Tout cela, monsieur le garde des sceaux, me rappelle un passage de L’Éducation sentimentale. Flaubert y dépeint l’un des innombrables débats qui agitaient les révolutionnaires de 1848 et qui portaient sur l’éducation. L’un de ses personnages s’écrie : « Camarades, il faut supprimer les diplômes ! » Nous y sommes, mes chers collègues ! Et un autre personnage de répondre : « Non, camarade, c’est au peuple de décerner les diplômes ! » Et pourquoi pas, au fond ? « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites », selon le célèbre adage.
Plus sérieusement, monsieur le garde des sceaux, je m’interroge sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à dénaturer l’esprit de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui a fondé l’ENA.
Cette école, malgré ses imperfections, est tout de même parvenue à démocratiser et moderniser la haute fonction publique. Elle a assuré une formation solide aux hauts fonctionnaires et évité que ne se reconstituent ces cloisonnements et ces « émiettements » de corps qui étaient très préjudiciables à l’efficacité de l’administration avant la guerre.
La suppression du concours de sortie, comme l’a indiqué Jean-Pierre Sueur, n’est pas une simple formalité. Elle risque d’entraîner de profondes conséquences. En effet, elle conduira inévitablement à jeter un doute sur l’objectivité, la transparence et l’équité qui devraient présider à l’affectation des élèves de l’ENA dans la fonction publique.
Le lourd et compliqué système qu’on lui substitue n’améliorera rien. Monsieur le garde des sceaux, je crains que, avant longtemps, vous ne soyez contraints de remettre l’ouvrage sur le métier.