actuel. Le refus de celui-ci de mettre en œuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers, l’impunité dont jouissent les banquiers impliqués dans l’effondrement du système génèrent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections au mois de février prochain devrait, en partie, permettre de dépasser ce dernier.

La dureté du plan proposé par le gouvernement irlandais peut laisser songeur, tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, il ne prévoit pas d’actionner le levier de l’imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée.

En Irlande, cet impôt demeure, en effet, un sujet tabou, l’immuabilité de son taux suscitant un large consensus au sein de la société. Il s’agit d’un élément fondamental de l’identité nationale irlandaise à l’heure de l’intégration européenne.

Et les autorités ont toujours affirmé que la révision du taux d’imposition sur les sociétés ne pouvait constituer un préalable à l’octroi de l’aide. Par ailleurs, aucune alternative à l’aide européenne, par exemple, la liquidation complète du fonds de réserve des retraites ou la vente d’actifs de l’État, ne semble crédible.

Je ne reviendrai pas sur le détail de cette aide européenne adoptée par le Conseil Ecofin du 28 novembre dernier, sinon pour relever que l’accord prend soin d’indiquer que l’aide et les conditions de celle-ci respecteront les fondamentaux de l’économie irlandaise.

L’Union européenne n’entend donc pas imposer un débat sur la fiscalité des entreprises en Irlande. Elle souhaite accompagner les réformes ambitieuses et courageuses du gouvernement irlandais qui, je vous le rappelle, a entrepris de réduire de 15 milliards d’euros ses dépenses en quatre ans.

Il convient, à cet égard, de souligner la spécificité de la crise irlandaise, qui reste avant tout une crise bancaire. À la différence d’autres pays de la zone dite « périphérique », notamment l’Espagne et le Portugal, l’Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d’un déficit de compétitivité.

Demeurent néanmoins quelques interrogations. Le poids de l’endettement privé – 160 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB – risque de peser durablement sur la reprise de la consommation. Le chômage des non-diplômés issus du secteur du bâtiment ou de la distribution demeure important. L’émigration de diplômés, cette nouvelle fuite des cerveaux vers les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, est également source d’inquiétude.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que, au-delà du montant de l’aide, les marchés demeurent si sensibles au contexte de celle-ci qu’il est impossible de dire, à l’heure actuelle, si l’intervention de l’Union européenne et du Fonds monétaire international sera suffisante.

La rapidité de la réaction européenne ne saurait éluder les questions que pose une intervention financière européenne dans un pays qui a pris soin de déterminer en solitaire ses orientations économiques, usant largement de la concurrence fiscale au détriment de ses partenaires au sein de l’Union européenne.

Cette crise n’est, en effet, pas sans incidence sur la gouvernance économique de l’Union européenne. La faillite du système bancaire local renfloué par les deniers publics européens laisse songeur et donne du sens au souhait allemand de faire participer les établissements financiers au mécanisme permanent de gestion des crises prévu pour 2013.

Elle invite également la Commission à renforcer les normes en matière de supervision bancaire, notamment pour ce qui concerne les stress tests, ces tests de résistance des banques aux chocs macroéconomiques, afin de prévenir ce type de crise.

Elle incite enfin l’Union à accélérer la mise en place du mécanisme de surveillance macroéconomique tel que mis en place par le Conseil européen des 28 et 29 octobre dernier.

En guise de conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’exprimerai une inquiétude. Les difficultés annoncées du Portugal devraient constituer, dans les semaines à venir, un test d’une tout autre ampleur. Croissance nulle depuis des années, absence de compétitivité, chômage important, cures répétées d’austérité sont autant d’éléments qui montrent que la crise portugaise n’est pas une crise de croissance sur le mode irlandais. Elle pousse à nous interroger, de surcroît, sur les conséquences économiques de l’introduction de l’euro et sur la réponse européenne durable et crédible que les chefs d’État et de gouvernement doivent impérativement trouver lors du prochain Conseil européen.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité des différentes interventions, auxquelles je m’efforcerai de répondre brièvement, mais de la façon la plus précise possible.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je voudrais souligner plusieurs points de votre exposé qui, dans votre approche du sujet, m’ont paru originaux.

Tout d’abord, vous avez rappelé des éléments de comparaison, qui sont d’une grande justesse. En réalité, en termes de déficit et de capacité à rembourser la dette, la zone euro est dans une situation bien meilleure que celle d’autres zones géopolitiques.

Ensuite, vous avez évoqué les lacunes que nous avions à combler tout en montrant à quel point, au fur et à mesure, l'Europe avance dans cette crise. J’ai bien aimé votre citation de Nietzsche ; je la trouve très juste. L’enjeu, effectivement, c’est d’être capables de sortir de la crise actuelle en ayant corrigé des faiblesses qui, finalement, préexistaient à la naissance de l’euro. Si tel est le cas, alors cette crise aura été assez salutaire pour la monnaie unique, en ce sens qu’elle aura permis de la renforcer.

Enfin, vous avez eu tout à fait raison d’insister sur l’effort conjoint à mener. Non, nous ne pouvons nous contenter de tout renvoyer à la solidarité et à la mutualisation communautaires. Cette idée d’effort partagé a été exposée dans plusieurs interventions : chaque pays doit prendre les mesures qui se révèlent indispensables, notamment du point de vue de l’assainissement des finances nationales.

La crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui sert aussi de révélateur et montre qu’un certain nombre d’États n’ont sans doute pas pris, au moment opportun, les bonnes décisions. Et l’euro n’est pas le paratonnerre miracle qui permettrait à chacun de s’exonérer de décisions macroéconomiques courageuses.

Je me tourne maintenant vers le président de la commission des affaires étrangères, qui a concentré son intervention sur un certain nombre de questions très précises.

L’Union européenne a d’autant plus besoin de trouver un accord sur le budget pour 2011 qu’il existe maintenant le service européen pour l’action extérieure. C’est précisément lui qui serait l’une des premières victimes collatérales de la non-adoption du budget pour l’année prochaine.

De ce point de vue, il faut tout de même noter que, au moment où tout le monde feint de s’interroger sur l’influence de la France, c’est l’un de nos meilleurs diplomates, Pierre Vimont, qui a été choisi pour occuper le poste de secrétaire général exécutif du SEAE. Cette nomination montre notre influence sur la mise en place de cette institution, que nous avons défendue.

À propos du renforcement de la position européenne au sein de l’ONU, j’ai envie de dire ceci : soyons vigilants, mais gardons-nous de tirer des conclusions trop hâtives.

Il s’agit en quelque sorte d’une « crise de début ». Les raisons de l’échec du dépôt de la première résolution tiennent sans doute avant tout à l’absence de préparation de la négociation, qui aurait permis d’associer les capitales en amont. Cela doit nous servir de leçon : s’il est effectivement très important que la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité porte un certain nombre d’initiatives – nous soutenons sa volonté de soumettre un nouveau projet de résolution dès que possible –, l'ensemble des États membres doivent pouvoir venir en support, avec leurs réseaux diplomatiques, pour assurer la réussite d’une telle résolution.

Par ailleurs, vous connaissez la position du gouvernement français sur le Monténégro. Les États des Balkans occidentaux ont vocation à rejoindre l'Union européenne. Notre responsabilité face à l’Histoire, c’est d’achever l’harmonisation complète du continent européen, surtout sur ce territoire d’où sont nées nombre des crises qui ont agité et traversé l'Europe depuis le XVIe siècle.

Il est très important que nous apportions notre pierre pour sceller définitivement l’œuvre de paix et de stabilité que l’on doit à la construction européenne. Pour autant, les processus de négociations doivent être décidés sur des bases exigeantes. Nous le devons non seulement aux États membres, mais aussi aux pays qui se portent candidats, car, autrement, c’est leur image même qui serait affaiblie par la suite. Soyons donc exigeants tout en gardant le cap qui a été clairement fixé et sur lequel nous sommes d’accord.

Quant au suivi parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense commune, les parlements nationaux sont évidemment pleinement amenés à jouer leur rôle et même à être force de proposition, notamment par rapport au Parlement européen. Monsieur le président de Rohan, vous avez envisagé l’opportunité d’organiser une coopération pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune et de politique de sécurité et de défense commune. Cette suggestion, que je trouve fort intéressante, est de nature à nous permettre d’avancer.

Vous avez évoqué, enfin, le « non-papier » germano-suédois sur les capacités européennes porté par le ministre zu Guttenberg, l’une des figures importantes du gouvernement d’Angela Merkel. Je ne peux que saluer cet effort riche et utile, mais je tiens toutefois à souligner le rôle qu’a joué Mme Ashton dans cette initiative, notamment sur le plan des différentes capacités. §Je rappelle que ce document distingue trois catégories de domaines de coopération, en fonction des niveaux de capacités constatés : ceux où la souveraineté nationale s’impose ; ceux où une coopération est possible ; ceux pour lesquels une dépendance mutuelle est acceptable.

J’en viens maintenant à votre intervention, monsieur Mézard. Vous qui êtes aussi l’un des représentants des élus de la montagne, je vous sais particulièrement sensible à la mise en œuvre d’une politique européenne de la montagne, qui est effectivement à construire.

Dans notre approche de la gouvernance économique, nous avons en effet intérêt à resserrer les mailles du filet pour être en mesure de prévoir, en amont, les crises susceptibles de survenir. J’y reviendrai en évoquant le propos de M. Humbert.

Comme vous l’avez parfaitement souligné, à l’évidence, le ratio entre la dette publique et le PIB n’offre qu’un spectre d’information trop étroit.

Il nous faut donc assurer la crédibilité du pacte sans dessaisir pour autant le pouvoir politique. Vous avez d’ailleurs très bien rappelé l'équilibre à respecter entre ces deux dimensions.

Il y a d’autres aspects sur lesquels nous devons travailler. Je pense notamment à la convergence fiscale, qui a été l’un des thèmes du sommet de Fribourg. Dépenser mieux, c’est l’un enjeux majeurs du budget communautaire.

Je vous rejoins sur la nécessité de responsabiliser les banques. Vous avez d’ailleurs relevé que le mécanisme pérenne de gestion des crises prévoit ce dispositif pour la première fois s’agissant de l’euro.

Oui, monsieur Billout, nous avons incontestablement des divergences d’approche, et heureusement ! C’est l'intérêt du débat démocratique et il y va du respect qu’on lui doit. Je vous remercie d’avoir exposé votre position, car il est important de pouvoir mesurer nos approches et nos perceptions respectives des leçons à tirer de la crise.

Toutefois, nous pouvons nous retrouver sur deux points.

D'une part, les banques et les créanciers privés doivent assumer leurs responsabilités. Les premières l’ont fait. Prenons l’exemple de l’Irlande : toutes les banques irlandaises ont été nationalisées et tous les actionnaires ont été amenés à payer les conséquences de ce qui relève sans doute d’une surexposition et d’une irresponsabilité dans la gestion du secteur bancaire irlandais. C’est la sanction la plus impitoyable pour tout actionnaire.

D'autre part, pour rebondir sur votre appel en faveur d’une relance de l'investissement, oui, je suis d’accord, beaucoup reste à construire, notamment dans le cadre d’un financement innovant permettant de travailler sur ce qui est malgré tout la plus grande force de l'Europe, c'est-à-dire sa capacité de recherche et d’innovation. Avec un investissement public « stratégisé », avec des débouchés opérationnels en termes d’emploi, nous pouvons réussir et avancer. La politique européenne en la matière est encore trop lacunaire.

Monsieur Badré, je salue votre vision de stratège. Je me retrouve bien dans les métaphores que vous avez employées, notamment dans l’idée que, en période de crise, une marche arrière en ordre dispersé serait la pire des actions. Vous avez également insisté sur la nécessité de redonner de la perspective, de repartir avec une vision de plus long terme, pour ne pas nous cantonner à gérer les crises les unes après les autres. De ce point de vue, les avancées obtenues en termes de gouvernance économique sont un vrai signe de maturité, voire de maturation progressive de ce débat sur la scène européenne.

En revanche, nous sommes plus réservés sur l’éventuelle émission d’Eurobonds, et ce pour deux raisons.

Premièrement, ce n’est pas le moment, alors que nous sommes encore au milieu du gué, de nous disperser. Il faut montrer aux observateurs que l'Europe tient le cap qu’elle s’est fixé et qu’il n’y a pas trop de dissension dans nos rangs.

Le temps n’est donc pas venu de formuler des propositions allant dans tous les sens. Nous avons un mécanisme de gestion. Je précise, pour répondre à l’une de vos interrogations, que la dotation qui lui est consacrée est correcte. Dans le contexte de crise actuel, une foire aux bonnes idées n’est vraiment pas utile. C’est plutôt d’application et de détermination que nous avons besoin.

Deuxièmement, il faut faire attention, car emprunter la voie de la mutualisation ne doit pas nous conduire à l’irresponsabilité. Le débat est ouvert. Chaque pays doit assumer les conséquences de ses actes, même pris dans le cadre de l'intérêt communautaire.

C’est un élément que vous-même avez d’ailleurs relevé dans votre intervention, puisque vous avez insisté dans la foulée sur la nécessité, pour la zone européenne, d’assurer une bonne gestion de ses crédits. Voilà une métaphore qui est en réalité très gaulliste. On a tendance à l’oublier, mais, en 1958, le général de Gaulle avait rappelé qu’un pays, avant de dépenser des crédits, devait s’assurer de les avoir dans son budget ; son premier travail avait été de remettre de l’ordre dans les finances publiques. Je me permets de citer cet exemple, même si je sais que ce n’est pas forcément celui auquel vous serez le plus sensible !

Monsieur Sutour, il importe, au regard des propositions avancées par le FMI, de veiller à ne pas créer de nouvelles attentes. Seuls 10 % des crédits du fonds dont nous disposons aujourd'hui ont été utilisés : les moyens sont suffisants, les méthodes adaptées. En cette période, il nous faut faire preuve de constance et de sang-froid.

Pour le reste, je me retrouve totalement dans vos propos. Sur le service européen pour l’action extérieure, le président de Rohan sait très bien qu’il est une région du monde où nous pouvons montrer la capacité du SEAE à avancer. Il s’agit du Sahel, pour lequel nous devons associer une politique de développement et des mesures de sécurité, afin d’éviter que ne se constitue, à nos portes, un hinterland abritant, notamment, des réseaux terroristes. Voilà deux logiques qui peuvent parfaitement se coupler : une logique d’aide, de développement d’un territoire, et une logique de sécurité pour l'Europe.

S’agissant de l’Union pour la Méditerranée, elle avance de façon intéressante dans un certain nombre de domaines, notamment en termes de formation professionnelle où s’ouvrent des perspectives très intéressantes. Pourraient en effet être constitués des centres européens de formation, en partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Les diplômes qui y seraient délivrés vaudraient pour l'ensemble du territoire de la Méditerranée. C’est souvent par la formation et l’éducation que l’on peut faire avancer les choses. J’attends donc beaucoup de ce volet, sur lequel nous avons travaillé.

Je terminerai en saluant l’intervention extrêmement précise de M. Humbert, auquel j’avais d’ailleurs rendu hommage dans mon intervention liminaire en soulignant la qualité de son rapport sur la crise irlandaise.

Vous avez, monsieur le sénateur, très bien relevé les deux leçons majeures qu’il convient de tirer de cette crise.

La première, c’est que le secteur bancaire irlandais souffrait de surexposition, avec un taux de risque excessif par rapport au PIB.

La deuxième, c’est que notre système de surveillance macroéconomique, focalisé sur les critères de Maastricht, est insuffisant. L’Irlande remplissait parfaitement les conditions fixées dans ce cadre : le niveau de son déficit et la part de sa dette dans le PIB n’étaient pas le problème principal.

Il nous faut avoir une vision plus globale et privilégier une approche qui, finalement, n’est que de bon sens. Nous devons vérifier que le cap de politique économique suivi par un pays lui permet d’être crédible eu égard à sa capacité à rembourser ses dettes ; ni plus ni moins.

Il ne suffit pas de faire l’analyse de ce qui s’est passé en Irlande. Il importe de savoir si l'Europe est capable de se poser les bonnes questions. Cela renvoie d’ailleurs à votre intervention, monsieur le président Bizet : les crises nous permettent-elles de nous renforcer ?

De ce point de vue, deux questions se posent.

Première question : faut-il une régulation bancaire ? Oui, et les propositions contenues dans le « paquet Barnier » sont destinées à nous protéger contre les défaillances de régulation du secteur bancaire dans les différents pays européens.

Seconde question : l'Europe saura-t-elle tirer les conséquences en termes de surveillance macroéconomique ? Là encore, je réponds par l’affirmative, car la gouvernance économique européenne nous permettra de mieux surveiller ces risques et de les anticiper.

Monsieur Humbert, vous avez conclu votre intervention en évoquant le Portugal. Après le président de Rohan, j’insisterai à mon tour sur l’importance de ne pas jouer les Cassandre dans la période actuelle. Le Portugal ne répond pas du tout aux mêmes critères que l’Irlande, et vous le savez parfaitement : son secteur bancaire, dont le poids est très faible par rapport au PIB, est très peu exposé ; sa dette reste extrêmement modérée au regard de ses capacités.

Le problème du Portugal n’est pas là. Ce pays doit prendre les mesures structurelles qui lui permettront d’avoir plus de croissance. À cet égard, une stratégie de soutien européen trouve tout son sens.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à M. Pierre Fauchon.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Sans être aussi qualifié que lui, je voudrais reprendre les propos de mon collègue Denis Badré sur les questions financières, en formulant quelques réflexions de bon sens.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que votre explication au sujet des euro-obligations nous laisse sur notre faim. Vous avez répondu à M. Badré qu’il ne fallait pas se disperser et multiplier les mesures de toutes espèces. Selon vous, l’intervention du fonds de soutien européen est très bien. Il faudrait suivre sérieusement cette voie avant d’envisager de faire davantage.

Ce n’est pas se disperser en initiatives désordonnées que de souligner la pertinence de l’idée de M. Juncker qui, entre nous soit dit, n’est pas le premier venu et dispose d’une grande expérience dans ce domaine. Néanmoins, d’après ce que j’ai lu dans le Bulletin quotidien, Mme Merkel et M. Sarkozy sont offensés de ne pas avoir été consultés au préalable.

Dieu sait que je crois beaucoup au binôme franco-allemand, mais de là à soutenir qu’il doit obligatoirement être consulté sur toute idée nouvelle serait exagéré. Il convient d’être prudent.

L’idée de M. Juncker reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs, ai-je entendu dire. Pour ma part, j’aime mieux prendre des mesures préventives contre l’incendie avant l’intervention des pompiers !

Dans le même temps, vous trouvez normal de pérenniser le fonds de soutien européen, qui, quant à lui, intervient alors que la crise est ouverte. Or l’emprunt permettrait d’éviter la survenance ou l’aggravation de la crise. C’est donc une mesure préventive et, jusqu’à nouvel ordre, mieux vaut adopter des dispositions préventives que curatives.

Je comprends l’argument récurrent invoqué par les Allemands qui consiste à regretter une attitude laxiste conduisant à aligner les bons élèves de la classe européenne sur les moins bons. Ainsi les États qui ne le méritent pas, si je puis dire, bénéficient des taux d’intérêt plus avantageux.

Ces euro-obligations doivent évidemment être assorties de conditions permettant de s’assurer que les bénéficiaires remplissent les exigences imposées de manière satisfaisante, ce qui n’est pas le cas des Irlandais ou des Grecs.

En matière de sanctions, j’ai cru remarquer que les Allemands sont beaucoup plus exigeants que les Français. Si j’ai bien compris, les premiers demandent des sanctions ou des mesures automatiques, refusées par les seconds.

Cela étant, il paraît tout à fait raisonnable de créer des obligations permettant une action préventive, au nom de l’Europe tout entière, tout en les utilisant avec soin, parcimonie, exigence et en assurant un meilleur suivi des économies des États qui voudraient en bénéficier. Je le répète, monsieur le ministre, votre réponse m’a passablement laissé sur ma faim. Il en est sans doute de même pour M. Badré, qui est encore plus affamé que moi.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Je vais répondre à la faim du sénateur Fauchon...

Lors de son intervention, M. Badré n’a pas plaidé en faveur des euro-obligations, mais a mis en évidence la nécessité de soutenir l’euro et, plus largement, de renforcer l’intégration communautaire. Je souhaite rendre justice à la précision de son raisonnement.

Je maintiens mon point de vue, monsieur Fauchon. Vous le savez parfaitement, nous en avons parlé en commission, les observateurs étrangers, en cette période, testent l’Union européenne, qui est une zone géopolitique subtile, pas forcément facile à comprendre pour ces derniers.

Il y a un temps pour des propositions constructives et innovantes et un temps pour l’action. La période actuelle est à l’action. Des propositions désordonnées nuisent à la lisibilité de cette action.

Tout le monde doit se rendre compte que l’ensemble des forces est concentré sur un objectif : faire face aux crises de l’euro qui menacent les différents États membres.

De ce point de vue, il convient de ne pas se disperser. La question des Eurobonds n’est pas d’actualité pour l’instant. Nous avons à notre disposition un outil correctement doté, le fonds de soutien européen, et qui fonctionne efficacement, comme l’a mis en évidence la crise irlandaise.

J’ai beaucoup d’estime pour M. Juncker. Il me semble seulement que le temps ne se prête pas à ce débat.

Nous sommes au milieu du gué. Construisons le pont, nous penserons ensuite à d’autres territoires à explorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Voilà un peu plus d’un an, le 1er décembre 2009, après quelques années très difficiles de réformes institutionnelles, est entré en vigueur le traité de Lisbonne.

La crise économique est survenue, avec des effets dévastateurs sur la zone euro, rappelés par les différents orateurs. Plusieurs pays ont été lourdement touchés, d’abord la Grèce, soutenue par l’Union européenne et le FMI, puis l’Irlande. Sans être alarmiste, demain, d’autres pays pourraient être affectés.

Le traité de Lisbonne, dans son état actuel, ne permet pas aux États membres de la zone euro de secourir l’un d’entre eux confronté à de graves difficultés budgétaires.

Le mécanisme européen de stabilisation, mis en place par le Conseil, pourrait évidemment n’être que temporaire. Néanmoins, le risque de contagion de la crise existe et d’autres États pourraient bientôt demander à bénéficier de ce dispositif.

Pour créer le futur fonds de soutien permanent aux pays en crise après 2013, d’aucuns, entre autres en Allemagne, soutiennent que le traité doit être réformé.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, la capacité d’action de l’Union européenne est actuellement mise à l’épreuve. Ce n’est pas vraiment d’actualité, mais certains avancent toujours l’idée de la mise en place d’une agence européenne de la dette, capable d’émettre des euro-obligations. L’Allemagne y est fermement opposée. Or ce système rendrait nécessaire la modification du traité de Lisbonne.

À la fin de votre intervention, monsieur le ministre, vous avez souligné que l’Union européenne était une question de bon sens. À cet égard, réviser le traité de Lisbonne n’est-ce pas prendre le risque d’ouvrir la boîte de Pandore ? Les réclamations de tous les frustrés de Lisbonne, les non français, irlandais, néerlandais, ainsi que les valses et hésitations tchèques et polonaises restent très présentes dans nos esprits.

Monsieur le ministre, je vous pose donc une question de bons sens : qu’en est-il exactement ? La fin de la crise financière en Europe doit-elle passer par un nouveau chapitre de la révision des traités ? Si tel était le cas, quel en serait le calendrier ?

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Je vous remercie, monsieur le sénateur, de cette question de bon sens et d’actualité, à laquelle je vais essayer de répondre très précisément.

La mise en place du mécanisme pérenne à partir de 2013 nécessite une révision du traité de Lisbonne pour un certain nombre d’États membres, dont l’Allemagne.

Mais, vous avez raison, le principal défi auquel nous sommes confrontés est de ne pas ouvrir la boîte de Pandore et la machine à fantasmes, qui nous entraîneraient dans un mécanisme de transposition aléatoire. Je garde le même cap : priorité, dans cette période, à notre crédibilité et à notre rapidité.

La France milite pour une révision la plus simple et la plus circonscrite possible, pour éviter d’ouvrir le champ et de multiplier les modifications du traité. Il s’agit seulement de procéder à une frappe chirurgicale.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

J’aborde ma question avec prudence, parce que je voulais participer à la foire aux idées, qui, je l’ai compris, n’est pas à l’ordre du jour. Le présent débat ne doit pas être l’occasion de se disperser.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Juncker a tout de même indiqué qu’il a fallu cinq ans pour que l’idée qu’il avait lancée soit ratifiée. Il y a donc bien un temps pour le débat et la réflexion, auquel nous, parlementaires, adhérons. Pour votre part, vous semblez vous situer dans celui de l’action.

Ma question porte sur la politique industrielle. Je sais qu’elle fait partie, comme la politique sociale, des vaches sacrées auxquelles il est régulièrement rendu hommage. Pourtant, rien ne se passe, rien ne bouge.

Je constate un grand refroidissement à l’échelon européen des relations industrielles de la France avec l’Allemagne, malgré le débat sur des participations croisées entre Areva et Siemens, celui, un peu faussé d’ailleurs, entre Alsthom et la SNCF sur la fourniture des Eurostar, et le retrait d’EDF du Bade-Wurtemberg.

Au-delà de ces cas, peu de choses sont faites pour développer les bases d’une politique industrielle européenne et créer les « champions », dont nous avons besoin en matière d’innovation.

Dans le domaine de l’énergie, l’Allemagne mène une politique complètement indépendante du point de vue de l’approvisionnement, établissant des contrats spécifiques avec les Russes, leurs propres pipelines, etc.

Lors de mon séjour au Brésil, j’ai malheureusement appris le report de l’achat de Rafale par ce pays, dont tout le monde a compris la signification. Mais est-ce étonnant ? Les Brésiliens, afin de moderniser leur armée de l’air, ont fait jouer la concurrence entre le Gripen suédois, l’Eurofighter développé conjointement par les Anglais, les Italiens, les Allemands et les Espagnols, et le Rafale.

Ma question, peut-être anticipée, monsieur le ministre, est donc la suivante : quelles sont vos réflexions et vos intentions dans ce domaine ?

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Je tiens tout d’abord à souligner que le Parlement est évidemment une enceinte de débat et de production d’idées. Néanmoins, une initiative gouvernementale ne doit pas suivre tout à fait le même tempo et n’est pas soumise aux mêmes exigences.

S’agissant de la politique industrielle, vous avez raison de rappeler qu’elle ne fait partie des sujets à l’agenda du Conseil européen. C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas évoquée dans le cadre du présent débat.

Je formulerai seulement quelques réflexions.

D’abord, le dernier conseil franco-allemand a mis l’accent sur les politiques industrielles et les intérêts communs de nos deux pays, portés notamment par le groupe d’Évian, l’un des groupes fondateurs de la relation franco-allemande et jouant un très grand rôle dans les relations croisées.

Ne nous racontons pas d’histoires : il existe bel et bien des affrontements et des confrontations stratégiques entre des groupes français et allemands. Néanmoins nous devons essayer de dégager des intérêts communs. Nos deux pays construisent des trains à grande vitesse et doivent dans le même temps éviter que les Chinois ne copient leur savoir-faire et ne leur taillent ensuite des croupières sur d’autres marchés.

Il est dans l’intérêt de nos deux pays de faire émerger des champions européens, en appliquant les règles de la réciprocité.

L’Europe d’avant-crise était le bras-armé de la dérégulation, et, dans une logique de concurrence pure et parfaite, prenait insuffisamment en compte ses intérêts industriels propres.

L’Europe d’après-crise devra essayer de mener une politique pragmatique, permettant de défendre et de conforter, par le biais de la réciprocité, nos champions industriels européens. Je suis fortement convaincu qu’elle devra changer en quelque sorte de logiciel.

Monsieur le sénateur, l’énergie est l’un des sujets majeurs ; les enjeux géostratégiques sont énormes. La possibilité d’assurer une sécurité d’approvisionnement pour la zone européenne et une diversification de ces approvisionnements est fondamentale. Il s’agira de l’une des priorités de la présidence hongroise, comme me l’a confirmé mon homologue.

De ce point de vue, la France a la chance d’avoir l’énergie nucléaire, ce qui lui permet d’avoir une indépendance énergétique beaucoup plus grande.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur la question de la responsabilisation des banques dans le cadre de la crise que l’Europe traverse.

Vous nous avez indiqué que les banques irlandaises avaient été sanctionnées, notamment par la nationalisation. Toutefois, permettez-moi d’objecter que nationaliser une banque en faillite, c’est tout simplement socialiser les pertes. Peut-être aurait-il été utile de nationaliser les établissements bancaires irlandais bien avant pour éviter ce genre de dérive…

Néanmoins, qu’en est-il des sanctions adoptées à l’égard des banques européennes, qui ont largement contribué à encourager les banques irlandaises à prendre des risques excessifs ?

À cet égard, permettez-moi de rappeler quelques chiffres qui figurent dans le rapport de notre collègue Jean-François Humbert : les banques allemandes possèdent 150 milliards d'euros de dettes en Irlande, les banques du Royaume-Uni 162 milliards d'euros et les banques françaises, plus modestement tout de même, 63 milliards d'euros, qui sont notamment détenus par le Crédit Agricole.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que ces établissements bancaires auraient également dû contribuer au règlement de la crise irlandaise ? Est-il suffisant de renvoyer cette question à 2013 ?

Par ailleurs, les banques nationales qui ont une activité sur le plan européen extrêmement importante sont supervisées par des autorités nationales disposant de pouvoirs limités. Ne serait-il pas utile de créer une autorité européenne en la matière ? De la même manière, ne serait-il pas urgent d’instaurer une agence publique européenne de notation de crédit pour surmonter les conflits d’intérêts largement entretenus par les agences privées ?

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Tout d’abord, je souhaite insister sur un point : les actionnaires ont bien payé puisque, à travers la nationalisation, ils ont perdu des montants considérables. Celle-ci a eu lieu à un moment qui, incontestablement, n’était pas le bon pour eux.

Ensuite, on ne peut pas dire que les banques des autres pays ont encouragé la surexposition du secteur bancaire irlandais. Tous les secteurs bancaires nationaux ont rencontré leurs propres difficultés. Permettez-moi d’ailleurs à ce propos de souligner la solidité du système bancaire français qui, sur la scène européenne, s’est avéré le plus solide de tous, et de loin, même comparé au secteur bancaire allemand. Il a finalement très bien surmonté le choc de la crise et sans que cela coûte le moindre euro au contribuable français, et nous avions d’ailleurs eu un débat sur ce sujet ; le plan de sauvetage des banques a même profité au budget de l’État.

S’agissant du mécanisme pérenne pour l’après 2013, il rendra bien possible la participation des créanciers privés en cas de problème de solvabilité de la dette.

Qu’est-il prévu ? L’application du mécanisme des clauses d’action collective permettra tout d’abord d’éviter qu’une minorité de créanciers ne bloque une solution de restructuration de la dette. Voilà un point fondamental sans lequel il est impossible d’organiser la participation des créanciers.

Les principes de ce mécanisme sont calés sur ceux qui sont actuellement en œuvre au FMI : il s’agit d’une participation au cas par cas, en fonction de la situation du pays en difficulté.

Enfin, élément le plus important, que garantit ce mécanisme ? Les créanciers publics, parce que ce sont les contribuables qui alimentent ce type de créances, seront remboursés les premiers. Il s’agit en quelque sorte d’une primauté au remboursement.

J’y insiste clairement : un tel mécanisme sera instauré après 2013. S’il est comparable à celui qui existe au FMI aujourd'hui, il constitue toutefois une véritable avancée par rapport au fonctionnement actuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Tout d’abord, je me félicite de la tenue de ce débat interactif ; c’est un élément positif pour la Haute Assemblée.

Par ailleurs, en tant qu’élu du département du Gard, je souhaite exprimer mon accord avec M. le ministre au sujet de l’énergie nucléaire, dont la maîtrise constitue une véritable chance pour la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Par conséquent, quand on en a l’occasion, il faut le faire.

Ma question ne s’insère pas exactement dans le cadre du prochain Conseil européen. Cependant, puisque nous commençons l’examen des perspectives budgétaires pour la période 2014-2020, le sujet sera abordé de manière récurrente. Il concerne, monsieur le ministre, l’avenir de la politique de cohésion territoriale, politique désormais inscrite dans le traité de Lisbonne, dont la ratification était donc un acte positif.

À cet égard, une grande inquiétude monte au sein de nos territoires – communes, départements, régions – au sujet de l’avenir des fonds structurels européens et de leur reconduction pour la période 2014-2020.

Pours ce qui concerne la région dont je suis l’élu, le Languedoc-Roussillon, ces fonds représentent 800 millions d'euros pour la période 2007-2013. C’est donc une somme très importante à l’heure où l’État rencontre des difficultés d’ordre budgétaire et où les collectivités départementales et régionales se voient transférer toujours plus de nouvelles compétences sans forcément profiter du versement des ressources correspondantes.

Cette inquiétude est également palpable au sein des associations d’élus : l’Association des maires de France se mobilise, ainsi que le Conseil des communes et régions d’Europe.

Pourquoi sommes-nous inquiets ? Parce que nous savons que le budget européen sera constant et que, au sein de ce dernier, il faudra dégager des crédits pour mener à bien les objectifs de la stratégie de Lisbonne relatifs au développement durable et à l’innovation technologique – ce qui est positif –, alors que la politique agricole commune mobilise déjà une part importante des fonds.

Monsieur le ministre, quelles sont la position du Gouvernement sur ce sujet – je ne doute pas qu’elle soit favorable au maintien de la politique de cohésion territoriale –et votre détermination ?

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Monsieur Sutour, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre intervention sur l’énergie nucléaire : il me semble très important qu’une telle position soit partagée par l’ensemble de la représentation nationale.

Il est vrai que, dans la période de crise actuelle, nous mesurons bien ce que ce choix énergétique apporte au pays, à la fois sur le plan environnemental – on peut en débattre mais le nucléaire est ce qui permet à la France d’être un élève modèle s’agissant des émissions de CO2 – et en termes de sécurité des approvisionnements. En effet, quand je discute avec mes homologues européens qui, pour leur part, dépendent notamment de la Russie sur ce plan, je mesure à quel point la situation de la France est beaucoup plus avantageuse.

Le sujet de votre question, vous l’avez vous-même souligné, ne figure pas au programme du Conseil européen. Je vous répondrai néanmoins car il est très important pour nombre de nos collectivités territoriales. En tant que maire, je sais en effet le poids que peut représenter l’aide européenne pour de nombreux territoires.

Par ailleurs, ce thème compte parce qu’il correspond à l’Europe concrète, à celle qui est à côté de chez vous et qui permet de porter des projets aptes à innerver nos territoires.

Cependant, il faut bien l’avouer, les dossiers de demande de fonds européens sont lourds et bien trop compliqués à remplir ; les procédures d’instruction administrative sont pesantes et découragent soit les associations, soit les élus locaux. Ces derniers finissent en effet par passer tant de temps à ces formalités que la procédure coûte au final plus cher qu’elle ne rapporte.

Ce n’est pourtant pas une fatalité ! Et l’Europe n’est pas nécessairement synonyme de procédures administratives interminables. D’ailleurs, le Gouvernement français a parfois alourdi encore plus le procédé du point de vue de la technocratie, ainsi que les difficultés.

Voilà un sujet dont je veux faire l’une de mes priorités : simplifier l’Europe et simplifier de tels outils. Certes, il faut dépenser mieux, essayer d’éviter les dérives et bien « régler » l’augmentation du budget de l’Union européenne. Mais cet objectif ne doit pas nous empêcher d’avoir pour ambition d’instituer des outils plus réactifs et plus simples à utiliser.

C’est ce que nous ferons à propos des fonds structurels européens et de la politique de cohésion territoriale. Une telle simplification peut en outre porter sur d’autres outils, comme le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Au terme de ce débat, je suis ravi de la réactivité des propos des différents intervenants.

Monsieur le ministre, je profiterai de votre présence dans cet hémicycle pour vous dire de nouveau – nous l’avions déjà fait lors de votre audition en commission – que nous nous réjouissons que vous soyez doté d’un ministère de plein exercice. Cela traduit la place que l’Europe doit désormais occuper aux yeux du Président de la République, du chef du Gouvernement et de l’ensemble de la représentation nationale.

Je voudrais revenir sur deux ou trois points.

Je rappellerai pour commencer les propos du président de la Banque centrale allemande, M. Axel Weber, qui, de passage à Paris voilà quelques semaines, soutenait que nous étions face à une crise non pas de l’euro, mais des finances publiques de certains États membres. Il faut y insister pour souligner précisément la justesse d’un tel propos.

Je retiendrai également les mots de M. Jean-Claude Trichet affirmant que l’euro était notre monnaie et devait rester notre destin. Voilà également des messages que nous devons adresser aux marchés.

Ensuite, vous avez bien souligné la capacité de l’Europe, crise après crise, à résoudre ses problèmes en construisant les outils nécessaires pour aboutir à une réelle gouvernance. Vous avez en outre insisté – à l’instar de tous les intervenants – sur l’importance d’avoir une très grande réactivité sur ce sujet, afin d’envoyer aux marchés autant de messages que nécessaire.

Vous avez très clairement répété que, au-delà de 2013, la participation du secteur privé au dispositif d’aide n’est pas exclue. Lorsqu’ils avaient été tenus pour la première fois par la Chancelière Angela Merkel, ces propos avaient suscité quelque émoi. Cette possibilité est désormais plutôt admise par tout le monde. Les gestionnaires doivent bien comprendre que, à partir de 2013, les fonds spéculatifs seront strictement encadrés et qu’il ne sera plus possible de faire n’importe quoi dans ce domaine.

Par ailleurs, parallèlement à la mise en place d’une gouvernance économique, l’approfondissement du marché unique est à mon avis indispensable ; le commissaire européen Michel Barnier, dont la tâche est énorme, doit bien comprendre que l’une et l’autre vont de pair.

Je rappellerai également – vous l’avez fait, monsieur le ministre – l’importance du montant du Fonds européen de stabilité financière : 750 milliards d'euros, ce n’est pas rien. Certes, ce chiffre est susceptible de varier, mais le signal envoyé aux marchés est loin d’être négligeable.

Monsieur le ministre, vous avez mentionné le principe de réciprocité. La commission des affaires européennes s’est penchée sur la notion de préférence communautaire depuis un certain nombre d’années. Il est vrai que nous étions assez mal à l’aise car, au fil du temps, depuis le traité de Rome, celle-ci n’était plus qu’une incantation politique ; disons-le clairement !

Or cette notion a été clarifiée et je remercie le Gouvernement – et vous-même, monsieur le ministre – de l’avoir bien cadrée. Nos partenaires, les vingt-six autres États membres de l’Union européenne et, au-delà, les pays tiers, comprennent désormais parfaitement à quoi ce principe de réciprocité fait référence. Il ne faut d’ailleurs pas être naïf : ce dernier doit animer toutes nos actions parce que nous ne pouvons pas agir comme bon nous semble.

Permettez-moi de conclure par une citation dont j’ai oublié l’auteur…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Non, ce n’est pas du tout de moi !

Selon cet auteur, l’Europe se dissout quand on la pense claire et rationnelle, alors qu’il faut la concevoir dans sa pleine et complexe réalité.

J’avoue que ces propos m’avaient autrefois séduit ; mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. En tout état de cause, ils ne séduisent pas les marchés, qui désirent au contraire clarté et rationalité.

Ainsi que vous l’avez appelé de vos vœux, monsieur le ministre, il faut que l’Europe parle d’une seule voix et que, très rapidement, nous soyons dotés d’une gouvernance économique.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je ne reviendrai pas sur ce que le président de la commission des affaires européennes a excellemment exposé.

Monsieur le ministre, j’émettrai simplement le vœu que, à l’occasion du Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement discutent de la situation en Côte d’Ivoire. En effet, j’espère que l’Union européenne parlera d’une seule voix pour condamner le coup de force qui s’y est produit…

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. … et demander que M. Ouattara, qui a été élu par son peuple, puisse exercer ses fonctions. Si l’Union européenne se taisait, elle commettrait un grave manquement.

M. le président de la commission des affaires européennes et MM. Robert del Picchia et Denis Badré applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (proposition n° 130 [2009-2010], texte de la commission n° 21, rapports n° 20, 3, 5 et 6).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

MM. Nicolas About et Josselin de Rohan applaudissent.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la simplification et la qualité du droit sont au cœur de la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre examen.

Cet objectif d’un droit plus cohérent, plus clair et plus lisible, porté en l’occurrence par une initiative parlementaire, le Gouvernement s’y associe pleinement. Et comme ministre de la justice, je suis particulièrement heureux d’y contribuer, en représentant devant vous l’ensemble des membres du Gouvernement, qui sont tous, ou presque, concernés par ce texte très riche.

L’objectif, donc, est totalement consensuel ; je reviendrai dans un instant sur les enjeux qui le sous-tendent. Mais sa mise en œuvre, est-il permis de le relever en introduction de ce propos, l’est un peu moins.

Simplifier, améliorer le droit est une œuvre passionnante ; c’est aussi, comme l’ont souligné les rapporteurs, une œuvre délicate, pour laquelle une approche apparemment technique laisse rapidement la place à des questions de nature plus politique. Chacune des assemblées parlementaires a ses attentes, ses priorités, ses préventions ; le Gouvernement peut en avoir aussi.

L’important est que nous sachions collectivement avancer de manière constructive pour progresser le plus rapidement possible vers un consensus. C’est tout le sens de la discussion qui s’ouvre, puis ensuite de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Je sais pouvoir compter sur vos débats pour veiller à mener la simplification dans le respect de la cohérence de nos lois.

Chacun d’entre nous le souligne depuis des années : le droit et, plus particulièrement, la loi souffrent d’une complexité croissante.

Cette complexité résulte de plusieurs phénomènes.

D’abord, des modifications législatives successives, dans tous les domaines du droit, se sont traduites par un empilement de textes à la cohérence parfois incertaine.

Ensuite, les sources du droit se sont diversifiées : les directives, les règlements communautaires sont ainsi, directement ou indirectement, créateurs de règles nouvelles en droit interne. Il devient particulièrement difficile à nos concitoyens, et même aux professionnels, de s’y retrouver dans ce dédale de réglementations. Une telle évolution est porteuse de risques évidents.

« Nul n’est censé ignorer la loi » : cet adage, on le sait, est une fiction, mais une fiction nécessaire. Il exprime l’idée, consubstantielle à tout ordonnancement juridique, que nul ne saurait se soustraire à la loi en invoquant l’ignorance dans laquelle il se trouvait de l’existence du texte ou de son contenu. Or ce principe risquerait de perdre tout son sens s’il n’était soutenu par un effort réel d’amélioration de la qualité du droit.

Il est donc de notre devoir de veiller à rendre la loi accessible et intelligible. C’est même, depuis une décision du Conseil constitutionnel, rendue en 1999, un objectif de valeur constitutionnelle – que l’assemblée de la rue de Montpensier rappelle dans la plupart de ses décisions –, tant il est vrai que la connaissance suffisante par les citoyens des normes qui leur sont applicables est une condition de l’égalité et de la garantie des droits proclamées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’enjeu est donc central : il s’agit de mieux garantir la sécurité juridique à laquelle aspirent tant les particuliers que les entreprises, et qui, trop souvent, est affectée par la superposition de règles de droit nombreuses et instables.

Un droit clair, un droit lisible est le gage d’une meilleure prévisibilité des comportements. C’est une exigence démocratique et citoyenne autant qu’un impératif économique.

Or, comme chacun le sait ici, plus de 3 300 lois ont été adoptées sous la Ve République, avec une accélération marquée et préjudiciable de la production normative au cours des vingt dernières années, si bien qu’au 1er juillet 2008 on comptait quelque 64 codes, et 2 600 lois et ordonnances en vigueur, sans compter près de 24 000 décrets.

Le constat est récurrent et la prise de conscience réelle au sein des institutions publiques, au niveau national comme, d’ailleurs, à l’échelon européen. Cette prise de conscience a donné lieu à l’adoption d’un certain nombre de mesures utiles pour l’avenir.

Une accélération a ainsi été donnée à l’exercice de codification de textes jusqu’alors épars et même difficiles à identifier.

Le 23 juillet 2008, le constituant a par ailleurs soumis la préparation des projets de loi à une exigence d’étude d’impact prenant notamment en compte les questions de sécurité juridique. Enfin, la même révision constitutionnelle a permis l’examen de propositions de loi par le Conseil d’État.

Pour autant, il est clair que le « stock » des lois en vigueur est pour partie le produit d’une instabilité normative « incessante et parfois sans cause », pour reprendre les termes figurant dans un rapport du Conseil d’État ; une instabilité à laquelle, je m’empresse de le dire, toutes les majorités successives ont occasionnellement cédé.

Mais cette instabilité a eu pour conséquence inévitable de compliquer le droit et d’en affecter la cohérence. Les textes se sont enchaînés sans que les nouveaux prévoient l’abrogation expresse des anciens, ni même assurent la mise en cohérence des règles nouvelles avec le droit existant.

Dans ce contexte, on mesure toute l’importance de toiletter le corpus législatif : de nombreuses règles désuètes ou obsolètes subsistent, qu’il faut supprimer. Il faut aussi clarifier notre droit pour corriger des redondances et des incohérences introduites par ces modifications successives.

Plusieurs lois de simplification sont déjà intervenues pour remédier, ces dernières années, à la complexité du droit.

Les premières, portées par le Gouvernement, ont été suivies d’initiatives parlementaires, dont celle qui est soumise à votre examen aujourd’hui. Je veux, à cette occasion, souligner l’excellente collaboration du Gouvernement et des assemblées pour enrichir ces textes.

Les clarifications et les mises en cohérence inscrites dans la proposition de loi sont nombreuses. Elles couvrent des domaines très divers. Certains d’ailleurs s’en inquiètent, mais à ceux-là je veux dire que c’est la contrepartie de l’ambition du texte. Son champ large témoigne avant tout, me semble-t-il, de l’étendue des besoins en matière de simplification et d’amélioration du droit.

Quels en sont les grands axes ?

Le texte simplifie, tout d’abord, les procédures administratives. Il faut faciliter les démarches de nos concitoyens, car, trop souvent, leur complexité suscite l’incompréhension et pose d’importantes difficultés pratiques.

La proposition permet ainsi d’alléger les démarches administratives des particuliers et celles qui pèsent sur les entreprises. En permettant l’échange de données entre administrations, l’usager n’aurait plus à produire une information ou une pièce qu’il aurait déjà fournie à une première autorité administrative.

L’Assemblée nationale a souhaité, et le Gouvernement soutient cette évolution, que soient apportées des garanties supplémentaires de sécurité et de confidentialité : les échanges de données doivent être encadrés et concerner les seuls éléments strictement nécessaires au traitement des demandes des usagers.

Nous serons très vigilants, et je sais que telle est aussi votre conviction, sur la protection des données personnelles.

Votre commission propose d’autres améliorations significatives de la procédure administrative, afin tout d’abord de prévenir le contentieux : vous ouvrez ainsi le champ du recours administratif préalable obligatoire à tous les actes portant sur la situation personnelle des fonctionnaires, et j’y suis particulièrement attaché.

Vous l’ouvrez à titre expérimental afin d’en évaluer les effets pratiques ; je soutiens cette démarche et veillerai à ce qu’elle soit effectivement mise en œuvre dans des délais rapprochés.

Un projet de décret est déjà prêt sur ce point et je souhaite qu’il puisse faire l’objet d’arbitrages rapides, afin que sa publication coïncide avec l’adoption des dispositions de la proposition de loi de simplification.

La proposition de loi prévoyait, par ailleurs, de permettre aux administrations d’être plus à l’écoute de leurs usagers : en facilitant les consultations publiques « ouvertes » sur internet. Votre commission propose de supprimer cet article, il me paraît important de le maintenir : car cette mesure de démocratie participative permet aux administrations de mieux comprendre les besoins des usagers. Mais nous aurons bien sûr l’occasion d’en reparler tout au long de nos débats.

Le texte soumis à votre examen ouvre également des perspectives pour valoriser l’activité économique. Il pose ainsi un cadre général pour les groupements d’intérêt économique. Cette structure, vous le soulignez, a connu un grand succès ; elle disposera désormais d’un cadre juridique adapté.

La proposition de loi vise également à renforcer la protection des droits de nos concitoyens.

Des garanties sont ainsi apportées par le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale en matière de fichiers informatiques, sur l’initiative, notamment, du président Warsmann. Dans un souci de cohérence, votre commission des lois a souhaité renvoyer l’adoption de ces dispositions à une proposition de loi pendante devant l’Assemblée nationale. Mais au vu des garanties apportées par ces mesures, il me paraît intéressant de les rétablir au sein du texte soumis à votre examen. L’objectif, je le rappelle, est d’encadrer plus strictement les fichiers de police en énonçant limitativement les finalités qu’ils peuvent poursuivre. L’importance de ses dispositions doit retenir toute notre attention et leur adoption intervenir dans les meilleurs délais.

Vous avez aussi choisi de renvoyer les dispositions relatives au droit de préemption à un texte autonome. Cette décision est opportune : en effet, le sujet est complexe et nécessite une réforme d’ensemble ; il suppose donc un temps de réflexion et une concertation complémentaires. En habilitant le Gouvernement à modifier le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, nous pourrons poursuivre les travaux en cours et engager la réforme sous les meilleurs auspices.

Cette proposition de loi met, ensuite, la France en conformité avec ses engagements européens.

La proposition de loi prévoit la transposition de plusieurs directives, dont une série de dispositions de la directive « Services » ou encore la directive du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la médiation civile et commerciale. En ce domaine, un socle commun de règles sera désormais applicable à toutes les médiations.

Afin de permettre une application uniforme de ces règles protectrices, le Gouvernement a souhaité qu’elles puissent s’appliquer non seulement aux litiges transfrontaliers mais également aux litiges nationaux. Je vous présenterai un amendement en ce sens.

Enfin, cette proposition de loi introduit des clarifications en matière pénale et l’on connaît tout l’enjeu d’un droit lisible et cohérent dans ce domaine.

Vous aurez l’occasion de débattre de chacune des évolutions proposées ; je voudrais évoquer ici les grands axes de simplification et d’amélioration en droit pénal.

Le texte entreprend des mises en cohérence, afin notamment d’harmoniser les règles applicables et de supprimer les règles obsolètes. La proposition de loi supprime ainsi des références devenues sans objet – référence à la peine de mort, par exemple – ; elle met à jour le droit pour réparer des oublis de coordination.

Elle précise par ailleurs des incriminations, notamment en matière de corruption.

La simplification de formalités en matière pénale est également prévue, avec, en particulier, la possibilité ouverte au directeur du service d’insertion et de probation de recevoir directement le bulletin n°1 du casier judiciaire, alors qu’il devait auparavant le demander au juge de l’application des peines ou au procureur de la République.

La proposition de loi introduit aussi des mesures de bonne administration de la justice pénale. Elle renforce ainsi la procédure de filtrage de la Cour de révision des condamnations pénales : le président de la commission de révision pourrait écarter seul les demandes manifestement irrecevables, mais par une ordonnance motivée.

Votre commission des lois a, enfin, introduit, dans le code de procédure pénale, de nouvelles dispositions relatives aux autopsies judiciaires, afin notamment de veiller à un meilleur encadrement procédural, de mieux protéger les droits des proches et de combler le vide juridique sur le statut des prélèvements humains. Je vous proposerai un amendement qui reprend vos propositions tout en garantissant la compatibilité de celles-ci avec les nécessités de l’enquête pénale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le chantier en faveur de la qualité de la loi retient toute notre attention. Il est vaste et il suppose une grande vigilance : on le sait, les modifications mêmes formelles des règles de droit ne sont pas sans conséquences.

Avant que ne s’engagent nos débats, gardons tous en mémoire l’idée que la qualité de la loi est le gage de sa légitimité et, donc, de sa pleine effectivité.

Je veux de nouveau remercier le président de la commission des lois et l’ensemble des rapporteurs pour la qualité du travail qu’ils ont fourni et qui va nous permettre maintenant d’engager un travail fructueux.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi transmise au Sénat le 3 décembre 2009 constitue une nouvelle et consistante étape du toilettage de notre corpus législatif.

En raison de la diversité des domaines abordés, votre commission des lois, mes chers collègues, a décidé de déléguer aux commissions saisies pour avis l’examen des dispositions relevant de leur seule compétence. En conséquence, votre commission des lois a adopté leurs amendements et suivi leurs avis sur les autres amendements aux parties relevant de leur périmètre.

Pour sa part, elle a examiné en propre les 141 articles entrant dans son domaine de compétence.

Le texte transmis par les députés constitue un vaste chantier, dont certaines composantes appellent un examen approfondi dans un autre cadre.

Du « haut » de mon troisième rapport sur ces initiatives parlementaires, un constat s’impose à moi : la simplification s’avère un processus de plus en plus complexe. Force est de constater le développement inflationniste du contenu de ces propositions de loi successives : 30 articles pour la première d’entre elles, la loi du 20 décembre 2007 ; 206 pour le texte aujourd’hui soumis au Sénat.

Il ne s’agit pas, pour votre commission, de s’opposer à la conduite de ce chantier législatif indispensable à l’accessibilité et à la sécurité juridique de notre droit. Mais elle veut souligner les difficultés croissantes de l’exercice : le Parlement est amené à examiner des dispositions nombreuses, très diverses et d’inégale valeur. En effet, certaines d’entre elles s’inscrivent effectivement dans l’objet d’une loi de simplification et donc procèdent à des abrogations de textes tombés en désuétude ou inutiles, à des rectifications rédactionnelles, à des coordinations, à la simplification ou à la clarification de certaines procédures. En revanche, de nombreuses autres dispositions du texte présentent de véritables innovations ; sans préjuger leur bien-fondé, elles dépassent manifestement l’objet de la proposition de loi.

Ce rituel législatif est aujourd’hui devenu le véhicule commode pour porter, notamment, les amendements des différents ministères.

À cet égard, on peut s’interroger sur l’objet même de ce texte, entendu tant par son intitulé que par le périmètre de ses dispositions initiales : cette proposition de loi a-t-elle un objet identifié, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? N’est-elle pas devenue, sous son intitulé de simplification, un assemblage disparate de « cavaliers législatifs » en déshérence ? Son absence de frontières – à l’aune de ses enrichissements à l’Assemblée nationale – et son caractère éminemment disparate pourraient être interprétés comme une altération des objectifs de valeur constitutionnelle de clarté et de sincérité du débat parlementaire, et d’accessibilité de la loi.

C’est ainsi que le législateur se trouve confronté à un texte touffu, hétéroclite, qui renferme de multiples sujets dont certains produisent des conséquences lourdes pour notre ordonnancement juridique.

Pour votre rapporteur, il faudra à l’avenir revenir à l’esprit qui a animé à l’origine cet utile mouvement de toilettage du droit pour s’en tenir aux seules rectifications, coordinations, suppressions et simplifications qui y concourent.

Par un mouvement inverse, tenant à son calendrier d’examen, la proposition de loi a été partiellement démantelée. C’est le cas de l’article 3 bis, destiné à conforter le rôle de « guichet unique » joué par les centres de formalités des entreprises ; il a été introduit dans la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. L’article 111 concernant le montant de l’amende encourue pour recherche illicite d’identification génétique figure également dans le projet LOPPSI.

Si elle comprend les motivations pratiques, votre commission ne peut que déplorer la présence dans la proposition de loi de dispositions insérées simultanément dans d’autres textes…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

… en cours de discussion devant l’une ou l’autre assemblée. L’habilitation à transposer la directive du 11 juillet 2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées aura figuré jusqu’à ce jour dans pas moins de quatre textes ! Si l’urgence qui peut s’attacher à certaines transpositions en raison du retard est compréhensible, elle ne doit pas primer sur la nécessaire clarté et sincérité du débat parlementaire.

Un rapide survol des 141 articles entrant dans le champ de la compétence de la commission des lois illustre certaines dérives auxquelles aboutit ce travail de simplification.

Différentes dispositions constituent un « nettoyage » bienvenu de la législation en supprimant les textes aujourd’hui obsolètes telles les références dans le code civil à des peines abolies comme la peine de mort ou à des procédures disparues dont la contrainte judiciaire.

En matière pénale, plusieurs dispositions apportent une réelle simplification à la législation en vigueur : l’article 14 bis clarifie le droit applicable en matière de délais de paiement d’amendes forfaitaires.

Certaines formulations, sources d’insécurité juridique, sont soumises au même exercice : l’article 114 modifie plusieurs articles du code pénal pour confirmer la suppression de toute exigence d’antériorité du pacte de corruption sur sa réalisation.

Enfin, certains articles réparent des omissions. Le droit en vigueur ne permet pas, par exemple, de sanctionner la violation de l’interdiction d’exercer une fonction publique ou de gérer.

Dans le souci de privilégier l’unité du droit, la proposition de loi procède à la suppression de certains régimes spéciaux qui ne se justifient plus. Tel est le cas de l’article 11 qui étend aux établissements publics du culte des départements d’Alsace et de Moselle les règles applicables, sur le reste du territoire, aux congrégations religieuses, pour l’acceptation des libéralités qui leur sont consenties.

D’autres articles permettent de simplifier les démarches administratives ou d’accroître l’efficience de la gestion publique : ainsi, afin de faciliter la coordination des secours, l’article 44 vise à déterminer par avance le préfet compétent lors de la survenance d’un sinistre dans un tunnel ou sur un pont s’étendant sur plusieurs départements.

Le texte contient également des clarifications diverses en matière électorale. Il prévoit ainsi de simplifier et de fluidifier le fonctionnement des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, EPCI, en précisant les modalités de démission des délégués communautaires.

Enfin, dans une logique d’amélioration de la qualité formelle du droit, le texte adopté par les députés contient plusieurs habilitations législatives, afin de permettre au Gouvernement de « recodifier », à droit constant, certains codes comme celui de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

En revanche, d’autres dispositions dépassent largement le cadre de cette proposition de loi. Elles auraient mérité, quelle que soit leur pertinence, l’organisation d’un débat spécifique, comme les articles 83 A et suivants qui procèdent à une refonte très substantielle du droit de préemption.

Confirmant la position qu’elle a adoptée lors de l’examen des précédents textes, votre commission des lois adhère pleinement à cette volonté d’améliorer la lisibilité de notre droit.

C’est pourquoi elle a voulu conserver à la proposition de loi ses principes de simplification et d’allégement du bloc législatif en s’y cantonnant ; elle a donc supprimé les dispositions qui s’en écartaient comme, à l’article 37, celles qui organisent la procédure de retrait de la protection fonctionnelle des fonctionnaires, militaires et maires.

Elle a, par ailleurs, maintenu certaines garanties de procédures que les députés avaient écartées, telle, en matière de délits de probité, la condition d’autorisation délivrée par le tribunal afin de pouvoir exercer l’action appartenant à une collectivité locale qui ne l’a pas elle-même mise en œuvre.

En ce qui concerne la réforme du droit de préemption, monsieur le garde des sceaux, la commission des lois n’a pu que constater qu’elle ne relevait en rien d’une loi de « simplification », puisqu’elle est porteuse de modifications de fond considérables. Sans statuer sur leur bien-fondé, la commission a jugé préférable de supprimer ces articles, qui feront vraisemblablement l’objet d’une loi spécifique ultérieure.

En matière pénale, la commission estime qu’une redéfinition des peines encourues pour certaines infractions telles les prises d’otage devrait être envisagée dans un cadre global afin de respecter l’objectif de cohérence de l’échelle des peines. C’est pourquoi elle a supprimé l’article 107 du texte.

En revanche, elle a adopté les dispositions pénales ne relevant pas stricto sensu de la simplification dès lors qu’elles répondaient à un souci de cohérence dans l’échelle des peines et la répression.

Enfin, elle a supprimé les dispositions déjà adoptées par notre assemblée, le 23 mars 2010, dans le cadre de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique. Ce texte est toujours en instance à l’Assemblée nationale.

Au-delà de ces modifications de fond, la commission des lois a introduit des compléments et procédé à divers ajustements, clarifications et coordinations qui lui paraissaient nécessaires.

Elle a par exemple étendu la procédure simplifiée de nomination dans les commissions municipales aux conseils généraux et régionaux.

Elle a par ailleurs créé une procédure administrative spéciale d’établissement des actes de décès des personnes mortes en déportation, pour remédier au retard pris dans l’apposition de la mention « mort en déportation » sur leur acte de décès.

Elle a apporté une plus grande sécurité à l’exigence de remise, par le conjoint violent, de ses armes : les services de police ou de gendarmerie, premiers destinataires, pourront les neutraliser avant leur remise effective au greffe du tribunal.

Le même esprit a présidé à l’adoption de l’article 40 bis, qui supprime la double consultation du Comité des finances locales et de la Commission consultative d’évaluation des normes sur les textes réglementaires à caractère financier concernant les collectivités locales.

La commission des lois a adopté plusieurs amendements garantissant la transposition, dans les délais requis, de plusieurs directives du Parlement européen et du Conseil. Toutefois, lorsque ces transpositions devaient s’effectuer par voie d’ordonnance, elle en a strictement limité le champ d’habilitation.

Votre commission a adopté plusieurs amendements visant à assurer le bon fonctionnement de la justice administrative.

Ainsi, concernant l’organisation et les effectifs des juridictions administratives, elle a supprimé l’expérimentation d’une mission consultative des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel auprès des collectivités territoriales.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

C’est dommage !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

C’est ainsi, monsieur le garde des sceaux !

La commission a confirmé la suppression du classement de sortie de l’ENA, en renvoyant, pour la nomination des auditeurs au Conseil d’État, à la procédure de recrutement de l’ensemble des élèves de cette école, en lieu et place du dispositif spécifique adopté par l’Assemblée nationale. Cette procédure renforcera la professionnalisation du recrutement des hauts fonctionnaires en permettant aux administrations de vérifier l’adéquation des compétences et des motivations des candidats.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Le principe d’égalité est très important !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Je le sais ! Mais vous n’en pensez pas moins !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

La commission a également assoupli le cadre général des groupements d’intérêt public, les GIP.

Avant de conclure, je voudrais une nouvelle fois regretter avec force le dépôt tardif, par le Gouvernement, de ses amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Quarante-neuf amendements ! M. Mercier n’aurait pas agi ainsi !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

Vous n’étiez pas en place, monsieur le garde des sceaux, vous n’êtes donc pas visé !

Saisie le 19 octobre, quelques heures avant de se réunir, de quarante-neuf amendements, la commission des lois s’était alors déclarée défavorable à leur adoption, avant de réexaminer mercredi dernier ceux qui lui paraissaient opportuns.

Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, la commission des lois soumet à votre délibération, mes chers collègues, le texte qu’elle a établi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Henneron

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme elle l’avait fait à l’occasion de l’examen des trois dernières lois de simplification du droit adoptées en 2003, en 2004 et en 2009, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis d’une trentaine d’articles de la proposition de loi qui touchent au droit du travail, à la santé publique et à la simplification des procédures applicables aux personnes handicapées.

Je remercie la commission des lois, et en particulier son rapporteur, M. Bernard Saugey, d’avoir fait confiance à notre commission et à son rapporteur pour avis pour examiner ces dispositions et émettre un avis sur les amendements portant sur les secteurs de compétence de la commission des affaires sociales. Il me paraît très positif que, grâce à la coopération organisée par la commission saisie au fond, toutes les commissions concernées aient pu être associées à l’élaboration du texte de la commission des lois aujourd’hui soumis au Sénat.

Notre commission des affaires sociales a toujours soutenu, dans son principe, la démarche de simplification du droit. La complexité et les fréquentes modifications des codes et des lois applicables dans le domaine social ne peuvent en effet que nous convaincre de la nécessité d’élaguer les textes confus ou obsolètes et de rendre la loi plus lisible et plus accessible.

Mais nous sommes également sensibles à la nécessité d’éviter deux écueils.

Il faut d’abord se garder d’oublier que la politique de simplification du droit doit aussi comporter un volet préventif. Il convient de rechercher la clarté, la concision et la rigueur dès la rédaction des projets et propositions de loi, y compris d’ailleurs des propositions de loi de simplification du droit ! Il importe donc de laisser au Parlement le temps nécessaire à un examen approfondi des textes, d’éviter la multiplication des habilitations législatives et la ratification expéditive des ordonnances. Par ailleurs, les lois de simplification du droit ne doivent pas devenir des lois « portant diverses dispositions », auxquelles on rattache des mesures qui n’ont pas trouvé place ailleurs, et qui mériteraient parfois un examen plus approfondi.

C’est dans cet esprit que la commission des affaires sociales a élaboré l’avis qu’elle a rendu sur le texte adopté par l’Assemblée nationale, et que je me prononcerai en son nom sur certains des amendements que nous examinerons au cours du débat.

Le texte transmis au Sénat comportait déjà quelque 200 articles. C’est pourquoi le premier souci de la commission des affaires sociales a été d’éviter d’y insérer des dispositions additionnelles. Elle a au contraire souhaité l’alléger.

Elle a d’abord proposé de supprimer plusieurs articles qui avaient davantage vocation à figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale ou dans une loi de finances que dans une loi de simplification du droit.

Suivant ses propositions, la commission des lois a ainsi supprimé l’article 23, relatif à la simplification des obligations sociales imposées aux employeurs étrangers, qui a été repris dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, et l’article 51, qui a trait au régime de la taxe perçue au bénéfice de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

De même, bien qu’avec quelques regrets, la commission des affaires sociales a proposé de supprimer l’article 9 bis, qui, certes, pouvait permettre une meilleure prise en compte des conjoints des bénéficiaires du RSA pour le calcul de l’allocation, mais faisait peser sur les départements des charges nouvelles non compensées, ce qui n’était pas admissible.

La commission des affaires sociales a également proposé la suppression de plusieurs articles de transposition de la directive « Services », qui avaient été repris, souvent dans une meilleure rédaction, dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques. Il était en effet prévu que ce projet de loi, déposé en septembre dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale, soit adopté avant la fin de l’année.

Comme il n’a finalement pas encore été inscrit à l’ordre du jour, le Gouvernement insiste maintenant pour que ces mesures de transposition soient rétablies ou introduites dans cette proposition de loi, dans l’espoir qu’elles seront définitivement adoptées avant que la France ne soit condamnée à payer des amendes en raison du retard de transposition de cette directive.

Je regrette quelque peu cette façon de procéder, qui nous prive d’un débat approfondi et cohérent sur les enjeux de la directive et les modalités de sa transposition. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir au moment de l’examen des articles.

Enfin, la commission des affaires sociales a aussi proposé, mais cette fois pour des raisons de fond, la suppression de diverses mesures de simplification concernant les aides aux handicapés, qui ne nous sont pas apparues très pertinentes.

Cependant, je tiens à vous rassurer, mes chers collègues, la commission a tout de même approuvé, sous réserve, pour certaines d’entre elles, d’amendements de forme ou de fond, la grande majorité des dispositions de la proposition de loi dont elle était saisie. À cet égard, je me bornerai à donner quelques exemples.

En ce qui concerne le droit du travail, on peut ainsi relever la décision d’appliquer le droit commun des congés payés aux salariés rémunérés avec le chèque emploi associatif. J’ai cependant souhaité maintenir le système actuel pour les associations les plus petites, afin de ne pas compliquer leurs formalités administratives. Il convient également de rappeler la mesure visant à la simplification des règles de tenue de compte pour les petits syndicats et celle qui tend à l’aménagement, pour les personnes morales de droit public donneurs d’ordre, du dispositif de responsabilisation en matière de lutte contre le travail dissimulé.

Dans le domaine de la santé publique, je mentionnerai la simplification du traitement des demandes d’ouverture d’établissements pharmaceutiques de gros par les associations et organismes à but non lucratif et à vocation humanitaire, le renouvellement par les pharmaciens des prescriptions de certains médicaments destinés aux malades chroniques ou de contraceptifs oraux, la simplification des textes réprimant l’usurpation de la qualité de pharmacien et, enfin, la simplification des conditions de recours aux salariés et agents publics membres de la réserve sanitaire.

Lorsque j’ai été consultée par la commission des lois sur l’adoption des amendements qui lui avaient été soumis, je me suis naturellement conformée aux orientations qui avaient déterminé les positions de la commission des affaires sociales, à savoir, notamment, le souci de ne pas transformer le texte en une « loi portant diverses mesures d’ordre social ».

J’ai donc émis des avis défavorables concernant l’intégration de dispositions sans rapport avec la simplification du droit, quel que puisse être par ailleurs leur intérêt, surtout si elles relevaient de sujets que l’on peut difficilement traiter par le biais d’un amendement ponctuel. Nous évoquerons certains de ces amendements au cours de notre débat.

En revanche, plusieurs amendements m’ont paru susceptibles d’enrichir le texte, par exemple ceux qui visent à aménager les modalités de prélèvement des contributions d’assurance chômage – article 23 bis – ou à permettre, en comblant un vide juridique, la rupture du contrat de travail à durée déterminée en cas d’inaptitude du salarié – article 27 nonies.

Une partie des mesures que je viens d’énumérer ont, certes, leur utilité. La commission des affaires sociales a toutefois le sentiment que, sur les sujets qui la concernent, l’apport de ce texte est, au final, assez modeste.

Une telle situation devrait nous inciter à réfléchir à une évolution de notre méthode de simplification du droit. Peut-être faudrait-il envisager, à l’avenir, des textes plus ciblés, précédés d’une véritable concertation avec les acteurs concernés, qui chercheraient à simplifier des législations complexes, sans dissocier la forme et le fond du droit.

Je conclus ce trop long propos en vous indiquant, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, que la commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur les dispositions dont elle était saisie, telles qu’elles figurent dans le texte de la commission des lois.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Pierre Bordier, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bordier

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a confié à la commission de la culture le soin d’examiner au fond plusieurs articles de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit qui relèvent de ses domaines traditionnels de compétence, à savoir la presse pour la jeunesse, le patrimoine, l’éducation, le cinéma et l’audiovisuel.

Je souhaite attirer votre attention, en premier lieu, sur l’article 27 du présent texte, qui tend à modifier la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

À l’origine, cet article visait à rendre la réglementation relative à la presse en direction des jeunes conforme aux exigences du droit communautaire. Toutefois, en tant que représentant du Sénat à la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, j’ai pu mesurer à quel point il est urgent d’adapter cette loi d’après-guerre aux réalités du secteur de l’édition jeunesse. L’ensemble de mes interlocuteurs, aussi bien les éditeurs que les représentants de l’État et des associations familiales, ont souligné la nécessité de débarrasser celle-ci de ses références obsolètes et de procéder aux aménagements nécessaires.

Dans ces conditions, les modifications adoptées par la commission de la culture ont porté principalement sur les deux points suivants.

D’une part, nous avons réduit de trente à seize le nombre de membres titulaires de la commission, tout en préservant la représentativité des différents collèges, afin de réduire ainsi le quorum nécessaire à la validité de ses délibérations et de la rendre plus réactive au caractère prolifique de l’édition jeunesse. À terme, ce que notre commission préconise, c’est une configuration s’inspirant du fonctionnement de la commission de classification des œuvres cinématographiques. En conséquence, il reviendra au pouvoir réglementaire d’instituer un fonctionnement en sous-commissions spécialisées en fonction de la nature de la publication – on pourrait en prévoir quatre : livres jeunesse, périodiques pédagogiques, périodiques de divertissement et publications non principalement destinées à la jeunesse – et d’adjoindre, le cas échéant, à chaque membre titulaire deux suppléants et, éventuellement, des adjoints, afin de permettre à la commission de disposer d’autant de rapporteurs que de besoin.

Je souhaiterais donc que le Gouvernement s’engage à prendre dans les meilleurs délais les textes réglementaires en ce sens.

D’autre part, à l’image de ce qui prévaut déjà aujourd’hui pour les jeux vidéo ou les films, nous entendons également introduire dans la loi le principe d’une auto-classification par les éditeurs des publications pornographiques. Dans ces conditions, la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence pourra recentrer ses moyens sur l’examen de publications plus problématiques qui, sans être classées pornographiques, peuvent heurter les mineurs lorsqu’elles sont mises librement à disposition du public, en raison de l’incitation au crime, à la violence ou aux préjugés ethniques ou sexistes qu’elles contiennent.

Par ailleurs, la commission de la culture est revenue sur la suppression par l’Assemblée nationale du Haut conseil de l’éducation, une structure légère dont le travail d’évaluation demeure indéniablement très utile.

Dans un souci de sécurisation de l’exercice de la profession d’architecte, notre commission a également souhaité clarifier et améliorer les modalités de fonctionnement et d’intervention de l’ordre des architectes.

Enfin, elle a introduit des dispositions visant à ratifier des ordonnances relatives au secteur du cinéma et à supprimer des renvois à des décrets devenus aujourd’hui obsolètes, prévus par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

En conclusion, la commission de la culture a donné un avis favorable à l’adoption des dispositions, modifiées par ses amendements, ressortissant à ses compétences.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et au banc des commissions. – M. Nicolas About applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons enfin, aujourd’hui, en séance publique cette proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui, je vous le rappelle, a été adoptée par les députés voilà plus d’un an, le 2 décembre 2009.

Le texte de la commission des lois est issu, quant à lui, de sa réunion du 6 octobre dernier, puisque nous devions initialement l’examiner en séance en octobre. La durée des débats sur le projet de loi portant réforme des retraites a conduit à son report à cette date.

S’agissant des différentes dispositions de cette proposition de loi, force est de constater leur caractère « fourre-tout » et l’absence d’unité de ce texte.

Celui-ci comprend ainsi, pêle-mêle, des articles portant sur les gérants d’auto-écoles, le personnel navigant de l’aviation civile, les sanctions applicables en matière de pollutions aquatiques et marines, pour ne prendre que quelques exemples des articles qui ont été délégués à notre commission.

Sur les 206 articles du texte adopté par les députés, la commission des lois en a délégué au fond vingt-cinq à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui m’a fait l’honneur de me nommer rapporteur pour avis le 17 février.

La commission de l’économie a proposé à la commission des lois une trentaine de modifications, que cette dernière a toutes retenues. Celles-ci ont plusieurs objectifs : supprimer des dispositions intégrées depuis décembre 2009 dans d’autres textes, notamment dans la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou dans la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, clarifier ou préciser certains articles, introduire de nouvelles dispositions de simplification, à l’exemple des règles relatives aux avances entre organismes d’HLM, enfin, supprimer certaines dispositions à nos yeux inopportunes, à l’exemple de la réforme du droit de préemption urbain, la commission de l’économie s’étant saisie pour avis des articles concernés.

Notre commission, tout comme la commission des lois, a en effet jugé, sur ce point, que la réforme adoptée par l’Assemblée nationale était inadaptée et présentait des inconvénients réels pour des avantages incertains.

Au-delà des différentes dispositions de cette proposition de loi, il me semble essentiel que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le dernier de ce type.

Notre discussion doit marquer le point final des lois générales de simplification. Je crois que M. le président et M. le rapporteur de la commission des lois partagent cet avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Quelques chiffres illustreront mon propos.

Huit heures vingt : c’est la durée des débats sur la présente proposition de loi à l’Assemblée nationale, discussion générale comprise. Cela correspond à un rythme de deux minutes trente par article.

Deux cent quarante-quatre : c’est le nombre d’amendements à la proposition de loi qui ont été adoptés par la commission des lois lors de sa réunion du 6 octobre dernier. Parmi ces amendements, quarante-trois avaient été déposés par le Gouvernement.

Quarante-cinq : c’est le nombre d’articles ajoutés lors de la réunion de la commission des lois, qui correspond à peu près au nombre d’articles supprimés lors de cette même réunion.

Quarante-huit : c’est le nombre d’amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission.

Monsieur le garde des sceaux, est-il vraiment sérieux et raisonnable que le Gouvernement ait déposé plus de quarante amendements pour la réunion destinée à l’élaboration du texte de la commission, puis un nombre à peu près identique lors de la séance de la commission précédant l’examen en séance publique ?

Est-il également sérieux, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois, que le Gouvernement dépose ces amendements quelques heures seulement avant la réunion de commission, alors que certains ne comprennent pas moins de vingt-trois paragraphes ?...

Mes chers collègues, ces quelques chiffres démontrent que l’exercice auquel nous allons nous livrer aujourd’hui et demain n’est pas satisfaisant.

Au cours de mes auditions, j’ai souhaité m’intéresser à la démarche de simplification et, notamment, aux lois générales de simplification. Depuis le début des années 2000, quatre lois de simplification se sont en effet succédé : en 2003, en 2004, en 2007 et en 2009.

Les deux premiers textes ont été votés sur l’initiative du Gouvernement et le Parlement a d’ailleurs été en grande partie tenu à l’écart du processus de simplification puisque, par exemple, pas moins d’une soixantaine d’ordonnances ont été prises sur la base du texte de 2004.

Depuis 2004, l’initiative a changé de camp : la simplification est en effet devenue un des « chantiers prioritaires » de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Son président a été à l’initiative des textes de 2007 et de 2009, ainsi que de la présente proposition de loi.

Mais ces textes sont-ils des vecteurs permettant réellement la simplification et l’amélioration de la qualité du droit ? Ou sont-ils, comme l’a dit le professeur Pierre Delvolvé, que j’ai auditionné, des textes « indignes du Parlement » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, bon nombre de leurs dispositions ont un intérêt plus que limité : il s’agit souvent d’actualiser des terminologies, de procéder à des coordinations, de corriger des erreurs de référence et, parfois, de supprimer des dispositions obsolètes ou des références devenues inutiles à des mesures réglementaires.

Si je comprends l’utilité de ces dispositions du point de vue de la qualité du droit, je ne crois pas que cela constitue la priorité du travail parlementaire.

Par ailleurs, l’examen de ce type de textes par le Parlement n’est pas satisfaisant. Plusieurs commissions les instruisant, cela conduit à un numéro d’équilibriste entre rapporteurs. Par ailleurs, ces textes étant « fourre-tout », il est très difficile d’organiser les débats et d’intéresser nos collègues en passant sans transition d’une disposition ayant trait au logement à une autre relative à la santé.

Enfin, ces textes sont eux-mêmes extrêmement complexes, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, lors de chaque examen, les différents ministères exhument de leurs tiroirs des dispositions de coordination, de correction rédactionnelle et de simplification. D’autre part, nous les parlementaires, nous déposons aussi à cette occasion des amendements sur l’ensemble des sujets imaginables.

D’où le « gonflement » de ces textes : la précédente proposition de loi est ainsi passée de 50 à 140 articles au cours de l’examen parlementaire.

Cela explique d’ailleurs que ces textes peuvent conduire à des erreurs, à l’exemple justement de la précédente loi.

La présente proposition de loi illustre tout à fait cette tendance. Je note ainsi que pas moins de vingt amendements ont été déposés sur le logement, dont certains ne constituent pas, à l’évidence, des mesures de simplification : c’est le cas, par exemple, de la possibilité de fixer par décret en Conseil d’État le niveau des loyers des logements neufs en Île-de-France ou du champ d’application des règles en matière d’accessibilité aux handicapés.

Cette proposition de loi ne constitue pas le vecteur adéquat pour débattre de ces sujets de fond.

Certains de nos collègues profitent même de ce texte pour « rejouer le match », c’est-à-dire pour proposer des dispositions rejetées dans un autre cadre : il en est ainsi des amendements que nous aurons à examiner qui correspondent aux dispositions d’une proposition de loi portant sur la lutte contre le logement vacant, examinée et rejetée en novembre 2009 par notre assemblée !

Ces textes constituent donc une mauvaise réponse à un vrai problème, à savoir les dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire.

C’est pour cela qu’il faut avant tout changer certaines pratiques. Je pense notamment à l’inflation législative, qui conduit à légiférer trop, trop vite, et par là même de manière peu satisfaisante. Entre 2000 et 2006, le rythme de production normative a ainsi été de 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets par an !

Un seul exemple de la frénésie législative : l’ordonnance de 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France a été réformée 70 fois entre 1945 et 2006 !

Alors quelle alternative aux lois générales de simplification ?

Personne, parmi nous, n’est naturellement hostile à la démarche de simplification, bien au contraire : l’excessive complexité du droit est en effet une réalité et le souvenir de la réforme de la taxe professionnelle – un article de 135 pages et de 1 200 alinéas – est là pour nous la rappeler.

Face à l’imperfection de la démarche législative française, je me suis intéressé aux démarches équivalentes engagées par les autres pays développés.

Les exemples étrangers attestent que notre démarche constitue une exception : aucun des autres pays ne recourt à des lois « fourre-tout » ; ils recourent tous à des lois de simplification sectorielles, qui constituent une bien meilleure solution.

Prévoir l’adoption chaque année d’une loi de simplification dans un secteur précis permettrait d’adopter une démarche tout autre, avec notamment de larges consultations en amont.

S’agissant précisément des consultations, je vous livrerai une simple anecdote relative à mes travaux en tant que rapporteur : au cours de mes auditions, il est apparu que certaines professions concernées au premier chef par la proposition de loi n’étaient même pas informées de l’existence de certaines dispositions les intéressant très directement, près de neuf mois après leur adoption par l’Assemblée nationale !

Pour conclure, et puisque nous approchons de la période des vœux, je formule celui que ce texte – dont l’intitulé « simplification et amélioration de la qualité du droit » ne semble pas vraiment correspondre à la réalité – soit le dernier de ce type.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Comme l’a rappelé le président du Sénat lors de la clôture de la dernière session ordinaire, « il nous faut des textes allégés, moins touffus, plus compacts et constitutionnellement législatifs [...], des lois compréhensibles et cohérentes, éclairées par un débat parlementaire plus attractif et plus lisible ».

Vous conviendrez, mes chers collègues, que nous en sommes bien loin avec ce texte.

Toutefois, je vous rassure, la commission de l’économie a donné un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi, …

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Mme Catherine Tasca. Vous nous avez fait peur !

Même mouvement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. … dont une partie des dispositions lui a été déléguée.

M. Jacques Mézard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

Mme Catherine Tasca applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le garde des sceaux, au diagnostic que vous avez posé, vous ne semblez pas prescrire un bon remède. J’ai d’ailleurs l’impression que la prescription remontait à votre prédécesseur.

« Simplification et amélioration de la qualité du droit », quel magnifique titre pour cette troisième édition de la saga mise en scène par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ! Vous fûtes au moins deux à utiliser le terme « toilettage ». Nos lois ne méritent pas cet adjectif, d’ailleurs assez révélateur !

Tout observateur averti notera que depuis l’acte II, c’est-à-dire la précédente loi du 12 mai 2009, le titre a été modifié : nous sommes passés de « clarification du droit et allègement des procédures » à « amélioration de la qualité du droit », nuance sémantique ou aveu de l’inadéquation du titre précédent avec la réalité ?

N’oublions pas, en effet, que la précédente loi de simplification avait donné lieu à une polémique, car l’une de ses dispositions, noyée au milieu des 139 articles du texte, avait franchi tous les sas de sécurité juridique, dont le nôtre – il était peut-être moins compétent que nombre d’autres –, et avait supprimé la possibilité pour le juge de prononcer la dissolution d’une personne morale pour faits d’escroquerie, et ce à l’heure où l’Église de scientologie était poursuivie de tels faits...

Cette polémique illustre les limites de l’exercice de simplification auquel entend se livrer depuis maintenant trois ans l’auteur de ce texte : en fait de simplification ou de clarification, ce type de proposition de loi touche des dispositions extrêmement éparses et hétéroclites – le rapporteur qui m’a précédé à cette tribune vient de le confirmer avec beaucoup de pertinence – sans ligne directrice, et modifie des dizaines de codes et de renvois, nonobstant l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi. Des réformes de grande ampleur qui ne sont pas des simplifications se glissent parmi les articles. Ainsi en a-t-il été de la réforme de l’indivision et de la procédure pénale de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC, en 2009.

Certes, le texte qui nous est soumis est le premier à avoir fait l’objet d’un avis préalable du Conseil d’État – non publié, me semble-t-il – à la demande expresse de son auteur, lequel, il faut le rappeler, a cru également opportun de recourir, sans publicité auprès de ses collègues, à un cabinet d’affaires privé LexisNexis pour l’élaboration de cette nouvelle proposition de loi, pour un coût de 84 000 euros !

Nous ne considérons pas que ce soit une méthode orthodoxe. Il y a déjà suffisamment de cabinets d’affaires qui pèsent sur la rédaction de notre législation, parfois trop de « transfert » entre la haute fonction publique, voire les cabinets, et le privé, avec les conséquences surprenantes et dommageables permettant la « transfusion » de certaines propositions législatives vers des textes accueillants, avec le maximum de discrétion – je pense à l’exemple récent de la loi relative aux réseaux consulaires.

Si nous avons bien compris les explications de l’auteur de la proposition de loi avec le cabinet LexisNexis, une quinzaine de professeurs d’université ont épluché l’ensemble des codes pour y relever des dispositions obsolètes et « ont fourni des fiches » ; de plus, selon M. Warsmann, « un certain nombre de mesures provient de sollicitations de nos concitoyens, notamment par l’intermédiaire du site Internet “Simplifions la loi”. Il s’agirait donc d’une double paternité « universito-citoyenne » ! Vous nous permettrez de rester incrédules.

La véritable question à se poser aujourd’hui est celle de la pertinence de telles propositions de loi. Nous considérons que ce concerto cacophonique en trois actes ne justifie pas un quatrième acte, en tout cas pas de cette manière. Et je rejoins tout à fait les observations du précédent rapporteur Hervé Maurey

Non pas que nous considérions que tout est négatif dans ce texte – et à ce niveau je tiens à saluer le travail de raison et de sagesse du rapporteur Bernard Saugey –, mais nous sommes persuadés que ces propositions de loi dites de simplification deviennent en réalité un facteur de complexification, voire d’opacité.

Pourquoi ? Parce qu’elles deviennent un véhicule législatif sous forme de voiture-balai, un bric-à-brac législatif où chacun – nous aussi, mais également le Gouvernement – aperçoit la possibilité de glisser une proposition plus ou moins importante à laquelle il est attaché. C’est la session de rattrapage des propositions de loi avortées ou rejetées ! Aussi, il faut le dire, ces textes deviennent un moyen pour certains lobbies de faire passer, noyée dans la masse, telle ou telle disposition.

Quelle est la maladie à traiter ? Cette maladie s’appelle l’inflation législative et réglementaire. Elle fait l’objet d’un accroissement géométrique auquel aucun barrage ne résiste. Les praticiens – ils sont un certain nombre ici – qui ont dans leur bibliothèque le Codes et Lois ont constaté que, entre l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 et l’avènement de la Ve République, le nombre de volumes est beaucoup moins important que depuis 1958, et ce de manière exponentielle.

De la même manière, le recueil des lois publié par l’Assemblée nationale est passé de 620 pages et 912 grammes en 1970 à 2 556 pages et 3 266 grammes en 2004. Aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 s’ajoutent chaque année presque une centaine de lois, plus de 50 ordonnances et 1 500 décrets.

Le texte a incontestablement une utilité lorsqu’il supprime des lois ou des commissions administratives.

C’est ainsi que l’article 136 de la présente proposition de loi abroge une cinquantaine de lois devenues inapplicables, faute de mesures réglementaires d’application, mettant en évidence le fossé toujours plus grand entre la précipitation à légiférer, souvent pour des raisons médiatiques – on peut renvoyer à l’accumulation de textes sécuritaires –, et les retards ou l’absence d’édiction des décrets.

C’est ainsi également que l’article 33 évapore diverses commissions. Nous considérons qu’il ne faut pas confondre les genres : le travail de suppression ne doit pas être mélangé avec l’introduction de nouvelles dispositions donnant ce côté « fourre-tout ». De ce fait, ce texte alimente ce qu’il est censé combattre.

Dans son rapport de 2006, le Conseil d’État a relevé que « l’effort de simplification ne conduisait pas, dans l’immense majorité des cas, à une réduction du nombre d’articles ou de dispositions applicables », mais « qu’il entraînait, au contraire, un alourdissement de certains textes, ce qui ne peut que rendre plus incertain l’apport concret pour les citoyens de telles mesures. » C’est un euphémisme ! On peut ainsi songer à la loi de simplification de 2009 qui avait, par exemple, réformé le régime de l’indivision, lui-même modifié en 2007, ou encore modifié le régime de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité lui-même créé en 2004.

En l’occurrence, le présent texte modifie près de 48 codes, parfois même en contradiction avec d’autres projets de loi en navette. Ainsi en est-il, aux articles 29 octies et 29 nonies, du droit de rectification des fichiers dont dispose le procureur de la République, qui n’est pas cohérent avec les dispositions du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2.

En matière pénale, nous disons souvent qu’il convient de mener une politique de prévention, afin d’éviter la commission des infractions. En matière de production législative, il en est de même. Il est indispensable de freiner la production de textes réactifs en fonction de l’opinion publique, modifiant d’autres textes souvent non encore appliqués.

Nous déplorons un empilement de normes stratifiées, que ni le mouvement récent de codification, ni la multiplication des ordonnances de simplification, ni la prise de conscience manifeste de l’illisibilité croissante du droit n’ont pu enrayer.

Quand bien même le Conseil constitutionnel a pu édicter en 1999 un objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi, sur lequel il s’est d’ailleurs déjà appuyé pour censurer des dispositions, le législateur demeure un producteur d’inflation législative.

De surcroît, l’abolition de la barrière entre domaine de la loi et domaine du règlement a conduit à l’adoption de textes formellement législatifs mais matériellement réglementaires, ce que Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qualifiait de « neutrons législatifs ».

En conséquence, nous avons déposé nombre d’amendements de suppression. Nous sommes satisfaits que M. le rapporteur lui-même ait proposé la suppression des articles relatifs au droit de préemption constituant une novation globale contestée par les élus locaux, n’ayant rien à faire dans une loi de simplification et dont on peut légitimement se demander qui en était à l’origine ; nous avons la même analyse sur les articles relatifs au groupement d’intérêt public, ou GIP.

M. le rapporteur a aussi, à juste titre, proposé la suppression de l’article 107 modifiant les peines encourues en cas de prise d’otage ; que vient faire un tel article dans une loi de simplification ?

Nous relevons 33 articles concernant les dispositions pénales. Outre le problème de l’article 103, est-il par exemple raisonnable d’utiliser ce texte de simplification pour modifier l’article 221-3 du code pénal, en ajoutant l’application de la circonstance aggravante de guet-apens au meurtre sous le prétexte contestable de réparer une lacune, voire une « incohérence », de la loi du 5 mars 2007 ?

À la lecture du rapport, on constate que même notre éminent rapporteur approuve, à la page 203, la suppression de l’article 104 de la proposition de loi, suppression proposée par M. Warsmann sans que la commission des lois puisse en expliciter les motifs... Bravo !

Il est non moins inquiétant de souligner que nombre de dispositions incluses dans la proposition de loi de simplification se télescopent avec des projets et propositions de loi en cours d’élaboration ou en navette.

Ces textes sont porteurs d’insécurité juridique, car ils sont à l’opposé du travail de synthèse, de codification, de définition d’une ligne juridique. Ils sont l’illustration d’une dissociation de la pensée juridique. Cela porte un nom différent dans d’autres matières.

De la même façon, l’amélioration du droit devrait passer par l’amélioration de la « légistique ». À cet égard, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a voulu renforcer les pouvoirs du Parlement en lui donnant à la fois des capacités d’analyse plus importantes et davantage de temps pour examiner les textes. Ces prérogatives demeurent limitées dans leurs effets, tant le Gouvernement comme une partie des parlementaires choisissent de se caler sur le temps médiatique plutôt que de prendre le recul nécessaire…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, tout récemment, la justice a pris le temps de la réflexion…

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… – mais je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, que vous changerez cet état de fait. C’est particulièrement vrai en matière de droit pénal ou de droit du travail.

Renaud Denoix de Saint Marc, alors vice-président du Conseil d’État, déclarait en 2005 : « L’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative. […] La loi doit être solennelle, brève et permanente. Aujourd’hui elle est bavarde, précaire et banalisée ».

La présente proposition de loi de simplification relève, hélas ! de cette dernière catégorie ; c’est pour cela que majoritairement nous ne l’approuvons pas.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la simplification du droit est « une formule si creuse et si vague qu’elle ne peut donner son unité à un dispositif qui part dans tous les sens ». Ces propos du professeur Pierre Delvolvé résument très bien la situation.

Nous sommes aujourd’hui saisis du troisième texte de ce type depuis le début de cette législature, et du sixième depuis 2002 – je les ai tous vus défiler dans cet hémicycle.

À la lecture de l’intitulé de cette proposition de loi, on aurait pu légitimement s’attendre à ce que son seul objectif soit de résoudre les difficultés rédactionnelles, d’interprétation ou d’application de dispositions législatives existantes, soit que ces dernières soient imprécises, complexes ou obsolètes, soit qu’elles constituent des contraintes inutilement lourdes.

En réalité, cette proposition va largement au-delà d’une simplification à droit constant. En cela, elle s’inspire des textes précédents, et tend même à les dépasser.

Un petit nombre seulement des articles de ce texte visent à clarifier des normes contradictoires ou imprécises. Les autres visent non pas à simplifier le droit, mais à le modifier de façon substantielle.

L’intitulé de cette proposition de loi prête donc à sourire. Simplification, nous dites-vous ? En fait, seuls les projets qui se cachent derrière la grande majorité de ces alinéas sont simples à déceler ! Nul ne peut donc prétendre raisonnablement remettre de l’ordre avec un tel désordre, sinon la majorité, ou M. le garde des sceaux – cette proposition de loi ayant été déposée voilà plus d’un an, je reconnais toutefois que vous ne sauriez en être tenu pour responsable, monsieur Mercier ! §Vous ne m’écoutez pas : ce n’est pas grave !

La simple lecture du texte nécessite un travail titanesque de décryptage. Vous y faites parler les mots avec excès, si bien qu’ils perdent constamment leur sens. La langue française, celle-là même que nos dirigeants entendent promouvoir lorsqu’ils évoquent à la pelle des problèmes d’assimilation, est pourtant très bien faite de ce point de vue : une amélioration signifie un changement, en mieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Or ce texte s’inscrit au contraire dans la vaste entreprise de dégradation des conditions d’élaboration de notre droit, de même qu’il est truffé de dispositions qui amenuisent les droits de nos concitoyens et avalisent le « parlementarisme maîtrisé », cher au Président de la République et, semble-t-il, à la majorité. Il y a pléthore de termes que vous auriez pu employer pour nommer ce texte, mais, à l’évidence, ni « simplification », ni « amélioration » du droit !

Ce texte, qui compte cent cinquante-huit articles, comprend ainsi des dispositions qui touchent, tous azimuts, l’ensemble de nos codes.

Gardons en mémoire la loi du 12 mai 2009, déjà dite de simplification. Son article 124 comportait cinquante-sept dispositions législatives différentes, dont celle qui a fait scandale à propos de la scientologie. Vous voyez, mes chers collègues, qu’une petite mesure détestable parvient toujours à se glisser au travers de ces textes. En l’occurrence, il s’agissait, étrangement, de la trente-troisième mesure, perdue au milieu de toutes les autres…

En 2006, la Cour des comptes, sur lettre de mission de l’ancien secrétaire d’État à la réforme de l’État, M. Éric Woerth, avait rendu un rapport dans lequel elle était chargée d’évaluer les effets de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par voie d’ordonnances sur la base d’« une analyse précise et objective du résultat obtenu » par lesdites ordonnances.

La Cour des comptes a relevé à cette occasion que cette loi, à l’image d’ailleurs de l’ensemble des prétendues lois de simplification, a été l’occasion d’un « effet d’aubaine législatif » et que, « si elle se montrait relativement efficace lorsque prédominaient les enjeux procéduraux, elle ne constituait pas un point d’entrée pertinent pour les réformes de fond et s’avérait inopérante lorsque la complexité des textes renvoyait à la complexité des réalités de notre société ». Dès lors, cette institution relevait que l’utilisation des « ordonnances de simplification pour produire du droit nouveau ne contribue pas à la lisibilité du processus ». Apparemment, vous n’en avez cure !

Les différents articles de cette proposition de loi visent à réformer les normes comptables des PME, le droit de la santé publique, le statut des architectes, le droit de préemption en matière d’urbanisme – ce qui n’est pas une petite affaire ! –, les groupements d’intérêt public, en en supprimant au passage, et à transposer dans le droit français des directives européennes sur la TVA et les services… Et j’en passe !

Heureusement, M. le rapporteur a supprimé quelques articles qui apparaissaient vraiment abusifs.

Toutefois, de nombreuses dispositions de ce texte visent à transposer la directive Bolkestein, qui avait tant fait parler d’elle au moment du débat sur le traité constitutionnel européen, que les Français, je vous le rappelle, ont massivement rejeté. Vous avez choisi une méthode de transposition en catimini, critiquable tant sur la forme que sur le fond.

Par ailleurs, depuis 1991, dans les rapports qu’il publie annuellement, le Conseil d’État n’a eu de cesse d’exprimer son inquiétude devant la complexification du droit, en particulier dans son rapport de 2006, à l’intitulé révélateur : « Sécurité juridique et complexité du droit » ! Il déplorait à cette occasion la « logorrhée législative et réglementaire » et « l’instabilité incessante et parfois sans cause » des normes. Nous ne pouvons que confirmer cette dévaluation constante de notre droit parce que, non seulement nous légiférons trop, mais nous légiférons mal.

En tant que parlementaires, nous le regrettons profondément, car, au-delà de nos clivages politiques de fond, cela a pour corollaire une déconsidération sans précédent du travail inhérent à l’exercice de notre mandat.

Pire, l’insécurité juridique qu’elle génère pour nos concitoyens atteint des proportions particulièrement préoccupantes pour notre état de droit.

Nous sommes d’ailleurs aux premières loges pour constater à quel point cette dérive a été accentuée par le mandat de l’actuel Président de la République, la grande majorité des textes dont nous avons été saisis – et ils ont été très nombreux ! – faisant l’objet d’une procédure accélérée. Il est du reste à noter que 90 % d’entre eux étaient des projets de lois.

Au demeurant, il est aujourd’hui particulièrement délétère pour notre démocratie que le domaine d’initiative parlementaire serve de réceptacle aux caprices du Gouvernement. Et vous n’en êtes pas à votre premier ballon d’essai !

Cela a deux conséquences majeures : d’une part, sur la considération du travail parlementaire, comme je l’évoquais voilà un instant, et, d’autre part, sur l’exigence constitutionnelle de clarté et de lisibilité de la loi pour nos concitoyens.

Il me semble en effet nécessaire de rappeler que, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la loi est l’expression de la volonté générale »… Cela exclut a priori les intérêts particuliers, si bien portés par les lobbies ici même, mais c’est une chose que la majorité présidentielle a manifestement du mal à comprendre.

Aussi, il convient également de rappeler que, aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ».

Personne n’est au-dessus de notre loi fondamentale. L’ignorer relève d’une irrévérence, dont vous devrez répondre. En revanche, lorsqu’il s’agit de faire usage de l’article 40 pour balayer nos propositions d’un revers de main, pour des raisons fort obscures, voire même, parfois, incompréhensibles, nul besoin de vous aviser : vous maîtrisez parfaitement la technique !

Le Conseil constitutionnel a déduit de ces articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’ils imposaient le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, et en a fait la base de nombre de ses décisions.

Le premier manquement à ce principe de sincérité est d’affirmer que ce texte est une proposition de loi, alors qu’il s’agit de facto d’un projet de loi, au demeurant préparé par un cabinet privé. Belle gageure que d’avoir tenté de nous faire croire le contraire !

D’ailleurs, on ne peut que constater que M. Warsmann a été bien aidé dans son œuvre. En effet, à la suite de la saisine du Conseil d’État par le président de l’Assemblée nationale, onze rapporteurs ont été chargés de l’examen des différents articles, et les cinq sections administratives ont été saisies du texte. Des représentants du Gouvernement et de l’administration centrale ont apporté leur contribution au travail des rapporteurs. Vous conviendrez, mes chers collègues, qu’il y a là une disproportion flagrante, et contestable, entre les moyens déployés pour le travail administratif et technique et ceux qui sont alloués au bon fonctionnement du travail parlementaire. Comment voulez-vous qu’un parlementaire réalise en quelques jours ce qui a été brodé en plusieurs mois par un escadron de juristes émanant de cabinets et de l’administration ?

Nous sommes certes convaincus que la représentation nationale devait se saisir de cette question, en débattre et tenter de lui apporter les réponses nécessaires à la clarification, à la lisibilité et à l’applicabilité des normes.

Dans son rapport, qui a néanmoins le mérite de l’honnêteté, …

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Pourquoi « néanmoins » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

… M. Saugey estime qu’il faudra « à l’avenir revenir sur l’esprit qui a animé à l’origine cet utile mouvement de toilettage du droit ». Mais pourquoi ne pas conjuguer cette nécessité au présent, en rejetant ce projet et en tentant dès à présent de suivre une autre voie ? Ce constat, monsieur le rapporteur, nous l’avons déjà fait à six reprises ! Comprenez donc que nous ayons quelques difficultés à croire aujourd’hui ceux qui prétendent que nous ferons mieux à l’avenir.

Certains des sujets abordés dans ce texte exigent des discussions approfondies et spécifiques. Nous n’avons eu de cesse, sur certaines travées de cet hémicycle, d’affirmer notre volonté de reconquérir la maîtrise publique des services publics et des entreprises nationales. Cela passe évidemment par le rejet en bloc des dispositions et du projet de société que porte la directive Bolkestein. Ces sujets méritent débat. Mais voilà qu’au détour de cette proposition de loi, qui entend « simplifier le droit », on transpose à bon nombre de domaines et de professions cette directive, que nous considérons pour notre part comme scélérate.

Encore une fois, le Gouvernement, pressé par le temps, use de tous les procédés, aussi anti-démocratiques soient-ils, pour faire passer des dispositions partout et n’importe quand.

Les États membres de l’Union disposaient de trois ans à compter de la publication de la directive, c’est-à-dire jusqu’au 28 décembre 2009, pour assurer sa transposition. Le processus de transposition de la directive, qui est toujours en cours, constitue une étape déterminante dans la sanctuarisation de plusieurs services par rapport aux règles de la concurrence et du marché intérieur.

Outre le retard qu’ont pris les travaux, et le manque patent de moyens de la cellule interministérielle qui en est chargée, ce qui n’est guère étonnant, la méthode de transposition choisie a été très largement critiquée, y compris parmi les membres de la majorité. Le rapport d’information parlementaire sur la transposition de la « directive services », présenté par le sénateur Jean Bizet, levait toute ambiguïté quant à la possibilité pour la représentation nationale de débattre des nombreux enjeux de sa transposition quelques mois avant son entrée en vigueur.

Il affirmait que « le gouvernement français a abandonné l’objectif […] de déposer un projet de loi-cadre pour transposer la directive ». On savait déjà que la transposition se ferait via une multitude de projets de loi sectoriels, et c’est en effet ce qui se passe.

Le rapport nous indiquait aussi qu’il n’y aurait « pas de recours aux ordonnances, en principe », tout en prenant la sage précaution de mentionner qu’« il faut toutefois rester vigilant en la matière ». C’est le cas de le dire, mais pourrons-nous l’être ? Nous sommes aujourd’hui en droit de douter de vos « principes » au regard de la façon dont la France est gouvernée et la démocratie malmenée.

Dans ce contexte, il ne semble pas acceptable que les importants enjeux de la transposition soient débattus, par défaut, dans le cadre d’une proposition de loi de simplification du droit, censée, qui plus est, n’apporter de modifications qu’à droit constant !

Tout comme il paraît aussi quelque peu étrange qu’une proposition de loi ratifie une ordonnance prise par le Gouvernement.

Quant aux autorisations de légiférer par voie d’ordonnance pour transposer des directives, contenues à l’article 151, considérez-vous qu’elles constituent une simplification du droit ? Encore une fois, nous regrettons que l’on procède de la sorte.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Qui plus est, nombre d’amendements déposés à la dernière minute relèvent du même tour de passe-passe. Par exemple, il est pour le moins surprenant, et à mon sens peu recevable, que M. Zocchetto ait pris l’initiative de déposer un amendement qui bouleverse une tradition contentieuse multiséculaire, basée sur un système inquisitorial, en modifiant substantiellement le rôle du rapporteur public.

Mais, le plus grave, c’est que cet amendement a, me semble-t-il, reçu un avis favorable de la commission des lois sans aucune discussion préalable, à moins que je n’aie eu un moment d’inattention en plein débat sur les retraites, mais cela n’excuse en rien le résultat.

Au fond, sous le prétexte de simplifier le droit, le Parlement est dessaisi de son pouvoir législatif. Cette façon de faire est outrageante pour la représentation nationale. Nous regrettons de devoir aujourd’hui participer à une parodie de débat, qui, disons-le clairement, n’honore pas le Parlement !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ferai l’économie des propos à caractère général sur ce type de texte…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. … puisque ces propos ont déjà été exprimés avec beaucoup de talent par les orateurs précédents. Par ailleurs, je suis prudent car j’ai naguère été député et je rapportais parfois, alors que je soutenais le gouvernement, des textes portant « diverses dispositions d’ordre social » ; il y eut même « diverses dispositions relatives aux collectivités locales »

M. le rapporteur opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J’espère que la vertu à laquelle nous a appelés M. Maurey va s’instaurer dans la République et que le futur gouvernement que j’aurai l’honneur de soutenir – je n’en doute pas – n’aura pas recours à de telles formules législatives…

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Mais n’en étant point sûr, j’ai décidé, mes chers collègues, de me centrer

M. le garde des sceaux sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je dirai d’abord que nous avons décidé de ne voter aucune des dispositions relatives à la directive « Services ». Cette directive a beaucoup d’importance, elle a donné lieu à de très nombreux débats et il aurait été préférable, nous semble-t-il, qu’un texte de loi lui fût consacré ; ce n’est pas de bonne méthode que de la découper en morceaux comme cela est fait.

De la même manière, nous aurons une position très claire sur le recours aux ordonnances : nous y sommes toujours très réticents en raison des abus liés à cette procédure.

Je voulais aussi, avant d’en venir à d’autres points, souligner le travail de notre rapporteur, Bernard Saugey, et des rapporteurs pour avis. Je tiens à souligner, s’agissant des travaux que nous avons menés au sein de la commission des lois, que M. Bernard Saugey a fait preuve d’ouverture par rapport à un certain nombre de questions et de propositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il a en particulier eu une attitude extrêmement nette sur certains points du texte que vous auriez pu devoir défendre, monsieur le garde des sceaux, et que vous auriez peut-être eu quelques difficultés à défendre. Je pense, notamment, à cet article vraiment absurde qui émanait de la proposition de loi dans lequel il était question, sans doute pour simplifier les choses, de supprimer les plans personnalisés de compensation du handicap, alors que c’était un point majeur de la dernière loi relative au handicap et que toutes les associations de handicapés, sans aucune exception, me semble-t-il, ont marqué l’importance de bâtir pour chaque personne concernée un plan personnalisé de compensation.

J’en viens maintenant à d’autres questions de fond et aux positions et propositions qui sont les nôtres car, comme tout un chacun, nous n’avons pas manqué de proposer des enrichissements à ce texte. Donc, ne disons pas le contraire, nous avons, comme toutes les commissions et tous les groupes, proposé un certain nombre de choses.

Premièrement, je dirai quelques mots sur la question de l’École nationale d’administration, l’ENA, mais d’autres collègues en parleront, en particulier Mme Catherine Tasca. Je ne m’attarderai donc pas sur ce sujet, mais il est, à nos yeux, essentiel parce que derrière la question de l’affectation des élèves issus de l’ENA se pose finalement une question essentielle au regard des principes républicains.

Les concours et les classements présentent, il est vrai, des imperfections, mais l’absence de critères donne lieu à des connivences, ce qui est contraire aux principes républicains. Notre collègue Catherine Tasca ainsi que d’autres collègues reviendront sur ce sujet, et j’espère que ces discussions permettront au Sénat d’adopter une position, sur laquelle nous étions d’ailleurs accordés, monsieur de Rohan, lors d’un débat qui eut lieu il y a un an ou deux.

Monsieur le garde des sceaux, nous proposerons une disposition qui, j’en suis sûr, concernant les écoutes administratives, vous ira droit au cœur en votre qualité de garde des sceaux.

Vous avez suivi l’actualité, lu la presse, et vous êtes bien informé. Il y a actuellement un vrai malaise. Et quand je dis « malaise », j’emploie un mot qui n’est pas suffisamment fort !

Il est inadmissible que la Direction centrale du renseignement intérieur se préoccupe de rechercher l’origine des appels téléphoniques passés ou reçus par des journalistes, par un membre du cabinet de votre prédécesseur, et même par des magistrats. On ne peut absolument pas utiliser la loi de 1991 pour justifier de telles pratiques.

M. le directeur de cabinet de M. le Premier ministre a écrit une lettre à M. le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, et M. François Fillon a déclaré à l'Assemblée nationale : « le strict respect des libertés publiques impose que les interceptions et toutes les données qui s’y rattachent soient strictement limitées, et soient contrôlées de façon étroite ».

Nous estimons que les amendements que nous avons déposés et dont nous allons discuter font assurément œuvre de clarification, laquelle est nécessaire eu égard aux événements que nous avons connus dans le passé récent.

De la même manière, concernant les fichiers, nous pensons qu’il est nécessaire de transmettre à la délégation parlementaire au renseignement tout décret en Conseil d’État créant un traitement de données dont il a été prévu une dispense de publication au Journal officiel.

Nous connaissons tous, mes chers collègues, la grande rigueur et le sens de l’État avec lesquels les membres de la délégation parlementaire au renseignement accomplissent leur tâche. Là encore, il nous semble que ces garanties seraient très utiles.

Par ailleurs, nous vous proposerons, monsieur le garde des sceaux, une simplification, à savoir la suppression d’un article de notre droit tout à fait inutile ; je veux parler de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, qui concerne ce que l’on nomme « le délit de solidarité ».

Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre corpus législatif, le fait d’apporter une aide directe ou indirecte à des étrangers en situation irrégulière peut donner lieu à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Très franchement, cette disposition est choquante. Bien sûr, vous pourrez toujours invoquer, monsieur le garde des sceaux, l’argument consistant à dire que ce n’est pas l’objet du texte. Mais comme, précisément, ce texte n’a pas d’objet, cet argument n’a pas non plus d’objet, d’autant qu’une lecture vigilante du texte montre que l’article 124 de cette proposition de loi vise à modifier le CESEDA. Vous le voyez, cet argument est donc inopérant.

Si vous avez un peu de temps, je me permets de vous conseiller un livre qui ne coûte que trois euros et pourrait faire l’objet d’un cadeau de Noël ; celui de mon ami Stéphane Hessel intitulé Indignez-vous !

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

75 pages !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Stéphane Hessel est une personnalité d’une haute valeur morale, …

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… qui, vous le savez, a rejoint le général de Gaulle en 1941, a été résistant, déporté, torturé et a contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

En effet !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il énonce dans ce livre quelques paroles fortes.

Il serait à l’honneur de la France d’affirmer que le fait de porter secours à des personnes sans papiers, qui sont dans le dénuement, le désarroi et la solitude, n’est pas un délit. Ces citoyennes et citoyens de notre pays, de même que les associations qui les soutiennent, font simplement œuvre d’humanité.

Cette simplification aurait une haute valeur morale, et serait lourde de signification.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je reviendrai également sur la question du rapporteur public évoquée par plusieurs de mes collègues, notamment Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Monsieur le garde des sceaux, il ne serait pas correct – j’espère que nous allons voter en conséquence ! – que, au détour d’un amendement, on décide tout d’un coup que le rapporteur public au sein des tribunaux administratifs est dispensé de prononcer ses conclusions sur des sujets qui seraient fixés par décret.

Je rappelle que le gouvernement français, répondant à la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en 1998, a affirmé que le rapporteur public, qui s’appelait alors le commissaire du gouvernement, appartenait aux meilleures traditions du droit français. Puisque tel est le cas, il nous faut être très vigilants. Qui plus est, il serait précisé que c’est un décret – alors que cela relève éminemment de la loi ! – qui prévoira dans quelles matières le rapporteur public est autorisé à ne rien dire, au motif qu’il y a, paraît-il, beaucoup de travail Cela ne nous semble pas correct. C’est pourquoi notre opposition sera très nette.

De même, plusieurs de nos collègues proposeront des dispositions de simplification, notamment pour éviter à certains de nos concitoyens – je sais que notre collègue Richard Yung est très sensible à cette question – nés à l’étranger d’être en butte à des tracasseries et à des comportements vexatoires en cas de renouvellement de leur carte d’identité ou de leur passeport. En effet, à force de leur demander sans cesse des renseignements sur leur identité, ils ont l’impression de ne plus faire partie d’une nation à laquelle ils appartiennent.

De même, nous ferons des propositions dans le secteur du logement locatif, singulièrement du parc locatif privé, en raison notamment de la flambée des prix en Île-de-France, nombre de nos concitoyens rencontrant des difficultés pour se loger.

Nous serons également attentifs à la défense du service public ; je pense notamment aux dispositions relatives aux GRETA, les groupements d’établissements. Un certain nombre de nos collègues auront l’occasion de défendre ce qui fait la spécificité du service public des GRETA, car un GRETA est fort différent d’un groupement d’intérêt public.

Enfin, nous avons repris un certain nombre de dispositions sur des sujets qui nous tiennent à cœur. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir bien voulu, avec la commission, reprendre nos propositions en matière d’autopsie judiciaire.

Nous aurons l’occasion d’en parler, il existe un grand vide dans le code de procédure pénale au sujet de l’information des familles, de la dignité, des conditions dans lesquelles les corps sont rendus, de la formation des médecins qui pratiquent les autopsies, ou encore du statut des prélèvements humains. Il serait sage qu’à la faveur de cette loi nous puissions avancer sur ce sujet, tout comme j’aimerais que nous avancions sur la question des dons d’organe.

Vous le savez, mes chers collègues, il existe aujourd’hui un registre pour consigner le nom des citoyens qui refusent le don d’organe – et c’est leur droit – ; de la même façon, nous souhaiterions que soit mis en place un registre consignant le libre choix de citoyens voulant donner leurs organes.

Nous avons aussi repris un certain nombre de dispositions sur les entrées de ville, qui ont été adoptées par le Sénat. Le Gouvernement a proposé de les supprimer, alors qu’elles ont été adoptées à l’unanimité par notre assemblée. Il serait donc souhaitable que nous leur donnions une suite législative effective.

J’ai bien conscience, comme tous mes collègues, du caractère quelque peu disparate de toutes ces dispositions – mais telle est la loi du genre. Sur ces différents sujets que nous traiterons ce soir et demain, nous serons guidés par les valeurs qui sont les nôtres : le souci de prendre des mesures propices à la justice, à la solidarité et à nos conceptions républicaines.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à récemment, le droit français a représenté un modèle dont s’inspiraient de nombreux États dans le monde. Il constituait alors un ensemble cohérent, intelligible, rédigé dans une langue claire, dense et précise.

Force est de constater que, aujourd’hui, ces caractéristiques se sont pour le moins altérées, et cela pour diverses raisons : l’importance des normes européennes et internationales que nous devons transposer dans notre ordre juridique interne ou encore le transfert de compétences de l’État aux collectivités territoriales.

Le droit positif de notre pays assure l’unité de celui-ci. Il est l’indispensable garant de l’égalité entre tous ; c’est la raison pour laquelle il doit être accessible à chacun. Or l’accumulation de textes, dont nous sommes d’ailleurs les premiers responsables, a conduit à le complexifier et à l’éloigner quelque peu de nos concitoyens.

Alors que l’intelligibilité et l’accessibilité du droit ont valeur constitutionnelle, notre droit est paradoxalement devenu si complexe et obscur que nos concitoyens s’y perdent. Notre pays souffre aujourd’hui d’un trop-plein de lois et de règlements. Comment le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi peut-il s’appliquer réellement dans ces conditions ?

Cette complexité est lourde de conséquences, ainsi que l’a régulièrement souligné le Conseil d’État depuis 1991. La loi doit être claire, intelligible, stable et cohérente. Trop difficile à comprendre, la règle est souvent mal appliquée ou pas appliquée du tout.

Le second risque inhérent à cette complexité est celui de la fragilité de la règle édictée : il y va de la sécurité juridique des actes et décisions, donc du bon fonctionnement de la démocratie.

Le groupe UMP se félicite par conséquent de cette initiative législative et de l’important travail fourni afin de supprimer de nombreuses dispositions incohérentes ou inutiles.

Il ne s’agit pas, pour autant, de fustiger une éventuelle boulimie législative ou réglementaire : nul ne peut pointer du doigt un législateur dont l’intention est d’apporter une solution concrète à tel ou tel problème. Mais, bien souvent, les lois sur un même sujet se succèdent et viennent brouiller le message.

Notre droit peut donc quelquefois ressembler à un enchevêtrement de mesures, à un imbroglio juridique au sein duquel les justiciables et les administrés sont trop souvent perdus. Il est de notre responsabilité d’aider les Français à y voir plus clair dans ce que beaucoup considèrent encore comme un capharnaüm.

Pour la troisième fois sous cette législature, il nous est proposé de nous prononcer sur une proposition de loi visant à simplifier notre droit. Celle-ci s’inscrit entièrement dans l’esprit des deux précédents textes, de 2007 et de 2009. Elle est issue d’une très large concertation avec les professionnels concernés.

Enfin, comble de la légitimité, ce texte est le premier à avoir été soumis par l’Assemblée nationale au Conseil d’État, lequel a émis un avis favorable à la proposition de loi sous le bénéfice d’observations et de suggestions de rédaction.

L’ambition qui sous-tend cette proposition de loi est résumée par le titre de celle-ci : elle vise à simplifier et à améliorer la qualité de notre droit. Il s’agit, plus particulièrement, d’abroger un grand nombre de textes désuets, de clarifier bien des pans de notre législation, d’alléger les procédures, de corriger des erreurs de rédaction et de simplifier, voire de supprimer, certaines démarches administratives qui pèsent sur nos concitoyens.

Enfin, de nombreux articles tendent à conformer notre droit aux exigences européennes, avec la transposition de plusieurs dispositions de la directive Services simplifiant l’exercice de certaines professions.

Nous sont ainsi proposées des mesures concrètes qui concernent l’ensemble de la société. Certaines d’entre elles simplifieront réellement la vie des Français. Je prendrai deux exemples parlants pour les élus que nous sommes, nous qui sommes régulièrement confrontés à ce genre de remarques.

Premièrement, les administrations auront désormais l’obligation d’échanger entre elles les pièces justificatives nécessaires aux démarches des usagers, lorsque ce sont elles qui les détiennent, afin que les usagers n’aient plus à produire à nouveau des justificatifs qu’ils ont déjà adressés à une administration.

Deuxièmement, les autorités administratives devront désormais informer de leur erreur les citoyens qui ont produit une demande comportant un vice de forme et leur indiquer quelle démarche poursuivre.

Ces mesures permettront de continuer l’effort engagé afin d’améliorer le service rendu au public par nos administrations.

Sans entrer dans le détail, certaines mesures témoignent d’une volonté de cohérence et d’allégement des procédures : meilleur traitement des informations par les autorités administratives, traitement plus humain de certains cas de handicap, simplification dans le domaine de la santé, chasse aux rapports inutiles ou facilitation de la lutte contre la corruption ; autant de mesures décisives qui aideront les particuliers, les professionnels ou même les collectivités territoriales.

De nouvelles dispositions permettront une simplification dans la gouvernance des entreprises. Ainsi les petites entreprises soumises au régime simplifié d’imposition pourront-elles utiliser une annexe comptable très simplifiée, selon un modèle qui sera fixé par l’Autorité des normes comptables. Ces entreprises pourront également tenir leur comptabilité en cours d’exercice, selon des règles simplifiées. Il en résultera une réduction non négligeable des coûts, sans pour autant que la fiabilité de la comptabilité et de l’information financière y perde.

Les groupements d’intérêt public, objet d’un chapitre entier, se voient enfin dotés d’un statut qui est cohérent et souple ; il sera donc utilisé davantage et permettra à des personnes morales de droit public, et même de droit privé, de travailler ensemble. Les collectivités territoriales disposeront ainsi d’un outil amélioré.

Les administrations elles-mêmes ne sont pas oubliées. Nous le savons bien, les assemblées votent régulièrement des dispositions impliquant la remise d’un rapport qui n’est pas toujours justifié. L’article 34 a été modifié par la commission des lois pour continuer de mettre en œuvre la logique de « chasse aux rapports », qui a longtemps prévalu, avec l’abrogation automatique de tout rapport au Parlement au bout de cinq ans.

En outre, les autorités administratives pourront être plus efficaces dans leurs consultations préalables à la prise d’une décision affectant des organismes ou des administrés, grâce à la possibilité nouvelle qui est offerte d’utiliser Internet ou tout autre moyen pour organiser des consultations ouvertes auprès des personnes concernées.

Enfin, un certain nombre de commissions administratives inutiles seront supprimées.

Il nous est également proposé, au travers de ce texte, d’abroger quarante-quatre lois ou articles devenus désuets ou obsolètes et de tirer les conséquences du défaut d’adoption de textes d’application.

Il est vrai que cette proposition de loi, longue de deux cent six articles après le vote de l’Assemblée nationale, comporte des mesures extrêmement hétérogènes.

Par définition, les textes de simplification du droit couvrent un champ extrêmement large et des notions très différentes y sont abordées : dispositions relatives aux fichiers de police, articles relatifs à la protection de l’identité, aux groupements d’intérêt public, à l’urbanisme... Le texte sur lequel nous avons eu à travailler était dense et manquait parfois de clarté et de concision.

Je souhaite remercier le rapporteur et les rapporteurs pour avis de leur travail minutieux et décisif, car ils nous présentent aujourd’hui un texte plus cohérent, indispensable à la bonne compréhension du droit.

Je ne reviendrai pas sur les autres points brillamment développés par nos rapporteurs. Toutefois, je tiens à saluer cet effort essentiel du Sénat pour recentrer le texte sur son objet simplificateur.

Ainsi, mes chers collègues, vous avez souhaité supprimer les articles relatifs à la réforme du droit de préemption, en distinguant notamment le droit de préemption urbain de celui qui s’applique en matière de périmètres d’aménagement – une réforme d’ampleur, insérée dans le texte lors des débats à l’Assemblée nationale. Nous nous réjouissons de cette suppression.

Vous nous proposez également de supprimer l’article 40, qui donnait, à titre expérimental, aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel une mission consultative sur les actes administratifs auprès des collectivités territoriales. En raison de cet article, en effet, le respect de délais de jugement raisonnables risquait d’être mis en cause.

Mes chers collègues, nous faisons aujourd’hui œuvre utile. Simplifier le droit est un acte essentiel et nécessaire, non seulement afin d’assurer une plus grande sécurité juridique, de garantir, au nom de l’économie, une plus grande souplesse et de rationaliser le travail des services publics, mais aussi afin d’améliorer le fonctionnement de nos institutions.

Les observations régulièrement formulées sur la nécessité de légiférer moins pour légiférer mieux apparaissent totalement fondées lorsque l’on constate tout le travail que nous devons fournir a posteriori.

C’est un fait : le champ de la proposition de loi est très large. Le travail de nos commissions a cependant permis de recentrer le texte sur son objet initial. Les mesures qui y sont prévues constituent ainsi des avancées concrètes et utiles pour atteindre notre objectif commun, largement partagé sur toutes les travées de cet hémicycle.

L’attente était forte chez nos concitoyens : entrepreneurs, élus locaux, juges et fonctionnaires. Nous nous devions d’agir avec résolution, afin de permettre à tous de comprendre les règles qui régissent notre vie en société. Pour cette raison, le groupe UMP adoptera avec conviction cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je me cantonnerai ce soir à l’examen de l’article 146 bis de cette proposition de loi de simplification du droit, qui est relatif à l’École nationale d’administration, l’ENA. Ma collègue Catherine Tasca aura l’occasion de s’exprimer également sur ce sujet. Chacun d’entre nous le fera à sa manière.

À dire vrai, monsieur le garde des sceaux, c’est plutôt M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique qui aurait dû être notre interlocuteur ce soir. Toutefois, le Gouvernement est un ; c’est donc vous qui serez obligé de subir le sermon.

M. le garde des sceaux acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

En supprimant le concours de sortie de l’ENA, le Gouvernement a oublié qu’il lui faudrait abroger un décret affectant au Conseil d’État les auditeurs en fonction de leur classement. En effet, plus de concours, plus de possibilité de recruter des auditeurs pour le Conseil d’État !

Pour remédier à cette situation, le Gouvernement a choisi d’introduire dans le texte une disposition qui – tenez-vous bien, mes chers collègues – recréait les anciennes modalités de recrutement, mais suivant une procédure particulière pour le seul Conseil d’État, ce qui revenait à réinstaurer un concours spécial de recrutement pour cette institution.

M. Richard Yung approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, et M. le rapporteur, M. Bernard Saugey, ont eu la sagesse – je les en remercie – de supprimer cette étrange disposition et d’aligner les conditions d’affectation au Conseil d’État sur celles qui devraient s’appliquer à l’ensemble des élèves de l’ENA. Nous en revenons au droit commun, si je puis dire, et je les en félicite !

L’instauration, la modification ou la suppression d’un concours administratif ressortissent strictement au domaine réglementaire. Si le législateur ne peut intervenir, les parlementaires, eux, sont libres de faire connaître leur point de vue sur les conséquences de cette mesure. Ce sera la dernière fois que je m’exprimerai sur ce sujet à cette tribune, mais je le ferai sans ambages !

Mes chers collègues, on veut remplacer un procédé d’affectation des élèves de l’ENA qui avait le mérite de la simplicité, de la clarté et de l’objectivité par un système complexe et obscur qui, tôt ou tard, ne manquera pas, j’en suis convaincu, de faire naître des controverses et des contentieux, sans parler des frustrations et des rancœurs qu’il suscitera !

Qu’on en juge : désormais, l’affectation répondra, au fond, à une procédure d’appel d’offres, comme pour les marchés publics.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Elle s’apparentera à un cross-country et, j’ose à peine le dire, à un mercato !

Ainsi, il est prévu que les élèves envoient leurs souhaits de candidature à la direction de l’ENA, qui transmet à l’employeur des dossiers d’aptitude anonymes. Les recruteurs effectuent une présélection à partir de ces derniers et des fiches de poste qui auront été établies par l’administration.

Les élèves présélectionnés adressent aux recruteurs un dossier complet précisant leurs vœux et leurs aptitudes.

Les recruteurs ont un entretien, ou plusieurs, avec les candidats aux postes, le nombre de candidatures étant plafonné ; il faut en effet veiller à ce qu’il y en ait non pas cinquante ou même quinze pour le Conseil d’État, mais seulement cinq.

À l’issue de ce marathon, les recruteurs prennent leur décision de manière collégiale en motivant leur choix. Après un stage ou une période probatoire de trois à six mois, les élèves sont enfin affectés dans leur administration. Par ailleurs, un comité ad hoc est mis en place afin de veiller à la régularisation de la procédure ; il sera saisi, nous dit-on, en cas de dysfonctionnement manifeste. Voilà qui est bien compliqué !

On nous affirme que cette réforme a l’appui des élèves. Parbleu ! Quel patient à qui l’on donnerait le choix entre la souffrance et un antalgique choisirait le premier terme de l’alternative ? Je ne crois donc pas que cet argument soit très probant.

L’association des anciens élèves de l’ENA s’est prononcée très défavorablement sur cette réforme. De même pour les parlementaires : lors de l’examen d’une question orale que j’avais posée au Gouvernement sur le sujet, j’ai eu l’occasion d’aborder le problème avec mes collègues. Or, quel que soit le parti auquel ils appartenaient, aucun d’entre eux ne s’est déclaré favorable à cette réforme.

On le comprend d’autant mieux que ce système pose nombre de questions et ne pourra pas s’appliquer avant trois ans, compte tenu de tous les atermoiements intervenus. Les trois promotions qui ont été recrutées avec l’espoir de voir disparaître le concours seront donc obligées de le subir en raison, il faut bien le reconnaître, d’erreurs d’aiguillage concernant le Conseil d’État.

Pourquoi supprimer le classement de sortie quand les seules informations données aux employeurs seront les notes de stage de l’élève et ses contrôles, à l’exclusion de toute expérience antérieure ? Je pense notamment à ceux qui, issus du concours ouvert aux fonctionnaires, ont eu une « autre vie ». Leur expérience mériterait d’être prise en compte.

Les grilles de critères objectifs mises en place pour la sélection sur dossiers d’aptitude permettront-elles de différencier des élèves qui ont reçu les mêmes enseignements et effectué les mêmes stages ?

Que devront faire les élèves pour attirer l’attention du recruteur ? Faudra-t-il être un bon bridgeur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Tout à fait, ma chère collègue. Un bon bonimenteur ? Un athlète ? Faudra-t-il être sympathisant de tel ou tel parti, s’inscrire à tel ou tel syndicat ou à tel ou tel club de pensée ? Comment éviter que les jurys ne fassent preuve d’une rigueur variable, voire de plus ou moins de complaisance, selon qu’ils voudront attirer à eux les meilleurs éléments, ou rejeter les moins bons ?

Surtout, comment s’opérera l’affectation aux grands corps de l’État ?

En effet, on connaît parfaitement la différence qui existe entre les grands corps et les autres. Ce n’est pas tout à fait le même début de carrière... Lorsque les mieux classés, à l’issue du concours, choisissaient les grands corps, il n’y avait pas de discussion. Ils étaient les meilleurs, aussi personne ne trouvait à y redire. Or, désormais, toutes les interprétations seront possibles, y compris le soupçon de favoritisme ou de cooptation.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Tout cela, monsieur le garde des sceaux, me rappelle un passage de L’Éducation sentimentale. Flaubert y dépeint l’un des innombrables débats qui agitaient les révolutionnaires de 1848 et qui portaient sur l’éducation. L’un de ses personnages s’écrie : « Camarades, il faut supprimer les diplômes ! » Nous y sommes, mes chers collègues ! Et un autre personnage de répondre : « Non, camarade, c’est au peuple de décerner les diplômes ! » Et pourquoi pas, au fond ? « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites », selon le célèbre adage.

Plus sérieusement, monsieur le garde des sceaux, je m’interroge sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à dénaturer l’esprit de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui a fondé l’ENA.

Cette école, malgré ses imperfections, est tout de même parvenue à démocratiser et moderniser la haute fonction publique. Elle a assuré une formation solide aux hauts fonctionnaires et évité que ne se reconstituent ces cloisonnements et ces « émiettements » de corps qui étaient très préjudiciables à l’efficacité de l’administration avant la guerre.

La suppression du concours de sortie, comme l’a indiqué Jean-Pierre Sueur, n’est pas une simple formalité. Elle risque d’entraîner de profondes conséquences. En effet, elle conduira inévitablement à jeter un doute sur l’objectivité, la transparence et l’équité qui devraient présider à l’affectation des élèves de l’ENA dans la fonction publique.

Le lourd et compliqué système qu’on lui substitue n’améliorera rien. Monsieur le garde des sceaux, je crains que, avant longtemps, vous ne soyez contraints de remettre l’ouvrage sur le métier.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’interviendrai tout particulièrement sur deux points substantiels de cette proposition de loi, à savoir l’article 135 bis relatif aux dispositions électorales concernant les Français de l’étranger – vous comprenez pourquoi –, et l’article 149 quinquies relatif aux inventions de salariés, un sujet vaste, important et souvent sous-estimé.

En ce qui concerne l’article 135 bis, je tiens à mon tour à remercier M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur qui, lors du débat en commission, ont permis d’insérer ce texte. Ce dernier vise, tout d’abord, la communication des listes électorales consulaires aux élus de la République à l’étranger.

Il ne s’agit certes pas d’un sujet majeur, qui mettrait en danger les fondements de la République. Néanmoins, je suis confronté, depuis mon élection, au refus systématique du ministère des affaires étrangères de communiquer ses listes. Je tiens d’ailleurs à votre disposition une correspondance épaisse, monsieur le garde des sceaux.

Plusieurs conseillers d’État se sont certainement penchés sur la question – je ne connais pas les conditions dans lesquelles ils ont intégré leur corps mais, visiblement, ils ont beaucoup travaillé. §Leur réponse, en substance, était qu’aucune disposition ne permet de communiquer ces listes électorales consulaires aux sénateurs des Français de l’étranger.

Voilà qui nous place tout de même dans une situation extraordinaire, puisque nous représentons précisément l’ensemble des Français résidant à l’étranger ! Si l’un de nous, demain, doit se rendre à Francfort et souhaite réunir la communauté française afin de dialoguer avec elle, comment s’y prend-il ?

Le problème se posera également pour les futurs députés des Français de l’étranger, qui seront bientôt élus. Par conséquent, je pense que nous faisons ici acte de bon sens, tout simplement.

Le deuxième aspect de ce dossier est un peu plus délicat, puisqu’il concerne le principe général d’interdiction de la propagande électorale à l’étranger. Nous avons progressé en supprimant cette règle pour les pays de l’Union européenne, pour lesquels elle n’avait plus aucun sens. J’ai moi-même vécu longuement en Allemagne et fait campagne, là-bas, pour mon parti français mais également pour une formation allemande, sans m’attirer évidemment la moindre remarque.

Toutefois, cette interdiction demeure, depuis le siècle dernier – très exactement depuis la convention de Vienne, il me semble. À l’époque, les sensibilités étaient différentes et les États considéraient avec méfiance les campagnes étrangères se déroulant sur leur sol. La Suisse, par exemple, a interdit le vote des étrangers sur son territoire jusqu’à une date assez récente.

Nous proposons donc la suppression de cette interdiction. Toutefois, le Gouvernement a attiré notre attention sur un point : au travers de cette disposition, nous outrepassions un peu notre objet, à savoir la représentation des Français de l’étranger, puisque nous supprimions en même temps l’interdiction de diffuser des tracts, d’organiser des réunions et de diffuser des informations la veille du scrutin en France métropolitaine, alors que tel n’était pas notre propos.

Je vais donc réfléchir à la façon de sous-amender ce texte pour tenir compte de l’observation du Gouvernement, en espérant que, du coup, ce dernier retirera son amendement de suppression de l’article 135 bis.

J’aborde à présent la question des inventions faites par les salariés, traitée par l’article 149 quinquies. Il s’agit du cas, classique, d’une personne employée par une entreprise et qui, dans le cadre de son travail, fait une invention ou améliore le dispositif de production – une pratique qui est peu ou mal considérée en France, pour des raisons sans doute historiques ou culturelles. Plus d’un tiers des entreprises françaises ne distribuent aucune aide ni prime à leurs inventeurs salariés. Et celles qui les récompensent le font de façon assez chiche.

Dans ce contexte, la plupart des inventeurs salariés du secteur privé doivent accepter de ne pas être récompensés, ni même reconnus, financièrement ou moralement. S’ils ne s’y résignent pas, ils sont contraints de saisir la Commission nationale des inventions des salariés, qui propose un arbitrage, ou, pire encore, de saisir le tribunal de grande instance.

Cette situation n’est pas satisfaisante. Elle est même fort regrettable, car il y a là un gisement important d’inventions et d’inventivité. Certes, ces trouvailles ne sont pas toujours de nature à bouleverser le monde, mais elles présentent en général un grand intérêt pratique et suscitent souvent des gains significatifs pour l’entreprise, dont les processus de production et d’organisation s’en trouvent améliorés.

Mme Christine Lagarde l’a d’ailleurs reconnu, puisqu’elle avait commandé au Conseil supérieur de la propriété industrielle un rapport, qui semble être tombé dans l’oubli.

En 2009, le Président de la République a également exprimé son souhait de « progresser vers une meilleure reconnaissance des inventeurs salariés et leur juste association aux bénéfices économiques issus de leurs découvertes ». Néanmoins, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres et, pour l’instant, nous n’avons rien vu venir.

Dans ces conditions, j’ai pris l’initiative, le 4 juin dernier, de déposer une proposition de loi sur ce sujet ; j’en ai repris quelques dispositions qui pourraient venir s’insérer dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui. Je ne les développerai pas plus longuement. Certaines sont relatives à la classification des inventions, d’autres visent à mieux encadrer le mode de rémunération lorsque plusieurs salariés sont auteurs d’une même invention.

Jusque-là, la commission, ainsi que le Gouvernement, ont bien voulu me suivre, et je m’en réjouis. En revanche, nous ne nous sommes pas accordés sur la question du mode de rémunération. Sans entrer dans les détails, j’ai proposé un système à deux étages, fondé sur un mode de rémunération forfaitaire, qui pourrait faire l’objet d’une révision en fonction des gains de l’entreprise.

On m’a rétorqué que ces mesures ne relevaient pas de la loi, mais des conventions collectives, des accords d’entreprise ou des contrats individuels. J’entends bien, mais c’est le cas depuis une vingtaine d’années déjà, et nous savons que ce dispositif ne fonctionne pas ! Les conventions collectives qui prennent en compte cette question sont très peu nombreuses ; quant aux contrats individuels de travail, ils sont presque tous muets sur ce point.

Certes, quelques inflexions ont eu lieu. Toutefois, les PME sont très réticentes, de même que les syndicats, il faut bien le dire, car, selon eux, récompenser ces inventions risquerait d’entraîner des différences de rémunération entre les salariés. C’est pourquoi ce sujet n’est guère évoqué et fait figure de grand absent dans les conventions collectives.

L’argument qui m’est opposé ne me paraît donc pas très convaincant, monsieur le garde des sceaux. C’est pourquoi j’ai formulé diverses propositions, que je reprendrai sous forme d’amendements lors de la discussion de ce texte.

Mme Catherine Tasca applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de simplification et d’amélioration du droit que nous étudions aujourd’hui vise des aspects très hétéroclites de notre droit. Toutefois, je ne saurais critiquer ce texte « omnibus », car il répond à une véritable nécessité et me donne, en outre, l’occasion d’évoquer quelques points très importants pour nos compatriotes établis hors de France. J’ai d’ailleurs déposé un amendement sur l’accès aux comptes bancaires, sur lequel je reviendrai lors la discussion de ce texte.

Je me concentrerai ici sur quelques points et propositions annexes qui concernent directement les Français de l’étranger. Tout d’abord, je voudrais remercier à mon tour mon collègue Bernard Saugey de son excellent travail. Je salue en particulier l’amendement qu’il a déposé à l’article 135 bis afin que l’abrogation de l’article 5 de la loi du 7 juin 1982 ne puisse être interprétée par certains postes consulaires comme la fin de l’obligation d’envoi aux électeurs des circulaires et bulletins de vote et de mise à disposition d’un espace d’affichage pour les candidats à l’intérieur des locaux des ambassades, postes consulaires et bureaux de vote.

Je profite par ailleurs de l’examen de ce texte pour insister de nouveau sur ma proposition de création d’une liste électorale unique, fractionnable en circonscriptions et regroupant l’ensemble des Français de l’étranger, auxquels elle permettrait de voter dans n’importe quel bureau de vote hors de notre pays, simplifiant ainsi les procédures pour les électeurs se déplaçant fréquemment aux quatre coins du monde. Surtout, cette liste éviterait les doublons et serait facilement mise à jour.

Un tel système existe déjà en Italie et il serait bon de le mettre en place également en France, à la fois pour simplifier les services rendus aux usagers et pour réaliser des économies budgétaires.

Concernant les questions de représentation institutionnelle, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait adopté un amendement de suppression de l’article 149 bis, s’opposant ainsi à l’abrogation de la limite d’âge pour la nomination des membres des conseils ou des conseils d’administration des organismes de sécurité sociale.

Outre que, sur la forme, cet article n’allait pas dans le sens d’une simplification du droit, sur le fond, je trouvais étonnant et plutôt anachronique d’avoir envisagé de lever une limite d’âge alors que le profond besoin de renouvellement des membres de ces conseils imposerait plutôt de faire le contraire.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, sur laquelle porte l’article 5 bis, se pose le problème de l’application de cette mesure aux Français de l’étranger. Actuellement, nos compatriotes vivant hors de France peuvent en bénéficier, mais à condition que la procédure se déroule dans notre pays.

Bien que l’article 4 de la loi du 10 juillet 1991 spécifie que, pour les Français établis hors de France, le plafond est établi par décret en Conseil d’État, après avis de la commission permanente pour la protection sociale des Français de l’étranger, c’est bien le plafond français qui est actuellement appliqué, ce qui rend cette mesure difficilement accessible à des Français résidant dans des pays dont le niveau de vie est très différent du nôtre.

L’idéal serait, bien sûr, que l’aide juridictionnelle soit également accessible à des Français de l’étranger impliqués dans des procédures hors de notre pays – je pense, en particulier, aux cas particulièrement graves des déplacements illicites d’enfants.

Si je n’ai pas déposé un amendement en ce sens, c’est bien sûr parce que celui-ci aurait été considéré comme irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Toutefois, j’espère que le Gouvernement pourra proposer des mesures en ce sens.

Enfin, et surtout, il est essentiel de simplifier les procédures administratives pour les Français de l’étranger, souvent rebutés par la complexité législative et le dédale de réglementations pas toujours adaptées.

Cet effort passe par un recours accru à la télé-administration, bien sûr sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui pourrait en garantir la sécurité et la confidentialité.

Je voudrais saluer les efforts engagés par le ministère des affaires étrangères pour améliorer le fonctionnement de cette télé-administration, un pôle auquel plus de 2 millions d’euros sont alloués pour l’année 2011. La refonte du guichet d’administration électronique, le GAEL, qui vise à en améliorer l’ergonomie et l’accessibilité, constituera un vrai progrès pour nos compatriotes de l’étranger.

De même, la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, mettra en ligne au début de l’année 2011 son nouveau portail, qui permettra, notamment, aux usagers d’obtenir en ligne le mot de passe donnant accès à la consultation du relevé de carrière. Nous avions demandé cette mesure avec insistance. Jusqu’à présent, en effet, le recours obligatoire au courrier postal pénalisait fortement les Français très éloignés du territoire national.

L’externalisation de certains services, à condition qu’elle passe par des sociétés françaises et qu’elle soit bien encadrée, permettrait aussi à nos consulats de dégager du temps et des moyens, qu’ils pourraient utiliser pour se recentrer sur leur cœur de métier.

Accorder un droit, analyser une demande, établir une contribution, rendre un service public, tenir un guichet, recevoir du public, vérifier et transmettre un dossier, saisir les champs d’un logiciel sur un écran, rien de cela n’est proprement régalien. Or, avec l’introduction massive de la biométrie, la comparution personnelle devient plus que jamais incontournable.

Confier à un prestataire de service l’accueil et l’orientation du public peut non seulement réduire les coûts, mais aussi améliorer la qualité de l’accueil, la réactivité et le suivi des différents cas. Le dossier ainsi établi peut ensuite permettre à l’administration de prendre sa décision en toute souveraineté.

Rationaliser le droit et l’administration suppose aussi de faciliter l’accès des usagers à des voies de recours en cas de litige. Depuis quelques années, le rôle du Médiateur de la République a été particulièrement positif sur ce plan. J’ai toute confiance en la capacité du futur Défenseur des droits à reprendre ce flambeau.

S’agissant des Français de l’étranger, il importera de ne pas revenir en arrière sur un acquis récent : la coordination de l’ensemble de leurs demandes entre les mains d’un interlocuteur unique.

C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, j’espère que vous pourrez nommer un délégué aux Français de l’étranger auprès du Défenseur des droits. D’ores et déjà, je vous en remercie.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la suite de MM. Bernard Saugey, Josselin de Rohan et Jean-Pierre Sueur, j’aborderai un point de la proposition de loi qui aurait aisément pu passer inaperçu au milieu de ce salmigondis législatif : l’article 146 bis et le classement de sortie de l’École nationale d’administration.

L’énarchie n’a pas bonne presse dans notre pays, et il est tentant de lui imputer la responsabilité de tout ce qui ne va pas très bien dans le fonctionnement de l’État. Néanmoins, il n’est pas très sérieux de jeter le bébé avec l’eau du bain !

Le Président de la République a décidé de s’attaquer au classement de sortie de l’ENA. « S’attaquer » est un mot bien faible, d’ailleurs, puisqu’il souhaite purement et simplement le supprimer, pour le remplacer par une procédure dite « spéciale » de recrutement.

Loin d’être une avancée, comme j’ai pu l’entendre dire ici ou là, cette réforme conduira à mettre gravement en danger les garanties et les principes fondateurs de l’École nationale d’administration, telle que l’avaient imaginée le général de Gaulle et Michel Debré, au moment de sa création, à savoir le respect de l’égalité entre les étudiants et l’impartialité de l’État.

En 1945, on ne partait pas de rien. La création de l’ENA a été pensée comme un changement fondamental par rapport aux procédures antérieures du recrutement par corps. Celles-ci avaient montré leurs limites : cloisonnement des administrations, tendance au recrutement en cercle fermé et portes ouvertes aux inégalités entre les candidats, notamment en raison de leur appartenance sociale. C’est dans un esprit républicain, au sortir de la guerre, qu’a été conçue la réforme de 1945. Celle-ci a été axée autour de deux grandes idées : un enseignement spécialisé pour les cadres supérieurs de l’État et une formation unifiée.

La principale idée était bien de garantir au mieux l’impartialité de l’État, son unité d’action et l’égalité d’accès aux fonctions d’encadrement supérieur dans la fonction publique.

Or la suppression du classement de sortie représente un grand danger pour ces objectifs. En effet, la procédure d’affectation qui lui sera substituée n’en garantit en rien le respect.

Le projet de décret prévoit que la nouvelle procédure de recrutement à la sortie de l’ENA se fera en plusieurs étapes. Sans entrer dans le détail de ce qui a déjà été dit, celle-ci prévoit que les élèves devront élaborer un projet professionnel à partir de bilans personnalisés et qu’ils présenteront leurs candidatures. Puis, une commission de professionnalisation, indépendante de l’école, transmettra leurs dossiers anonymes aux différents ministères, qui procéderont à une sélection des étudiants admis à passer des entretiens individuels.

Or je ne vois absolument pas en quoi cette commission permettra d’apporter les garanties suffisantes pour le respect de l’égalité entre les étudiants. Dès lors que les candidats sont libres de se présenter à l’entrée de n’importe quel ministère, qui les recrutera après un entretien personnalisé, le risque de cooptation et d’intervention personnelle est élevé.

Affirmer que la commission effectuera une présélection à partir de dossiers anonymes n’est pas très sérieux, puisque les profils et les souhaits de chacun des élèves seront aisément connus de tous.

On peut tout à fait souscrire à certains aspects de ce projet, en particulier ce qui concerne l’élaboration du projet professionnel des élèves, à partir de bilans personnalisés en cours de scolarité. On peut également trouver positif l’effort de présentation des emplois proposés. On peut aussi, bien sûr, faire évoluer la scolarité et modifier les coefficients du classement.

En revanche, on ne peut certainement pas se passer d’un classement. De plus, rien ne permet, dans le nouveau système, d’assurer durablement l’adéquation entre le profil de chaque élève et les emplois proposés.

D’ailleurs, depuis toujours, l’affectation à la sortie de l’ENA ne détermine pas forcément la suite du déroulement de carrière. Il en va aussi des initiatives et des performances de chacun.

Mes chers collègues, la réalité du débat d’aujourd’hui va bien au-delà d’un problème de méthode de recrutement. C’est la question de la conception de l’État et du service public au XXIe siècle qui est posée.

Considère-t-on encore que l’État, en raison de son essence même et de son rôle, ne saurait être assimilé purement et simplement à une entreprise ? Le général de Gaulle le croyait profondément. C’est aussi mon cas. Le Gouvernement, lui, ne semble plus le penser.

Un élément est révélateur de son point de vue : l’utilisation du mot « employeurs » pour qualifier les administrations de l’État.

Cette terminologie, qui fait davantage référence aux pratiques des cabinets de recrutement et des DRH des grandes entreprises, n’est en rien adaptée à la spécificité de la fonction publique. Celle-ci a besoin de cadres compétents, dévoués à la chose publique et travaillant tous pour le même intérêt général.

L’accord du conseil d’administration et des représentants des promotions en cours de scolarité ne saurait être un argument suffisant en faveur de la nouvelle formule : d’une part, ces promotions ne sont pas représentatives de l’intérêt général de l’école, et, d’autre part, les élèves de l’ENA sont nécessairement exposés à l’air du temps, qui se caractérise par la fascination pour le secteur privé et ses méthodes, la valorisation des parcours individuels et le goût de la compétition extrême. Le service public les motive-t-il encore suffisamment ?

Je déplore que l’on se débarrasse sans ménagement des objectifs fondateurs de l’ordonnance du 9 octobre 1945 : la spécificité de la formation des cadres supérieurs de l’État et l’égalité des chances.

La suppression du concours de sortie aurait nécessairement des répercussions importantes, et même graves, sur la formation des hauts fonctionnaires, sur l’unicité de l’action publique et sur l’égalité des chances. La Haute Assemblée ne doit pas prêter la main à cette pseudo-modernisation !

Le classement reste la meilleure des solutions, parce qu’elle en est la moins mauvaise. C’est la raison pour laquelle Jean-Pierre Sueur et les membres de notre groupe…

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Mme Catherine Tasca. … vous présenteront un amendement rétablissant l’affectation sur la base d’un classement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Josselin de Rohan applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous passons à la discussion des articles.

Chapitre Ier

Dispositions tendant à améliorer la qualité des normes et des relations des citoyens avec les administrations

Section 1

Dispositions applicables aux particuliers et aux entreprises

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 106 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard, Muller, Sueur, Collombat, Peyronnet, Anziani et Yung, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Ries, Lagauche, Daunis, Michel, Botrel et Percheron, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article L. 3141-3 du code du travail, les mots : « qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif » sont supprimés.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet amendement vise à supprimer l’exigence d’un temps minimum de travail effectif pour le bénéfice des congés payés, dans un souci d’amélioration du droit.

Il s’agit ici de tirer les conséquences d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, dans le champ du droit du travail. En effet, le 20 janvier 2009, cette juridiction a affirmé de manière claire qu’un État membre de l’Union européenne ne saurait conditionner le bénéfice des congés payés d’un salarié à l’exigence d’un temps de travail effectif minimum.

Selon la Cour, « le droit au congé annuel payé conféré par la directive 2003/88 elle-même à tous les travailleurs […] ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État ».

Il convient de tirer les conséquences de cette décision dans notre droit interne, en modifiant l’article L. 3141-3 du code du travail, qui est aujourd’hui contraire à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.

Au travers de cet amendement, nous vous proposons donc de supprimer l’exigence d’une durée minimale de travail effectif, afin de rendre notre législation conforme au droit communautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Henneron

Cet amendement vise à supprimer la disposition qui subordonne le bénéfice des congés payés au fait d’avoir travaillé au moins dix jours chez un même employeur.

Les auteurs de cet amendement affirment que cette disposition serait contraire à un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 janvier 2009.

En réalité, la CJUE a seulement pris position sur un point : un salarié en arrêt maladie peut-il prendre ses congés payés ou doit-il les reporter à la fin de son arrêt maladie ?

La Cour ne s’est pas prononcée sur la compatibilité de notre code du travail avec le droit communautaire. Il n’est au demeurant pas choquant d’exiger une durée minimale de la relation de travail avant d’ouvrir le droit à congés.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

L’exigence d’un délai minimum de travail effectif pour l’accès à des congés payés constitue en effet un enjeu de compatibilité entre notre droit national et la jurisprudence communautaire, comme l’a rappelé la Cour de cassation.

Le Gouvernement est pleinement conscient de cette situation. Une réflexion est d’ailleurs en cours sur ce sujet, avec l’exigence de ne pas déstabiliser brusquement l’organisation concrète des entreprises, notamment en ce qui concerne le paramétrage des logiciels de paie, qui est complexe et coûteux.

Avant de modifier la norme nationale, une évaluation précise des conséquences de la mesure doit être réalisée avec l’ensemble des professionnels. En tout état de cause, une période de transition devra être aménagée.

Madame Boumediene-Thiery, telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme Alima Boumediene-Thiery se penche vers M. Jean-Pierre Sueur.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Monsieur le garde des sceaux, j’aimerais savoir si nous pourrons effectivement évaluer la situation dans l’année à venir, afin d’être en mesure de proposer des mesures concrètes ? Si vous me répondez par la négative, je maintiendrai l’amendement. En revanche, si vous vous engagez à procéder à une telle évaluation afin de mettre notre droit en conformité avec la réglementation européenne, je retirerai l’amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je puis simplement vous promettre que, dans l’année à venir, nous vous associerons à ce travail d’évaluation. Toutefois, je ne peux vous garantir que celui-ci sera achevé au 31 décembre 2011. D’ailleurs, peut-être vous-même aurez-vous alors d’autres préoccupations. Cela peut arriver à tout le monde !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

En tout cas, un travail sera mené, dont vous aurez pleinement connaissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Dans la mesure où M. le garde des sceaux s’engage à évaluer la situation dans l’année à venir, je le retire, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 106 rectifié est retiré.

L'amendement n° 107 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard, Muller, Sueur, Collombat, Peyronnet, Anziani et Yung, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Ries, Lagauche, Daunis, Michel, Botrel et Percheron, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article L. 3142-1 du code du travail est complété par les mots : « ou pour l'enregistrement de son pacte civil de solidarité ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet amendement vise à étendre aux salariés qui contractent un pacte civil de solidarité, un PACS, le bénéfice du congé pour événement familial. Cette proposition s’inscrit dans un souci de rapprochement des régimes applicables au mariage et au PACS au regard des droits sociaux.

Cet amendement tend à introduire le droit au congé de quatre jours pour la conclusion d’un PACS pour les salariés, dans les mêmes conditions que pour le mariage.

Ce droit à un congé existe déjà dans le secteur public, puisque les fonctionnaires bénéficient de cinq jours au maximum d’autorisation exceptionnelle d’absence lorsqu’ils se marient ou concluent un PACS.

Pourquoi cette disposition n’est-elle pas prévue pour les salariés du secteur privé ? Nous considérons que cette différence de traitement n’est pas justifiée et que les salariés, au même titre que les fonctionnaires, doivent bénéficier d’un congé pour pouvoir conclure leur PACS.

Cet amendement tend à corriger cette situation. Il s’inscrit dans la logique des propositions formulées par le Médiateur de la République dans les réflexions qu’il a présentées sur l’évolution du PACS à l’occasion du dixième anniversaire de la création de ce dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Henneron

Cet amendement vise à étendre au salarié qui conclut un pacte civil de solidarité le droit de prendre un congé de quatre jours pour événement familial, comme c’est le cas pour un mariage.

Je suis réservée sur cette mesure. Tout d’abord, parce qu’elle ferait peser une charge nouvelle sur les entreprises, y compris les plus petites d’entre elles, alors que nous sommes encore dans une période de sortie de crise. Ensuite, parce qu’elle aboutirait à aligner le statut du mariage sur celui du pacte civil de solidarité. Or, si le PACS a son utilité, c’est justement parce qu’il offre un statut différent de celui du mariage.

Pour ces deux raisons, la commission des affaires sociales émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Cet amendement vise à étendre aux personnes ayant souscrit un PACS le bénéfice du congé pour mariage. Or cela me semble difficile dans la mesure où le PACS n’est pas le mariage.

Je rappelle que l’article L. 3142-1 du code du travail ouvre aux salariés le droit de bénéficier de jours de congés rémunérés en cas d’événements familiaux exceptionnels. Des dispositions négociées par les partenaires sociaux s’appliquent aux personnes pacsées. Il me paraît préférable de nous en tenir à ce cadre, sans solliciter l’intervention du législateur.

Pour toutes ces raisons, je vous demande, madame Boumediene-Thiery, de bien vouloir retirer votre amendement. Toutefois, dans la mesure où je sais que j’aurai moins de chance qu’avec le précédent amendement, j’indique d’emblée que je suis défavorable à cette disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Oui, je le maintiens, monsieur le président, car mon objectif est, d’une part, de faire en sorte que les personnes pacsées aient des droits identiques à ceux dont bénéficient les personnes mariées, et, d’autre part, d’aligner le droit applicable dans le secteur privé sur celui qui est en vigueur dans le secteur public.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Voilà maintenant plusieurs mois, à l’occasion du dixième anniversaire de la création du PACS, j’avais déposé une proposition de loi visant à aligner certains droits des personnes pacsées sur ceux des personnes mariées.

Le PACS, auquel la majorité, y compris au Sénat, était peu favorable lors de sa création, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

… est devenu un mode d’union assez répandu. Le droit a d’ailleurs évolué puisque, désormais, les pacsés se doivent solidarité et soutien et bénéficient de droits patrimoniaux.

Force est de reconnaître cette évolution. Je suis d’ailleurs persuadée que certains enfants de parlementaires, y compris ceux de la majorité, choisissent de se pacser plutôt que de se marier.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

C’est leur droit !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Nombre de situations que vous refusiez, chers collègues, sont aujourd’hui entrées dans les mœurs et vous êtes bien obligés de les admettre.

La proposition de loi que j’avais déposée visait, notamment, à étendre aux pacsés certains droits importants consentis aux personnes mariées, en particulier en matière de pension ou de congés accordés à l’occasion de l’enregistrement d’un PACS, mais dont ils ne peuvent bénéficier parce qu’ils sont du même sexe.

Lors de la discussion de cette proposition de loi, on m’avait répondu que la question des pensions serait examinée lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites, ce qui n’a pas été le cas.

Quant au congé pour événement familial, on m’avait opposé que, les partenaires sociaux allant parfois plus loin que le législateur, il valait mieux laisser ceux-ci décider. J’avais alors répondu que, pour les personnes mariées, la loi fixe des droits et que nous voulions qu’il en soit de même pour les personnes pacsées.

Dans la fonction publique, la situation a été résolue grâce à la bonne volonté de l’État, qui a accepté d’aligner le PACS sur le mariage. Les partenaires sociaux, quant à eux, ne se préoccupent pas de la différence qui existait entre les secteurs public et privé. Et le législateur est là pour veiller au respect de l’égalité entre les citoyens.

Il est vrai que le régime de certains salariés est différent selon qu’ils appartiennent au secteur public ou au secteur privé, mais une personne qui conclut un PACS doit avoir les mêmes droits, qu’elle soit fonctionnaire ou non.

Devant l’absence de dispositions générales des partenaires sociaux – même si, je n’en doute pas, la situation des personnes pacsées est prise en compte dans certaines entreprises –, il m’avait été répondu que cette question devait être examinée. Selon nous, elle doit l’être par le législateur.

Pour ma part, je ne souhaite pas que l’on surcharge les projets de loi de simplification du droit de nombreuses dispositions nouvelles ; vous comprendrez donc que je n’en présente pas. Toutefois, j’observe qu’Alima Boumediene-Thiery propose un amendement visant à corriger l’inégalité de traitement entre les personnes pacsées et les personnes mariées et que Mme le rapporteur pour avis lui répond qu’il n’en est pas question, car le mariage n’est pas le PACS !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

M. le garde des sceaux emploie le même argument en apportant toutefois un léger bémol, puisqu’il fait référence aux partenaires sociaux.

Pour moi, le constat est simple : lorsque l’on fait un petit pas en avant, parce qu’on y est contraint, on s’empresse ensuite de faire marche arrière. Pour quelle raison ? Parce que PACS n’est pas le mariage ? Nous le savons parfaitement ! Il n’empêche qu’avoir imposé aux personnes pacsées des devoirs d’assistance mutuelle implique d’améliorer leur situation en rapprochant leurs droits de ceux qui sont accordés aux personnes mariées.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Je ne souhaite pas allonger inutilement la discussion, mais un petit rappel s’impose.

Pendant longtemps, dans le code civil, le couple était formé par le mariage. Il n’était d’ailleurs pas défini en tant que tel. On en précisait simplement les effets en matière de filiation et de succession.

Depuis lors, les choses ont changé, et le Sénat a largement contribué à cette évolution. Désormais, le code civil prévoit trois façons de constituer un couple : le mariage, le concubinage et le PACS.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

J’en ajouterai une quatrième, qui consiste à ne rien faire. Libre aux Français de choisir entre ces quatre façons de s’unir.

Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez parfaitement raison de souligner que le PACS s’est banalisé. Aujourd’hui, le choix de conclure un pacte civil de solidarité n’est plus motivé uniquement par des raisons liées à l’homosexualité des contractants. Le PACS est devenu une manière de s’unir. Les gens connaissent les avantages et les inconvénients des quatre formes de couple qui existent dans notre pays. Ils ont la liberté de choisir, mais une fois qu’ils ont choisi, qu’ils ne prétendent pas aux droits accordés à un autre mode d’union : ils doivent assumer les avantages et les inconvénients de leur décision.

Il me semble que le système est relativement clair. Les quatre modes de formation du couple sont différents et présentent chacun des avantages et des inconvénients. Les gens, je le répète, ont la liberté de choisir. Cependant, le PACS ne doit pas devenir le mariage, et inversement. C’est ainsi que nous pouvons vivre ensemble dans notre pays.

Le Gouvernement est donc tout à fait défavorable à l’amendement n° 107 rectifié.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 109 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard, Muller, Sueur, Collombat, Peyronnet, Anziani et Yung, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Ries, Lagauche, Daunis, Michel, Botrel et Percheron, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l'article 79 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

...° Les prénoms et nom de l'autre partenaire, si la personne décédée était liée par un pacte civil de solidarité ;

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet amendement vise à prévoir l’inscription de l’identité du partenaire survivant d’un PACS sur l’acte de décès du partenaire défunt.

Cette exigence répond à une véritable demande de la part des associations, dans la mesure où l’absence de mention du partenaire survivant dans l’acte de décès provoque un certain nombre de difficultés pratiques que seule une modification de la loi permettrait d’éviter.

La conclusion d’un PACS est portée dans l’acte de l’état civil des partenaires, assurant ainsi une publicité du PACS. En revanche, lors du décès de l’un des deux partenaires, aucune mention du partenaire survivant n’existe dans l’acte du décédé. Si l’on publie le PACS, il nous paraît donc légitime d’en faire de même pour le décès de l’un des deux partenaires.

Pour des raisons de symétrie évidentes, il convient également de sécuriser, lors du décès, la situation du partenaire survivant. Cela passe par la mention de l’identité de celui-ci, afin que la rupture du PACS consécutive au décès n’efface ni l’existence du partenaire ni le bénéfice de certains droits auxquels ce dernier peut prétendre, par exemple la jouissance gratuite du logement du défunt durant une année ou l’attribution préférentielle de la propriété du logement qu’ils ont tous deux occupé.

Il est absolument nécessaire de sécuriser la jouissance de ces droits en mentionnant, de manière explicite, l’identité du partenaire survivant dans l’acte de décès.

Si le décès emporte dissolution du PACS, l’acte de décès doit, en tout état de cause, permettre d’identifier le bénéficiaire des droits mentionnés à l’article 515-6 du code civil.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, de permettre l’inscription de l’identité du partenaire survivant dans l’acte de décès.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

La mention du conjoint survivant sur l’acte de décès du défunt a pour objet de faciliter l’identification et de prouver sa situation de famille. La mention du partenaire du PACS peut y contribuer pour les mêmes raisons. C’est pourquoi la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien, monsieur le rapporteur. C’est une évolution positive !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Je répondrai à la fois à Mme Alima Boumediene-Thiery et à M. le rapporteur.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Cet amendement vise à étendre au partenaire lié par un pacte civil de solidarité les dispositions de l'article 79 du code civil, qui imposent l’énonciation, dans l’acte de décès, « des prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ».

Toute mention portée sur un acte d’état civil doit être justifiée par des raisons juridiques précises – il ne s’agit pas seulement de se faire plaisir. Ainsi, les dispositions prévues par l'article 79 du code civil ont pour objet de faciliter le règlement de la succession du défunt, le conjoint survivant ayant la qualité d’héritier légal. Tel n’est pas le cas des couples unis par un PACS, au sein desquels le partenaire survivant n’a pas de vocation successorale légale, comme le précise le code civil dans diverses dispositions.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

La mention que vise à prévoir cet amendement serait donc sans objet.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

C’est au contraire un excellent argument, madame la sénatrice. L'article 79 du code civil permet de donner à l’époux survivant une sorte d’acte de notoriété légal, afin que, muni de ce document, il puisse effectuer les formalités pour l’héritage.

Dans le cas d’un PACS, le partenaire n’est pas l’héritier légal : il n’est donc pas utile de compléter cet article.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Non, madame Borvo Cohen-Seat, c’est la convention de PACS qui rend ces dispositions possibles, et non l’acte de décès.

Le bénéfice des dispositions successorales de l’article 831-3 du code civil sur l’attribution préférentielle du droit de jouissance pendant un an suppose que celui qui entend en bénéficier en fasse la demande, auquel cas l’attribution est de droit. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de porter cette mention sur l’acte de décès.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce n’est pas parce que ce n’est pas nécessaire que ce n’est pas judicieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Encore une fois, je fais observer que, depuis dix ans, un certain nombre de dispositions ont modifié la situation des personnes pacsées. Désormais, l’inscription du PACS figure sur l’état civil.

Une fois que l’un des deux partenaires d’un PACS est décédé, pourquoi n’en serait-il pas fait mention sur l’acte de décès, comme c’est le cas pour les couples mariés ? En outre, entre couples mariés et couples pacsés, certaines situations sont identiques : ainsi, les personnes unies par un PACS peuvent établir une convention devant notaire.

Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement refuse cette proposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Je remercie M. le rapporteur d’avoir émis un avis favorable sur cet amendement, dont la commission a tout à fait compris la portée. Il s’agit ici d’établir un parallélisme : à partir du moment où le PACS est inscrit sur l’acte d’état civil, il me semble tout à fait opportun de le mentionner également sur l’acte de décès.

Et cela n’a rien à voir avec l’héritage ! Nous entendons juste simplifier les procédures pour que le partenaire survivant puisse, par exemple, continuer à bénéficier du logement qu’il occupait à titre gratuit, notamment par la continuité du contrat de location. Notre motivation est pratique : nous sommes animés par le souci de rendre plus facile la vie quotidienne du partenaire survivant.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le garde des sceaux, je rappelle ce qui avait animé nos débats lors de la création du PACS : si nous avons demandé à l’époque l’inscription de ce contrat à l’état civil, c’était aussi dans l’intérêt des tiers.

Ici, il s’agit non pas de chercher à capter un héritage, mais bien d’établir à l’état civil la situation réelle des personnes. L’inscription du nom du partenaire du PACS dans l’acte de décès est un élément d’information des tiers, en même temps qu’elle permet de consolider les droits de celui-ci.

À mes yeux, la commission et son rapporteur ont fort bien analysé l’objet de cet amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Madame Tasca, comme toujours, je suis sensible aux arguments que vous développez. La question de l’intérêt des tiers que vous soulevez est importante. Il s’agit également de sauvegarder celui des partenaires, car certaines personnes ont pu contracter plusieurs PACS successifs au cours de leur vie, dont les différents signataires sont parfois encore en vie. C’est vrai. Toutefois, la réponse est apportée par la mention sur l’acte de naissance et non par l'article 79 du code civil, qui est visé ici et qui a une vocation successorale.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement maintient son avis défavorable sur cet amendement.

L'amendement est adopté. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

L'amendement n° 110 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard, Muller, Sueur, Collombat, Peyronnet, Anziani et Yung, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Ries, Lagauche, Daunis, Michel, Botrel et Percheron, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 515-6 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le pacte civil de solidarité prend fin par le décès d'un des partenaires, le partenaire survivant est présumé avoir qualité pour pourvoir aux funérailles au sens des dispositions du code général des collectivités territoriales. »

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet amendement vise à apporter une réponse adéquate aux difficultés grandissantes que connaissent certains de nos concitoyens s’agissant du sort de l’urne cinéraire ainsi que des cendres du partenaire décédé.

La loi du 19 décembre 2008 – je parle sous le contrôle de Jean-Pierre Sueur, qui connaît mieux que personne cette question – est muette sur le point de savoir si le partenaire survivant a, selon les termes de la loi, « qualité pour pourvoir aux funérailles ».

En l’absence de déclaration écrite du choix de la personne chargée des obsèques, l’organisation de celles-ci échoit le plus souvent à un proche, membre de la famille, avec laquelle le défunt entretenait un lien stable, régulier et permanent.

En pratique, cette loi n’empêche pas que le partenaire de PACS survivant soit chargé d’organiser les funérailles, bénéficiant ainsi de l’urne cinéraire si telle était la volonté du défunt. Toutefois, dans le silence de la loi, plusieurs partenaires de PACS se sont vu refuser la possibilité non seulement de pourvoir aux funérailles, mais également d’assister aux obsèques, en raison de tensions liées, par exemple, au rejet de l’homosexualité du défunt par ses proches.

Les tribunaux sont régulièrement interrogés pour déterminer si le partenaire de PACS a qualité pour pourvoir aux funérailles, alors même que le défunt vivait avec lui depuis plusieurs années et entretenait avec lui « des liens stables et réguliers » – exigences centrales de la convention de PACS.

Il nous a donc semblé nécessaire et utile de rappeler que le partenaire survivant est considéré comme ayant qualité pour pourvoir aux obsèques et ne saurait, ainsi, être écarté des choix funéraires qui seront opérés.

Tel est l’objet de cet amendement. Il s’agit d’inscrire dans le code civil la place qui est celle du partenaire survivant dans cet instant tragique de la perte de son compagnon.

En tant qu’élus, nous avons reçu des témoignages poignants de partenaires ayant dû traverser ces instants de deuils douloureux dans la clandestinité la plus totale, parfois même en devant se cacher, faute d’avoir pu être associés aux funérailles du défunt. C’est une situation intolérable que le silence de la loi rend possible.

Nous vous proposons donc, mes chers collègues, d’expliciter la qualité pour pourvoir aux funérailles du partenaire survivant, en complétant l’article 515-6 du code civil. Cette mention sera très utile pour pacifier l’organisation des funérailles dans un contexte de rupture du défunt avec sa famille en raison de son orientation sexuelle ; elle rendra au partenaire survivant la place qui est la sienne : auprès du défunt, jusqu’aux derniers instants.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Saugey

Il n’existe en droit ni définition de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ni présomption légale. Il n’est donc pas envisageable d’en créer une au profit des partenaires du PACS, le juge devant être en mesure d’apprécier quelle est la personne la mieux placée pour cela.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, garde des sceaux

Je partage l’analyse de M. le rapporteur. Rien ne prévoit que le conjoint survivant puisse, de droit, organiser les funérailles. Cette faculté est réservée à un proche. En cas de dispute entre les proches, c’est au juge d’instance de décider. Il faut en rester à cette règle.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Je me trouve dans une situation délicate. Je me suis engagée auprès de personnes endeuillées qui ont été confrontées à cette situation. Dans le même temps, monsieur le garde des sceaux, je sais que, d’un point de vue juridique, vous avez raison : il faut que le droit commun s’applique.

Comme j’ai pu le présenter et le défendre, je préfère retirer cet amendement, car je ne veux pas qu’il soit rejeté par la Haute Assemblée.

(Supprimé)

I. – Le deuxième alinéa de l’article L. 121-84-5 du code de la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Aucun coût complémentaire autre que celui de la communication téléphonique ne peut être facturé pour ces services au titre de cette communication téléphonique. »

II. – Au deuxième alinéa de l’article L. 121-84-7 du même code, après les mots : « ne peut facturer au consommateur » sont insérés les mots : «, à l’occasion de la résiliation, ».

L'article 1 er bis est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq.