Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive — Adoption d'un projet de loi

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Ainsi, ce ne sont pas moins de trois ministres de la défense qui auront eu à se pencher sur ce petit texte qui vise à adapter notre législation nationale aux exigences de la résolution 1810, adoptée en 2008, un texte qui renforce donc notre arsenal juridique de lutte contre la prolifération des armements de destruction massive et de leurs vecteurs.

Dans son préambule, la résolution des Nations unies précise qu’il s’agit d’interdire aux États d’aider des acteurs non étatiques à se procurer les moyens et techniques permettant de se doter d’armes nucléaires, biologiques et chimiques.

La résolution réaffirme des points sur lesquels nous sommes tous d’accord : la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. Les États se sont engagés à lutter contre la prolifération. La menace terroriste est très préoccupante et, parmi les préoccupations principales, figure le risque de voir des acteurs non étatiques se procurer des armes de destruction massive des catégories citées.

Le projet de loi qui nous est soumis vise donc à inscrire dans le droit national que tout ce qui concourt d’une façon ou d’une autre, de près ou de loin, à la prolifération d’armes nucléaires, biologiques ou à base de toxines au profit d’acteurs non gouvernementaux, de groupes terroristes est interdit et réprimé par la loi.

Il aggrave les peines encourues par les criminels et va jusqu’à prévoir – anecdote ou « cerise sur le gâteau » – la confiscation des matériels ou des missiles illégalement détenus.

Je ne doute pas que ce projet de loi sera adopté à l’unanimité ; en tout cas il sera aussi voté par les sénateurs Verts. Mais je veux, à cet instant, formuler certaines interrogations : à quoi sert réellement ce texte ? Serons-nous désormais mieux protégés ? Les mesures annoncées sont-elles de nature à dissuader les criminels ? En vérité, je n’en suis pas certaine, même si vous nous dites qu’il se crée, sur fond de mondialisation, une économie de la prolifération illégale, utilisant les nouvelles technologies de la communication et profitant de l’ouverture des marchés financiers.

Je n’en suis pas certaine, même si vous nous dites que des acteurs non étatiques cherchent très concrètement à acquérir des armes de destruction massive ou des composants permettant d’en fabriquer.

Le risque existe sans doute, il est essentiellement potentiel. Mais la question reste entière : le projet de loi peut-il dissuader les terroristes, les trafiquants ?

Les faits incriminés n’existent pratiquement pas en France, puisque le député Michel Voisin, à l’Assemblée nationale, a identifié un seul événement en mars 2003, événement ayant conduit à une condamnation par le tribunal correctionnel de Paris. Nous aurons donc mis à jour le code de la défense, nous nous serons dotés d’un arsenal juridique nous permettant de traiter des problèmes théoriques, mais nous n’aurons pas fait reculer la prolifération, dont nous savons bien qu’elle est pour l’essentiel le fait d’États au fonctionnement opaque et peu démocratique comme la Corée du Nord ou le Pakistan, ou d’États qui assument tranquillement devant leur population – c’est le cas du nôtre – le fait de s’être dotés de l’arme nucléaire.

Nous y reviendrons sans doute, mais c’est un point dont nous avons déjà débattu à plusieurs reprises. Je pense en particulier au débat qui a suivi la présentation du rapport d’information de Jean-Pierre Chevènement, l’an dernier, ici même. Jean-Pierre Chevènement admettait que, si le TNP constituait effectivement la clé de voûte de l’ordre nucléaire mondial, il n’avait finalement pas permis d’empêcher la prolifération nucléaire, ce qui constituait pourtant son principal objectif théorique.

En vérité, le problème est double : d’une part, de nouveaux observateurs ont pointé le fait que des liens très étroits existaient entre le nucléaire civil, que le TNP prétend encourager, et le nucléaire militaire, dont il prétend contenir la diffusion ; d’autre part, on ne peut que constater la faiblesse de l’argumentation selon laquelle certains États seraient fondés à se doter de ce type d’armes quand d’autres seraient décidément jugés trop instables ou trop dangereux pour y avoir accès eux-mêmes.

La liste est longue des décisions hasardeuses qui ont été prises par notre pays en la matière, voire des fautes qu’il a commises. Nous nous souvenons de la position du Président de la République, qui avait proposé à la Libye non seulement des Rafales, mais aussi des centrales nucléaires à vocation civile. Je me rappelle les commentaires de certains diplomates et de certains hauts gradés de l’armée : ils en frémissaient d’avance. Heureusement, cette proposition ne s’est pas concrétisée…

On doit aussi noter l’annonce d’une volonté de coopération avec la Chine dans le cadre d’un partenariat global pour la mise au point d’un réacteur nucléaire de moyenne puissance de troisième génération ou encore l’accord de coopération signé le 22 février dernier avec l’Arabie saoudite dans le domaine du nucléaire civil.

On peut également mentionner l’inauguration en octobre dernier du laser mégajoule, déjà évoqué par Michelle Demessine, et le développement – qui lui est lié – d’armes nucléaires miniaturisées, sans oublier le ralliement de la France aux principes d’une défense anti-missiles dans le cadre de l’OTAN.

Le contexte national est, lui aussi, source d’interrogations.

Deux députés, Christian Bataille et Claude Birraux, viennent de faire part de leurs conclusions sur l’évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Dans leur rapport, ils pointent du doigt le paradoxe de la tranquillité dans le domaine nucléaire. L’anomalie détectée par EDF le 1er février, aux conséquences potentielles sur la sûreté des installations de trente-quatre réacteurs nucléaires en France, soulève aussi des interrogations.

Enfin, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de plusieurs débats ici même à ce sujet, la seule façon de limiter la prolifération est, me semble-t-il, de limiter les arsenaux et de cesser de vendre des équipements nucléaires civils .

Nous avons proposé à maintes reprises de commencer par établir une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient.

Nous avons un devoir d’exemplarité ? Chiche ! Soyons exemplaires, cessons d’alimenter la machine infernale !

Bien que ce projet de loi me paraisse assez éloigné de la réalité concrète du champ nucléaire, bien qu’il ne traite pas, contrairement à son titre, de toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes, il est néanmoins intéressant, me semble-t-il, en tant que signal et c’est pourquoi nous le voterons.

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