Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans ce débat sur le Grenelle de l'environnement, je souhaite souligner combien toute mesure nouvelle en matière de développement durable ne peut se concevoir sans une articulation étroite avec une recherche fondamentale de long terme.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi de m'appuyer sur les recherches conduites dans les régions polaires.
Comme vous le savez depuis votre passage au Groenland, monsieur le ministre d'État, ces recherches sont du plus haut intérêt. J'ai pu moi aussi en prendre toute la mesure à l'occasion d'une mission d'audit de cinq semaines sur le continent antarctique organisée à la fin de l'année 2005. En effet, j'ai le privilège d'être le premier parlementaire à m'être rendu à l'endroit de notre planète où s'élabore la connaissance des archives de l'évolution du climat, sur la base Concordia au dôme C, au coeur du continent antarctique, appelé le « continent des extrêmes » en raison de la rudesse des conditions de survie. Cette mission d'expertise, effectuée dans le cadre d'un rapport sur la recherche en milieu polaire pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, m'a permis de prendre conscience de la responsabilité qui nous incombe en matière d'efficience dans l'utilisation de nos énergies, comme de l'urgence à ouvrir des perspectives autour des énergies renouvelables.
Si je prends appui sur la recherche en milieu polaire, c'est parce que ce sont en grande partie les découvertes qui ont été réalisées aux pôles qui expliquent notre débat d'aujourd'hui. J'en prendrai trois exemples : la couche d'ozone, le climat et la biodiversité.
Le protocole de Montréal de 1987, dont nous avons célébré le vingtième anniversaire voilà quelques semaines, apparaît comme un modèle de mobilisation de la communauté internationale en matière de développement durable. En effet, il a permis d'organiser l'élimination progressive des CFC et d'autres substances nuisibles à l'ozone stratosphérique afin de revenir dans quelques dizaines d'années à un état naturel. On s'est même aperçu récemment que les gains induits en termes d'effet de serre étaient nettement plus importants que ceux qui étaient attendus du protocole de Kyoto s'il était parfaitement appliqué !
Or, mes chers collègues, il faut se rappeler que le trou de la couche d'ozone a été découvert en Antarctique aux cours de recherches fondamentales ne portant pas directement sur ce sujet.
Pour la connaissance du climat ensuite, le legs des recherches en milieu polaire n'est pas moins important. On peine à se figurer la faiblesse de nos connaissances avant que ne soient exploitées par les scientifiques les carottes de glace issues des forages antarctiques de Vostok et de Concordia. Celles-ci et d'autres encore contiennent les archives infalsifiables du climat et de l'atmosphère de notre planète depuis près d'un million d'années. En effet, les microbulles d'air qu'elles contiennent sont autant d'atmosphères fossiles rendant compte des conditions du passé. La composition physico-chimique de la glace et les isotopes des différents atomes sont autant de thermomètres permettant de remonter le temps.
Or ce sont ces recherches qui permettent de montrer, par comparaison avec l'état naturel, l'influence de l'homme au cours des dernières décennies, et de prévoir l'avenir par l'étalonnage des modèles climatiques.
En matière de biodiversité enfin, les pôles sont de véritables sentinelles des changements en cours.
En raison du phénomène d'amplification polaire qui veut que la hausse de la température soit environ deux à trois fois plus rapide aux hautes latitudes que dans nos régions tempérées, l'environnement polaire connaît des bouleversements rapides faisant peser une menace directe sur les espèces qui y vivent. Les études les plus récentes montrent qu'une hausse de seulement 0, 3 degré Celsius de la température de l'océan peut conduire à une baisse de 10 % de certaines populations de manchots !
Certes, le manchot empereur ou l'ours blanc sont de splendides animaux, mais cela suffit-il pour vouloir les préserver ? Dans le fond, mes chers collègues, pourquoi financer la recherche sur ces animaux, alors qu'il y a tant à faire sur le cancer et d'autres maladies qui nous touchent si durement ?
C'est justement parce que ces animaux nous apportent des solutions. Vous serez surpris d'apprendre que l'étude du système digestif du manchot nous a déjà permis d'améliorer considérablement la lutte contre les maladies nosocomiales, si dangereuses dans nos hôpitaux. Ces mêmes recherches offrent des perspectives extrêmement prometteuses pour la lutte contre le cancer. Ces animaux ont des métabolismes très particuliers leur permettant de faire face aux conditions extrêmes dans lesquelles ils vivent.
La recherche sur la biodiversité est un domaine majeur insuffisamment connu et exploité. Chaque espèce est un trésor unique dont nous ne mesurons que trop rarement l'importance.
Ainsi, je souhaite vivement que le débat public engagé à l'occasion de ce Grenelle de l'environnement soit l'occasion de prendre pleinement la mesure de l'apport décisif de la recherche fondamentale pour nos sociétés, que ce soit dans les sciences de l'univers ou dans les sciences de la vie. Ces recherches ont changé et changeront notre manière de vivre et de voir le monde.
« Nous ne sommes savants que de la science présente », écrivait Montaigne. Au moment où nous réfléchissons à l'avenir de nos sociétés, préparons le futur de la science, car il ne peut y avoir de développement durable sans développement de la science.