Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, en cette circonstance, vous expliquer brièvement pourquoi il me paraît légitime de demander la suppression de cet article et pour quelles raisons je regrette de constater les duperies de la communication gouvernementale sur ce projet de loi.
En effet, on nous a dit à plusieurs reprises, et encore la semaine dernière lors d'une réunion de la commission des finances, que ce projet de loi avait une dimension morale, en ce sens qu'il allait profiter au plus grand nombre.
Or, s'agissant des successions, la réalité est toute autre, puisque sont aujourd'hui déjà exonérées 89 % des successions en ligne directe et 90 % des transmissions aux époux survivants. Donc, si l'on passe de 89 % à 93 %, seuls 4 % de Français supplémentaires seront concernés.
Quand on nous dit que le dispositif profite à tout le monde, on peut se poser des questions ! En réalité, il profite aux 20 000 familles les plus riches, et les 1, 7 milliard d'euros qui leur sont distribués représentent une récupération de 85 000 euros en moyenne par famille. Ce n'est pas si mal pour ceux qui vont en bénéficier ! En tout cas, ce n'est pas du tout conforme à ce qui a été annoncé, c'est-à-dire un profit pour le plus grand nombre.
Deuxième duperie : le Président de la République a déclaré qu'il s'agissait de favoriser la transmission des fruits d'une vie de travail. Cela est totalement faux, puisque tout le monde sait que, si des successions doivent aujourd'hui être exonérées, c'est bien en raison de l'augmentation de la valeur du patrimoine, du capital, et de la spéculation financière active, sans compter le gonflement des prix de l'immobilier.
Donc, contrairement à ce qu'a dit le Président de la République, je prétends que cette disposition sur les successions touche essentiellement, outre les 4 % de familles aisées que j'ai citées tout à l'heure, celles qui se sont enrichies sans travailler.
Pour motiver notre demande de suppression de cet article, je dirai que ce texte mettra à mal notre pacte républicain. En effet, depuis l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, on a convenu qu'il était nécessaire que la charge publique soit répartie « entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Or la progressivité, en France, de l'impôt sur le revenu, des droits de mutation à titre gratuit et de l'impôt sur la fortune va être fortement réduite, ainsi que son effet redistributif, par l'adoption de ce projet de loi. Certaines dispositions de ce texte ont effectivement pour objet de « mordre » sur les trois principaux impôts progressifs.
Le relèvement des abattements sur les droits de donation et de succession viendra minorer les recettes des droits de mutation à titre gratuit. C'est également vrai du bouclier fiscal concernant l'ISF, et, bien entendu, de l'impôt sur le revenu.
Incontestablement, l'allégement des prélèvements progressifs est une tendance lourde, et les niches fiscales ont été créées en nombre ces dernières années. Cela place la France, comparativement aux autres pays de l'OCDE, dans une situation où la fiscalité est de moins en moins progressive.
Mes chers collègues, j'ai donc le sentiment, avec l'ensemble de mon groupe, que cette disposition est grave, parce qu'elle a un effet non seulement de détricotage libéral du système fiscal, mais surtout de détricotage de notre pacte républicain qui, dès 1789, a créé cet impôt progressif se fondant sur le principe d'une plus grande solidarité.
C'est la raison pour laquelle il nous semble important de supprimer cet article de ce projet de loi.