Monsieur le garde des sceaux, au diagnostic que vous avez posé, vous ne semblez pas prescrire un bon remède. J’ai d’ailleurs l’impression que la prescription remontait à votre prédécesseur.
« Simplification et amélioration de la qualité du droit », quel magnifique titre pour cette troisième édition de la saga mise en scène par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ! Vous fûtes au moins deux à utiliser le terme « toilettage ». Nos lois ne méritent pas cet adjectif, d’ailleurs assez révélateur !
Tout observateur averti notera que depuis l’acte II, c’est-à-dire la précédente loi du 12 mai 2009, le titre a été modifié : nous sommes passés de « clarification du droit et allègement des procédures » à « amélioration de la qualité du droit », nuance sémantique ou aveu de l’inadéquation du titre précédent avec la réalité ?
N’oublions pas, en effet, que la précédente loi de simplification avait donné lieu à une polémique, car l’une de ses dispositions, noyée au milieu des 139 articles du texte, avait franchi tous les sas de sécurité juridique, dont le nôtre – il était peut-être moins compétent que nombre d’autres –, et avait supprimé la possibilité pour le juge de prononcer la dissolution d’une personne morale pour faits d’escroquerie, et ce à l’heure où l’Église de scientologie était poursuivie de tels faits...
Cette polémique illustre les limites de l’exercice de simplification auquel entend se livrer depuis maintenant trois ans l’auteur de ce texte : en fait de simplification ou de clarification, ce type de proposition de loi touche des dispositions extrêmement éparses et hétéroclites – le rapporteur qui m’a précédé à cette tribune vient de le confirmer avec beaucoup de pertinence – sans ligne directrice, et modifie des dizaines de codes et de renvois, nonobstant l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi. Des réformes de grande ampleur qui ne sont pas des simplifications se glissent parmi les articles. Ainsi en a-t-il été de la réforme de l’indivision et de la procédure pénale de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC, en 2009.
Certes, le texte qui nous est soumis est le premier à avoir fait l’objet d’un avis préalable du Conseil d’État – non publié, me semble-t-il – à la demande expresse de son auteur, lequel, il faut le rappeler, a cru également opportun de recourir, sans publicité auprès de ses collègues, à un cabinet d’affaires privé LexisNexis pour l’élaboration de cette nouvelle proposition de loi, pour un coût de 84 000 euros !
Nous ne considérons pas que ce soit une méthode orthodoxe. Il y a déjà suffisamment de cabinets d’affaires qui pèsent sur la rédaction de notre législation, parfois trop de « transfert » entre la haute fonction publique, voire les cabinets, et le privé, avec les conséquences surprenantes et dommageables permettant la « transfusion » de certaines propositions législatives vers des textes accueillants, avec le maximum de discrétion – je pense à l’exemple récent de la loi relative aux réseaux consulaires.
Si nous avons bien compris les explications de l’auteur de la proposition de loi avec le cabinet LexisNexis, une quinzaine de professeurs d’université ont épluché l’ensemble des codes pour y relever des dispositions obsolètes et « ont fourni des fiches » ; de plus, selon M. Warsmann, « un certain nombre de mesures provient de sollicitations de nos concitoyens, notamment par l’intermédiaire du site Internet “Simplifions la loi”. Il s’agirait donc d’une double paternité « universito-citoyenne » ! Vous nous permettrez de rester incrédules.
La véritable question à se poser aujourd’hui est celle de la pertinence de telles propositions de loi. Nous considérons que ce concerto cacophonique en trois actes ne justifie pas un quatrième acte, en tout cas pas de cette manière. Et je rejoins tout à fait les observations du précédent rapporteur Hervé Maurey
Non pas que nous considérions que tout est négatif dans ce texte – et à ce niveau je tiens à saluer le travail de raison et de sagesse du rapporteur Bernard Saugey –, mais nous sommes persuadés que ces propositions de loi dites de simplification deviennent en réalité un facteur de complexification, voire d’opacité.
Pourquoi ? Parce qu’elles deviennent un véhicule législatif sous forme de voiture-balai, un bric-à-brac législatif où chacun – nous aussi, mais également le Gouvernement – aperçoit la possibilité de glisser une proposition plus ou moins importante à laquelle il est attaché. C’est la session de rattrapage des propositions de loi avortées ou rejetées ! Aussi, il faut le dire, ces textes deviennent un moyen pour certains lobbies de faire passer, noyée dans la masse, telle ou telle disposition.
Quelle est la maladie à traiter ? Cette maladie s’appelle l’inflation législative et réglementaire. Elle fait l’objet d’un accroissement géométrique auquel aucun barrage ne résiste. Les praticiens – ils sont un certain nombre ici – qui ont dans leur bibliothèque le Codes et Lois ont constaté que, entre l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 et l’avènement de la Ve République, le nombre de volumes est beaucoup moins important que depuis 1958, et ce de manière exponentielle.
De la même manière, le recueil des lois publié par l’Assemblée nationale est passé de 620 pages et 912 grammes en 1970 à 2 556 pages et 3 266 grammes en 2004. Aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 s’ajoutent chaque année presque une centaine de lois, plus de 50 ordonnances et 1 500 décrets.
Le texte a incontestablement une utilité lorsqu’il supprime des lois ou des commissions administratives.
C’est ainsi que l’article 136 de la présente proposition de loi abroge une cinquantaine de lois devenues inapplicables, faute de mesures réglementaires d’application, mettant en évidence le fossé toujours plus grand entre la précipitation à légiférer, souvent pour des raisons médiatiques – on peut renvoyer à l’accumulation de textes sécuritaires –, et les retards ou l’absence d’édiction des décrets.
C’est ainsi également que l’article 33 évapore diverses commissions. Nous considérons qu’il ne faut pas confondre les genres : le travail de suppression ne doit pas être mélangé avec l’introduction de nouvelles dispositions donnant ce côté « fourre-tout ». De ce fait, ce texte alimente ce qu’il est censé combattre.
Dans son rapport de 2006, le Conseil d’État a relevé que « l’effort de simplification ne conduisait pas, dans l’immense majorité des cas, à une réduction du nombre d’articles ou de dispositions applicables », mais « qu’il entraînait, au contraire, un alourdissement de certains textes, ce qui ne peut que rendre plus incertain l’apport concret pour les citoyens de telles mesures. » C’est un euphémisme ! On peut ainsi songer à la loi de simplification de 2009 qui avait, par exemple, réformé le régime de l’indivision, lui-même modifié en 2007, ou encore modifié le régime de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité lui-même créé en 2004.
En l’occurrence, le présent texte modifie près de 48 codes, parfois même en contradiction avec d’autres projets de loi en navette. Ainsi en est-il, aux articles 29 octies et 29 nonies, du droit de rectification des fichiers dont dispose le procureur de la République, qui n’est pas cohérent avec les dispositions du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2.
En matière pénale, nous disons souvent qu’il convient de mener une politique de prévention, afin d’éviter la commission des infractions. En matière de production législative, il en est de même. Il est indispensable de freiner la production de textes réactifs en fonction de l’opinion publique, modifiant d’autres textes souvent non encore appliqués.
Nous déplorons un empilement de normes stratifiées, que ni le mouvement récent de codification, ni la multiplication des ordonnances de simplification, ni la prise de conscience manifeste de l’illisibilité croissante du droit n’ont pu enrayer.
Quand bien même le Conseil constitutionnel a pu édicter en 1999 un objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi, sur lequel il s’est d’ailleurs déjà appuyé pour censurer des dispositions, le législateur demeure un producteur d’inflation législative.
De surcroît, l’abolition de la barrière entre domaine de la loi et domaine du règlement a conduit à l’adoption de textes formellement législatifs mais matériellement réglementaires, ce que Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qualifiait de « neutrons législatifs ».
En conséquence, nous avons déposé nombre d’amendements de suppression. Nous sommes satisfaits que M. le rapporteur lui-même ait proposé la suppression des articles relatifs au droit de préemption constituant une novation globale contestée par les élus locaux, n’ayant rien à faire dans une loi de simplification et dont on peut légitimement se demander qui en était à l’origine ; nous avons la même analyse sur les articles relatifs au groupement d’intérêt public, ou GIP.
M. le rapporteur a aussi, à juste titre, proposé la suppression de l’article 107 modifiant les peines encourues en cas de prise d’otage ; que vient faire un tel article dans une loi de simplification ?
Nous relevons 33 articles concernant les dispositions pénales. Outre le problème de l’article 103, est-il par exemple raisonnable d’utiliser ce texte de simplification pour modifier l’article 221-3 du code pénal, en ajoutant l’application de la circonstance aggravante de guet-apens au meurtre sous le prétexte contestable de réparer une lacune, voire une « incohérence », de la loi du 5 mars 2007 ?
À la lecture du rapport, on constate que même notre éminent rapporteur approuve, à la page 203, la suppression de l’article 104 de la proposition de loi, suppression proposée par M. Warsmann sans que la commission des lois puisse en expliciter les motifs... Bravo !
Il est non moins inquiétant de souligner que nombre de dispositions incluses dans la proposition de loi de simplification se télescopent avec des projets et propositions de loi en cours d’élaboration ou en navette.
Ces textes sont porteurs d’insécurité juridique, car ils sont à l’opposé du travail de synthèse, de codification, de définition d’une ligne juridique. Ils sont l’illustration d’une dissociation de la pensée juridique. Cela porte un nom différent dans d’autres matières.
De la même façon, l’amélioration du droit devrait passer par l’amélioration de la « légistique ». À cet égard, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a voulu renforcer les pouvoirs du Parlement en lui donnant à la fois des capacités d’analyse plus importantes et davantage de temps pour examiner les textes. Ces prérogatives demeurent limitées dans leurs effets, tant le Gouvernement comme une partie des parlementaires choisissent de se caler sur le temps médiatique plutôt que de prendre le recul nécessaire…