Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 26 juillet 2007 à 22h15
Travail emploi et pouvoir d'achat — Article 3

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Cet article 3 vise à faire croire à chaque Français qu'il peut devenir propriétaire.

Pourtant, la réalité est bien différente : il restera au mieux un locataire, au pire un sans-abri sans lendemain, car aucune de ces mesures fiscales ne le concernera vraiment.

Vous voulez également faire croire aux Français que la crise du logement ne pourrait être jugulée que par des aides à l'accession à la propriété, et vous ne manquez pas de mettre en avant l'exemple de l'Espagne, qui compte 83 % de propriétaires, contre 53 % en France.

Toutefois, vous omettez de rappeler clairement quelle est la situation du logement dans ce pays, où la spéculation immobilière interdit aujourd'hui de se loger. De grandes manifestations ont eu lieu dans toute l'Espagne afin d'exiger des logements locatifs à des prix accessibles, car 11 % seulement des habitations sont destinées à la location.

La crise du logement en Espagne est sans précédent, avec des répercussions importantes, puisque les jeunes ne peuvent se rendre mobiles pour trouver du travail, en particulier dans les villes. À l'inverse, l'Allemagne compte un taux de propriétaires relativement faible, de l'ordre de 45 %, mais les besoins en logements y semblent mieux couverts qu'en Espagne ou que dans l'Hexagone.

En France, l'État consacre 458 millions d'euros à la construction d'HLM et 770 millions d'euros au prêt à taux zéro, qui aide les personnes modestes à accéder à la propriété.

Or vous sortez tout à coup un budget colossal de 3, 7 milliards d'euros, destinés aux poches de ménages qui, pour l'essentiel, ne sont pas nécessiteux, et encore moins, par conséquent, mal logés.

Alors que le mouvement HLM réclame des moyens supplémentaires, vous avez fait le choix de renforcer le nombre de propriétaires. Pourtant, tous les exemples que je vous ai donnés devraient inciter le gouvernement à beaucoup plus de prudence, surtout lorsque l'on sait l'incidence réelle de cette mesure.

Notre ancien collègue Roland Muzeau, devenu député, s'est livré à un calcul : en additionnant le montant total du crédit d'impôt sur la période de cinq ans pendant laquelle il est octroyé, il conclut que ce dispositif permettra à un ménage d'acheter 2, 4 mètres carrés de surface habitable en Île-de-France et 3, 8 mètres carrés en province !

En fait, tout le monde l'a compris, vous venez à la rescousse des agences immobilières, qui sentent depuis plusieurs mois leur marché « très mou », selon leur propre expression : la hausse n'est plus que de 7 % à 9 % à Paris et dans la région parisienne, alors que les agences s'étaient habituées à des taux allant de 15 % à 20 %.

Votre générosité envers les futurs propriétaires est donc toute limitée. Vous le savez, les taux d'intérêt sont en train de grimper, ce qui pèse sur les foyers modestes.

Ainsi, la presse spécialisée révélait qu'en octobre 2005 un ménage qui empruntait 150 000 euros sur vingt ans à 3, 25 % devait rembourser 851 euros par mois. Depuis, les taux sont passés à 4, 20 % et la mensualité s'établit à 925 euros. On atteindra probablement les 4, 7 % en fin d'année, et ladite mensualité monterait alors à 965 euros, soit 114 euros de plus qu'à l'automne 2005.

Le crédit d'impôt que vous annoncez à grand fracas n'absorberait qu'une partie de l'augmentation des taux. Grâce à votre aide, les prix de l'immobilier devraient s'annoncer à la hausse, ce qui réduira à néant votre soutien à l'accession à la propriété. Ce dispositif aura un effet certain : il amplifiera l'endettement des ménages.

Or, selon les comptes financiers de la nation, la dette des ménages a augmenté de 11, 3 % en 2006 et elle représente désormais 68, 4 % de leurs revenus.

La conséquence de cet endettement record des Français est une hausse du nombre de dossiers de surendettement déposés auprès des guichets des commissions de surendettement de la Banque de France, à savoir 51 093 dossiers pour le premier trimestre 2007, soit une augmentation de 0, 7 % par rapport aux trois premiers mois de l'année 2006.

Un tiers des nouveaux dossiers ont déjà fait l'objet d'une mesure de traitement de surendettement. Ces cas résultent donc de l'expiration du moratoire.

Je n'ose penser aux conséquences dramatiques de cet article 3, qui est toujours présenté sous un jour sympathique, comme répondant au réel besoin qu'éprouvent de nombreux Français de bien se loger : les situations d'endettement se développeront inexorablement, parce que, en raison de vos méthodes de communication, vous aurez trompé un grand nombre de Français, et parmi eux les plus fragiles.

La promesse de Nicolas Sarkozy de « faire de la France un pays de propriétaires » risque d'être amèrement déçue et de faire de la France un pays de surendettés, à l'image des États-unis, ce modèle que vous estimez tant.

Tous les autres, qui n'ont pas le droit de s'endetter, seront contraints à rester toujours aussi mal logés, comme les statistiques de ces dernières années le montrent. En effet, d'après la Fondation Abbé Pierre, les ménages dont les revenus sont inférieurs ou égaux à deux SMIC représentaient 16, 1 % des accédants en 2005, contre 28, 5 % dix ans auparavant. La Fondation constate que « la diffusion de la propriété dans les catégories les plus modestes est en recul ». Or, par vos mesures, ces catégories se trouveront toujours exclues

En plus d'être fortement inégalitaire, le dispositif que vous proposez est profondément injuste, puisqu'il constitue à la fois une mesure d'affichage destinée aux plus modestes et un beau cadeau de 1700 euros de réductions d'impôts, qui s'ajoute d'ailleurs à bien d'autres, offert à ceux qui n'en ont pas réellement besoin.

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