Intervention de Marcel Deneux

Réunion du 4 octobre 2007 à 15h00
Grenelle de l'environnement — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Marcel DeneuxMarcel Deneux :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, en 2001, dans mon rapport sur l'ampleur des changements climatiques et de leurs causes, j'appelais déjà de mes voeux l'ouverture, au-delà du cercle des divers spécialistes, d'un vaste débat public seul capable, à mon sens, de susciter une prise de conscience pouvant entraîner les actions de très grande ampleur qui sont toujours indispensables pour enrayer le réchauffement climatique.

Je me réjouis donc de la tenue du Grenelle de l'environnement, où tous - associations, représentants du monde économique, collectivités locales, parlementaires, mais également citoyens - ont pu apporter leurs contributions, leurs propositions.

Depuis le pacte écologique de Nicolas Hulot, signé par les candidats à l'élection présidentielle, on peut même parler de prise de conscience écologique à l'échelle de la nation. La preuve en est que, pour la première fois, l'environnement figure parmi les trois préoccupations majeures des Français, après le chômage et la pauvreté, selon un sondage BVA réalisé en septembre dernier.

Nous sommes parvenus la semaine dernière à clore la première phase du Grenelle de l'environnement, avec la présentation des propositions des groupes de travail. Premier point positif, il y a désormais un consensus sur le constat suivant : le climat de la planète va probablement changer de manière assez sensible au cours du présent siècle, et ce en grande partie du fait des activités humaines et des retombées de la civilisation actuelle. Cela va inéluctablement modifier la situation d'individus, de régions, de pays et même de continents.

Autre avancée, il y a également un accord sur la nécessité de prendre des mesures structurelles et de modifier durablement nos comportements de consommation.

Enfin, nous sommes tous conscients de la nécessité d'agir vite et dans l'ensemble des secteurs de la vie économique. Tout cela est donc extrêmement positif.

Pour revenir sur les propositions des différents groupes de travail, celles-ci sont de deux types : des mesures visant à modifier nos comportements quotidiens, telles la réduction de dix kilomètres par heure de la vitesse maximale sur la route ou encore l'interdiction des ampoules à incandescence, et d'autres mesures que je qualifierai de structurelles, qui vont nécessiter un engagement financier important et un suivi de l'État.

C'est le cas notamment en ce qui concerne les infrastructures de transports. Nous sommes tous d'accord pour promouvoir un mode de transport durable, notamment pour le fret. Mais, pour cela, il est nécessaire de réorienter nos infrastructures de la route vers le rail, le transport fluvial et le cabotage. À cette fin, il est nécessaire de mettre en oeuvre une véritable politique de mise au gabarit de nos canaux, et de mener à bout des grands projets actuellement en cours.

De même, il est indispensable de repenser notre politique portuaire. Alors que notre pays possède l'une des façades maritimes les plus importantes d'Europe, nous n'arrivons pas à la valoriser.

C'est à l'aune de cette réorientation de nos politiques d'infrastructures de transports que sera jugée notre volonté réelle de lutter contre le réchauffement climatique. C'est à nous, parlementaires, de veiller à ce que ces orientations soient respectées dans les divers projets de loi qui nous seront soumis, à commencer par le prochain projet de loi de finances.

J'ajouterai que nombre des propositions qui ont été retenues sont connues depuis longtemps. Certaines d'entre elles étaient déjà présentes dans mon rapport de 2001. De plus, en ce qui concerne l'efficacité énergétique des bâtiments, j'avais proposé, lors de l'examen de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, d'instaurer un plan de réhabilitation énergétique du parc de bâtiments existants, proposition qui avait alors été repoussée. Que de temps perdu, alors qu'il y avait urgence à agir !

Cependant, je veux évoquer les quatre points d'achoppement majeurs qui demeurent : la place du parc nucléaire, l'utilisation des pesticides, un moratoire sur les OGM et, enfin, la place des incinérateurs, sur lesquels aucun consensus n'a pu être trouvé.

En ce qui concerne le nucléaire, il est important de rappeler que la France n'est pas mal placée en ce qui concerne les émissions de gaz, et ce grâce à l'importance de notre parc nucléaire. La France émet 40 % de moins de C02 que l'Allemagne, qui utilise fortement le charbon, et 35 % de moins que la Grande-Bretagne, qui se sert plutôt du gaz.

À cet égard, la France est un pays vertueux, qui fait preuve d'une certaine avance. Remettre en cause notre parc nucléaire serait donc irresponsable au regard du réchauffement climatique. L'énergie nucléaire est nécessaire pour que l'on puisse remplir nos engagements en matière de gaz à effet de serre. Pour autant, le nucléaire ne doit être qu'une énergie parmi d'autres. Il faut recentrer la production d'électricité d'origine nucléaire vers la demande de base, là où elle est imbattable. Parallèlement, il est primordial d'encourager les énergies renouvelables et de respecter nos engagements européens en la matière.

Concernant les OGM, la France ne doit pas adopter une position de repli et refuser tout ce qui y a trait.

D'une part, pour connaître les risques réels qu'ils présentent, il faut pouvoir les expérimenter. À cet égard, je déplore tous les actes visant à empêcher les chercheurs de faire de la recherche appliquée. D'autre part, un encadrement strict, une information publique, ainsi que des mesures d'isolement efficaces sont les éléments indispensables pour que des essais puissent avoir lieu et que des autorisations de mise en culture soient données.

En termes de rendement, d'utilisation d'intrants, de gestion de l'eau, les OGM pourront certainement apporter des réponses dans l'avenir, au même titre que les semences hybrides dans le passé. Laissons donc aux chercheurs la possibilité de faire leur travail !

Par la suite, il sera indispensable de garantir la coexistence des cultures. Chaque culture, qu'elle soit traditionnelle, biologique ou OGM, a sa place et doit la conserver. Telle est la position que les sénateurs de l'Union centriste-UDF avaient défendue lors de l'examen du projet de loi relatif aux OGM et à laquelle ils restent attachés. Il faut permettre à chaque forme agriculture de vivre, à chaque agriculteur de choisir le type d'agriculture qu'il souhaite développer sur son exploitation, sachant que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle de son voisin.

Aujourd'hui, les mesures préventives visant à assurer la survie de l'agriculture traditionnelle et biologique sont trop modestes. Il faut agir sur deux points : d'une part, les mesures d'isolement doivent permettre de mieux lutter contre les disséminations possibles ; d'autre part, à l'exemple de ce qu'une loi avait prévu pour la production de semences de maïs, pourquoi ne pas envisager la création de zones protégées où il ne serait pas possible de produire des OGM ?

Pour aller plus loin, il est sans doute nécessaire de prévoir des mesures contraignantes afin que les disséminations soient limitées sur les étapes en aval, à savoir la récolte, le stockage et le transport.

Plus succinctement, il faut reconnaître que, en ce qui concerne les pesticides, les agriculteurs ont fait des progrès considérables. Ce mouvement doit se poursuivre. Pour cela, il est nécessaire d'encourager les recherches en cours. Cependant, les effets de la diminution de la consommation des pesticides ne seront visibles sur la qualité des nappes phréatiques que dans l'avenir.

En ce qui concerne le traitement des déchets, l'enfouissement n'est pas une solution réaliste, à moins de vouloir faire une « archéologie des déchets ». Il est nécessaire de responsabiliser nos concitoyens, au besoin à l'aide de mesures fiscales, et de leur faire prendre conscience de l'importance du tri sélectif.

Par ailleurs, les nouvelles générations d'incinérateurs permettent de contrôler en temps réel les rejets dans l'atmosphère. Selon moi, il n'y a pas de raison de s'opposer à une incinération des déchets lorsqu'elle est contrôlée.

Monsieur le ministre d'État, il est nécessaire de mettre en place des mesures pratiques, afin que tout un chacun se sente partie prenante dans la préservation de notre planète. Les propositions faites par les groupes de travail, qui vont encore s'enrichir lors du débat à venir, vont dans le bon sens. Mais vous ne ferez pas l'économie d'une modification en profondeur de la façon dont les politiques publiques sont conçues. À cet égard, je pense, par exemple, au rôle du Conseil économique et social.

Il est également indispensable, monsieur le ministre d'État, que vous encouragiez la recherche tant sur les énergies renouvelables que sur les moteurs propres ou encore sur la séquestration du C02, domaine dans lequel beaucoup reste à faire.

J'attire également votre attention sur un secteur qui me tient particulièrement à coeur : la recherche océanographique. Nous ne connaissons pas les océans, alors qu'ils jouent un rôle déterminant dans l'évolution du climat.

Les années à venir vont nous conduire à revoir nombre de comportements dans nos modes de consommation. Le rapport Stern a sensibilisé la sphère économique aux conséquences possibles suivant les scénarios. Il contribue à la prise de conscience des décideurs économiques, voire financiers, qui bougent. Par contagion, les décideurs politiques commencent à raisonner autrement.

Il faut redire, parce que c'est la vérité, monsieur le ministre, que, malgré les fortes préoccupations environnementales, l'avenir n'est pas la croissance zéro. Si nous relevons le défi des nouveaux besoins et des nouvelles technologies, entre 300 000 et 350 000 emplois pourraient être créés, selon plusieurs études, à condition de faire les bons investissements. Ceux-ci devront être financés, par le privé, bien sûr, mais aussi grâce à des incitations publiques.

Permettez-moi de vous soumettre une idée, monsieur le ministre. J'habite le département de la Somme, où sont créées de nombreuses fermes éoliennes. Je me suis aperçu que, en dehors des campagnes de sensibilisation et des enquêtes réglementaires de toutes natures, l'acceptation sociétale de ces grandes machines dans le paysage était plus rapide sur les sites où les populations avaient pu participer financièrement aux coopératives créées pour la circonstance. Cela s'est fait dans plusieurs endroits et cela fonctionne. Il faut donc prendre des dispositions pour favoriser ce type de structures.

Je connais un peu le monde bancaire. À ce titre, j'attire votre attention sur une forme d'épargne socialement responsable dans les modes de consommation durable : l'investissement socialement responsable. Ce produit existe déjà et se développe vite. C'est la jonction logique pour passer des modes de production durable à des modes de consommation durable. De plus, c'est un axe de communication et de formation pour le grand public.

Vous ne manquez pas d'imagination, monsieur le ministre. Je souhaite donc que vous facilitiez le développement de ce type de flux financiers. Il s'agit aussi d'un mode de consommation intelligent d'un produit qui peut être efficace : l'épargne. En outre, cela peut aider la France à atteindre les objectifs de développement durable que nous souhaitons qu'elle se fixe rapidement.

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