Intervention de Joseph Kergueris

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Adoption d'un projet de loi

Photo de Joseph KerguerisJoseph Kergueris :

Monsieur le ministre, avant d’entamer mon propos, permettez-moi, au nom du groupe de l’Union centriste, de vous témoigner le plaisir que nous avons de vous accueillir dans vos nouvelles fonctions, de vous adresser nos sincères félicitations et de vous présenter nos vœux de succès dans la conduite des missions dont vous avez la charge.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, un État peut-il être véritablement souverain, véritablement autonome, sans une industrie de défense innovante et performante ?

A fortiori, l’Europe peut-elle pleinement devenir une puissance sans une base industrielle de défense et de sécurité solide ?

Comme beaucoup d’entre nous, je ne le pense pas.

Le projet de loi dont la discussion nous réunit aujourd’hui vise à la transposition en droit français de directives importantes pour la construction effective d’une Europe de la défense.

Se défendre aujourd’hui coûte cher.

Même si la France demeure le quatrième exportateur mondial dans le domaine, notre production ne répond pas nécessairement à tous nos besoins. Nous avons besoin de nos partenaires européens, comme ils ont besoin de nous. C’est ensemble qu’il faut donner davantage de contenu industriel à la politique européenne de sécurité et de défense. C’est ensemble qu’il nous faut produire les meilleurs équipements aux meilleurs coûts.

Le projet de loi qui nous est soumis transpose les directives Transferts intracommunautaires et Marchés publics de défense et de sécurité des mois de mai et de juillet 2009, textes qui portent respectivement sur le régime des transferts intracommunautaires de matériels de défense et de sécurité, et sur le régime des marchés publics ouverts aux entreprises spécialisées dans ces matières.

Réduire les barrières marchandes produites par la multiplication de régimes nationaux en matière de transfert intracommunautaires était la première tâche à accomplir. C’est le problème auquel s’attache le premier chapitre de ce projet de loi, qui transpose la directive TIC. L’Union européenne est composée de vingt-sept pays, soit autant de procédures de contrôle, de domaines spécifiques d’application, de délais d’autorisation. Cette complexité est le produit de l’exclusion du marché de la défense du marché unique, conséquence du principe de prohibition.

Cette exception est d’ailleurs inscrite à l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et son champ a été défini par la Cour de justice des Communautés européennes tout au long de la construction communautaire.

Après un demi-siècle de construction jurisprudentielle, il était temps que les États membres et le Conseil européen reprennent la main, afin de poser, enfin, les fondations de cette Europe de la défense, sans laquelle la politique européenne de sécurité et de défense ne peut avoir ni contenu ni avenir.

Il fallait introduire la liberté du commerce et de l’industrie comme nouveau principe, mais pas à n’importe quel prix. Par conséquent, cette liberté sera encadrée, et ce au moyen de trois instruments étendus à l’ensemble de l’Union européenne : un système de triple licence d’autorisation, qui différencie les produits de défense et leur transfert selon leur sensibilité pour la sécurité des États ; une certification renforcée des entreprises ; un contrôle a posteriori des transferts effectués.

L’efficacité de ce système est garantie par la possibilité laissée aux États membres de modifier, voire de retirer toute autorisation de transfert.

Le non-respect des licences d’autorisation exposera l’entreprise bénéficiaire à de lourdes sanctions pénales et l’exclura des circuits commerciaux communautaires en matière de défense et de sécurité.

C’est donc non pas vers un grand marché libéralisé que nous nous orientons, mais vers un système de libre circulation fortement encadré, ce dont je me réjouis.

Une fois les régimes de transfert de marchandises simplifiés, il faut aménager en conséquence les procédures de passation de marchés publics à l’échelle communautaire. La question est traitée par le second chapitre du projet de loi, qui vise à transposer la directive MPDS.

Sur le plan juridique, cette directive permettra à la loi de définir les marchés de défense et de sécurité comme une catégorie spéciale, donc différente des marchés ordinaires et des marchés exclus.

Dans ce domaine, les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, animés par son rapporteur et président, Josselin de Rohan, dont je me plais à saluer la contribution de grande qualité, ont permis de pointer un certain nombre de questions laissant penser que ce paquet défense est l’ébauche d’une construction juridique qu’il faudra consolider.

Le premier problème est évidemment celui du respect de la préférence communautaire, qui, dans les dispositions actuelles, n’est pas résolu. La méconnaissance par nos partenaires de ce principe conduirait à une ouverture asymétrique des marchés européens à l’échelle mondiale.

Le considérant 18 de la directive MPDS semble, de fait, en évoquer le principe, mais il n’a pas de portée normative. L’aléa repose ainsi sur la confiance que nous plaçons en nos partenaires européens pour faire vivre la réciprocité des échanges au sein de l’Union européenne.

Selon les travaux de notre rapporteur, la Commission européenne travaillerait à la confection d’un instrument juridique permettant de rejeter, lors des passations de marchés publics de défense, les candidats non-couverts par les engagements internationaux de l’Union européenne, c'est-à-dire ceux qui sont issus des pays tiers.

Dans l’immédiat, le projet de loi, en particulier l'amendement que M. le rapporteur a eu l’heureuse initiative de déposer et qui est devenu celui de la commission, permet d’introduire dans l’ordonnance de 2005 le droit souverain de l’acheteur public de refuser, au cas par cas, de conclure une procédure de passation avec des pays tiers. Cette disposition serait alors notre meilleure protection contre une concurrence industrielle potentiellement déloyale.

Nous le savons, le marché de la défense et de l’armement n’est pas et ne sera jamais un marché tout à fait comme les autres. Il y va de la sûreté de la souveraineté nationale comme de la sécurité du territoire.

Pour autant, ce marché n’est pas isolé de l’économie générale. J’en veux pour preuve le fait que la recherche militaire a bien souvent été à l’origine, dans le domaine civil, d’innovations aujourd’hui déterminantes dans notre quotidien.

Il y avait donc une difficile équation à résoudre entre, d’une part, le respect des prérogatives de souveraineté nationale et, d’autre part, la performance économique et budgétaire.

Si le texte dont nous discutons aujourd’hui aboutit à un équilibre entre ces deux impératifs, si le progrès, en comparaison de ce qui est en vigueur, est manifeste, il reste encore beaucoup à faire. La transposition de ces deux directives ne suffira bien évidemment pas à résoudre, à elle seule, ces questions.

Le bilan qui en sera fait et que nous attendons servira, comme l’a noté notre rapporteur, à la préparation dans les années à venir d’un second paquet défense.

En attendant ce prochain rendez-vous, le groupe de l’Union centriste soutiendra la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et votera ce projet de loi.

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