Or ce texte s’inscrit au contraire dans la vaste entreprise de dégradation des conditions d’élaboration de notre droit, de même qu’il est truffé de dispositions qui amenuisent les droits de nos concitoyens et avalisent le « parlementarisme maîtrisé », cher au Président de la République et, semble-t-il, à la majorité. Il y a pléthore de termes que vous auriez pu employer pour nommer ce texte, mais, à l’évidence, ni « simplification », ni « amélioration » du droit !
Ce texte, qui compte cent cinquante-huit articles, comprend ainsi des dispositions qui touchent, tous azimuts, l’ensemble de nos codes.
Gardons en mémoire la loi du 12 mai 2009, déjà dite de simplification. Son article 124 comportait cinquante-sept dispositions législatives différentes, dont celle qui a fait scandale à propos de la scientologie. Vous voyez, mes chers collègues, qu’une petite mesure détestable parvient toujours à se glisser au travers de ces textes. En l’occurrence, il s’agissait, étrangement, de la trente-troisième mesure, perdue au milieu de toutes les autres…
En 2006, la Cour des comptes, sur lettre de mission de l’ancien secrétaire d’État à la réforme de l’État, M. Éric Woerth, avait rendu un rapport dans lequel elle était chargée d’évaluer les effets de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par voie d’ordonnances sur la base d’« une analyse précise et objective du résultat obtenu » par lesdites ordonnances.
La Cour des comptes a relevé à cette occasion que cette loi, à l’image d’ailleurs de l’ensemble des prétendues lois de simplification, a été l’occasion d’un « effet d’aubaine législatif » et que, « si elle se montrait relativement efficace lorsque prédominaient les enjeux procéduraux, elle ne constituait pas un point d’entrée pertinent pour les réformes de fond et s’avérait inopérante lorsque la complexité des textes renvoyait à la complexité des réalités de notre société ». Dès lors, cette institution relevait que l’utilisation des « ordonnances de simplification pour produire du droit nouveau ne contribue pas à la lisibilité du processus ». Apparemment, vous n’en avez cure !
Les différents articles de cette proposition de loi visent à réformer les normes comptables des PME, le droit de la santé publique, le statut des architectes, le droit de préemption en matière d’urbanisme – ce qui n’est pas une petite affaire ! –, les groupements d’intérêt public, en en supprimant au passage, et à transposer dans le droit français des directives européennes sur la TVA et les services… Et j’en passe !
Heureusement, M. le rapporteur a supprimé quelques articles qui apparaissaient vraiment abusifs.
Toutefois, de nombreuses dispositions de ce texte visent à transposer la directive Bolkestein, qui avait tant fait parler d’elle au moment du débat sur le traité constitutionnel européen, que les Français, je vous le rappelle, ont massivement rejeté. Vous avez choisi une méthode de transposition en catimini, critiquable tant sur la forme que sur le fond.
Par ailleurs, depuis 1991, dans les rapports qu’il publie annuellement, le Conseil d’État n’a eu de cesse d’exprimer son inquiétude devant la complexification du droit, en particulier dans son rapport de 2006, à l’intitulé révélateur : « Sécurité juridique et complexité du droit » ! Il déplorait à cette occasion la « logorrhée législative et réglementaire » et « l’instabilité incessante et parfois sans cause » des normes. Nous ne pouvons que confirmer cette dévaluation constante de notre droit parce que, non seulement nous légiférons trop, mais nous légiférons mal.
En tant que parlementaires, nous le regrettons profondément, car, au-delà de nos clivages politiques de fond, cela a pour corollaire une déconsidération sans précédent du travail inhérent à l’exercice de notre mandat.
Pire, l’insécurité juridique qu’elle génère pour nos concitoyens atteint des proportions particulièrement préoccupantes pour notre état de droit.
Nous sommes d’ailleurs aux premières loges pour constater à quel point cette dérive a été accentuée par le mandat de l’actuel Président de la République, la grande majorité des textes dont nous avons été saisis – et ils ont été très nombreux ! – faisant l’objet d’une procédure accélérée. Il est du reste à noter que 90 % d’entre eux étaient des projets de lois.
Au demeurant, il est aujourd’hui particulièrement délétère pour notre démocratie que le domaine d’initiative parlementaire serve de réceptacle aux caprices du Gouvernement. Et vous n’en êtes pas à votre premier ballon d’essai !
Cela a deux conséquences majeures : d’une part, sur la considération du travail parlementaire, comme je l’évoquais voilà un instant, et, d’autre part, sur l’exigence constitutionnelle de clarté et de lisibilité de la loi pour nos concitoyens.
Il me semble en effet nécessaire de rappeler que, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la loi est l’expression de la volonté générale »… Cela exclut a priori les intérêts particuliers, si bien portés par les lobbies ici même, mais c’est une chose que la majorité présidentielle a manifestement du mal à comprendre.
Aussi, il convient également de rappeler que, aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ».
Personne n’est au-dessus de notre loi fondamentale. L’ignorer relève d’une irrévérence, dont vous devrez répondre. En revanche, lorsqu’il s’agit de faire usage de l’article 40 pour balayer nos propositions d’un revers de main, pour des raisons fort obscures, voire même, parfois, incompréhensibles, nul besoin de vous aviser : vous maîtrisez parfaitement la technique !
Le Conseil constitutionnel a déduit de ces articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’ils imposaient le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, et en a fait la base de nombre de ses décisions.
Le premier manquement à ce principe de sincérité est d’affirmer que ce texte est une proposition de loi, alors qu’il s’agit de facto d’un projet de loi, au demeurant préparé par un cabinet privé. Belle gageure que d’avoir tenté de nous faire croire le contraire !
D’ailleurs, on ne peut que constater que M. Warsmann a été bien aidé dans son œuvre. En effet, à la suite de la saisine du Conseil d’État par le président de l’Assemblée nationale, onze rapporteurs ont été chargés de l’examen des différents articles, et les cinq sections administratives ont été saisies du texte. Des représentants du Gouvernement et de l’administration centrale ont apporté leur contribution au travail des rapporteurs. Vous conviendrez, mes chers collègues, qu’il y a là une disproportion flagrante, et contestable, entre les moyens déployés pour le travail administratif et technique et ceux qui sont alloués au bon fonctionnement du travail parlementaire. Comment voulez-vous qu’un parlementaire réalise en quelques jours ce qui a été brodé en plusieurs mois par un escadron de juristes émanant de cabinets et de l’administration ?
Nous sommes certes convaincus que la représentation nationale devait se saisir de cette question, en débattre et tenter de lui apporter les réponses nécessaires à la clarification, à la lisibilité et à l’applicabilité des normes.
Dans son rapport, qui a néanmoins le mérite de l’honnêteté, …