Monsieur le ministre d'État, invité de nos journées parlementaires à Nantes la semaine dernière, vous avez tressé une couronne de lauriers aux écologistes, particulièrement aux Verts, dont le travail a contribué à sensibiliser la société à la réalité, à la gravité, à la complexité de la crise écologique. Vous avez affirmé que notre pays avait changé, que nos citoyens aspiraient à vivre mieux et se disaient à une écrasante majorité prêts à adopter d'autres comportements. Ce qui n'était pas possible hier est désormais à notre portée.
Je vous crois, monsieur le ministre d'État ; quand je vous écoute, je bois du petit-lait, et je ne souhaite qu'une chose : que vous réussissiez.
Pour réussir, la première des vertus nécessaire, c'est la lucidité.
La mutation vers une société conciliant gestion responsable des ressources, justice sociale et efficacité économique sera tout sauf simple et consensuelle. Je sais que vous n'êtes pas de ceux qui en tireraient argument pour ne rien faire du tout.
Elle sera tout sauf simple, parce que, la bonne volonté des acteurs économiques et des citoyens étant acquise, il sera difficile de leur demander de changer si des alternatives concrètes, accessibles, ne sont pas mises en place. Il ne suffira pas d'encourager nos concitoyens à laisser chaque fois que c'est possible leur voiture au garage si les bus sont rares et bondés, si les projets de transport public restent dans les cartons faute de financement.
L'amputation sévère de la marge de manoeuvre budgétaire de l'État à laquelle il a été procédé cet été sans aucune contrepartie sociale et environnementale constitue une faute grave. Il y avait de quoi financer des TGV, des tramways, des bus en site propre, des logements sociaux bien isolés, des tunnels ferroviaires pour franchir les Alpes ou les Pyrénées, les trains remplaçant les camions.
Cette mutation sera tout sauf consensuelle. En effet, la transformation en profondeur des façons de vivre, de produire, de travailler, de consommer, va heurter des intérêts puissants, remettre en cause des rentes de situation, parce qu'on ne pourra pas faire tout et son contraire : concilier l'inconciliable, donner satisfaction à ceux qui, depuis toujours, s'arrogent le droit de consommer, sans les payer à leur juste prix, de l'eau, de l'air, de l'espace, de l'énergie, des matières premières, ceux qui font payer par d'autres les conséquences sanitaires, sociales et environnementales de leurs activités polluantes et dont le profit n'est pas - c'est un euphémisme ! - largement partagé par tous, ceux enfin qui, en situation de quasi-monopole et sur la base de contrats léonins, facturent à prix fort les services rendus en matière de dépollution.
Comment ne pas s'alarmer alors que remontent au créneau les lobbies les plus divers, dans les ministères, dans les médias, auprès des parlementaires, avec la complicité active de quelques-uns d'entre eux ? Ils détestent qu'on le leur rappelle, mais nous savons tous nommer ceux qui représentent de façon parfois explicite les intérêts de tel ou tel secteur d'activité. Selon les cibles, on mettra en avant le caractère dérisoire des politiques nationales, on fera du chantage à l'emploi, on négociera des délais, on fera mine de craindre le désaveu des citoyens à quelques mois d'échéances électorales, forcément sensibles.
La tâche de ces lobbies serait moins facile si le Président de la République et le Gouvernement n'avaient pas constamment donné l'impression de décider au coup par coup, sous la pression des habitudes, des clientèles, des amis politiques : le réacteur EPR se construit, tout comme l'incinérateur de Fos-sur-Mer, le ministre de l'agriculture s'abstient à Bruxelles sur un dossier d'autorisation d'OGM, donnant ainsi toute latitude à la Commission européenne de prendre la décision à sa place.
Où est alors la cohérence entre les ministères et, au sein de chacun d'eux, entre les politiques, entre l'État au niveau central et l'État au niveau local, entre l'État et ses établissements publics ?
Est-il normal, monsieur le ministre d'État, que les préfets réunissent les services qui instruisent les autorisations d'extension d'élevage avant même que ne se tiennent les réunions des comités départementaux d'hygiène ?
Savez-vous que plusieurs des experts chargés par l'AFSSE, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, d'un rapport sur l'impact sanitaire des téléphones mobiles avaient un lien professionnel avec les grands opérateurs ?
À quoi rime le discours sur le ferroutage quand la SNCF, incapable d'assurer le transport de wagons isolés, envisage de fermer 262 gares ?
Pourquoi la Commission nationale du débat public n'a-t-elle toujours pas de président ?
Les mesures suggérées par le groupe de travail sur les questions de gouvernance vont dans le bon sens. Elles permettraient de mieux reconnaître la place des associations, de garantir le pluralisme de l'expertise et de protéger les lanceurs d'alerte, de décider de façon plus transparente et plus argumentée.
Malheureusement, le groupe de travail reste timide pour ce qui concerne l'organisation de l'État lui-même, au niveau central et au niveau territorial, et la répartition des compétences. Il ne dit rien, ou presque, de ce cancer qu'est la corruption ou de la nécessité de revoir les procédures et contrats de délégation de service public.
Il faut que l'État donne l'exemple, qu'il transpose sans finasser les directives européennes, qu'il respecte lui-même la loi, la loi « littoral », la loi « montagne », la loi sur les études d'impact, la loi sur l'eau, et qu'il les fasse respecter avec une police de l'environnement digne de ce nom et une inspection des installations classées dotée d'effectifs suffisants.
Le terme de « Grenelle » est passé, dîtes-vous, monsieur le ministre d'État, dans le langage commun. C'est vrai ; encore faut-il admettre qu'il y a un doute sur le sens de ce terme. En 1968, dont j'assume sans problème l'héritage - comme vous, j'en suis sûre -, il s'agissait d'une vraie négociation. Aujourd'hui, il s'agit d'un dialogue inédit, de qualité, même s'il a été mené au pas de charge, même si les participants ne disposaient pas tous de la même connaissance des dossiers. On reconnaît les nouveaux convertis à leur enthousiasme et à l'ardeur avec laquelle ils accordent du crédit à des solutions magiques sans en identifier les effets pervers - je pense bien sûr au biocarburant, qu'il vaudrait mieux qualifier d'agrocarburant - avec l'espoir que tout cela reste indolore et ne dérange pas trop le business.
Ce dialogue a permis de valider un diagnostic, d'identifier un certain nombre de mesures consensuelles, gagnant-gagnant. On peut raisonnablement espérer qu'elles seront mises en oeuvre. Il a permis aussi de dresser le constat de désaccords persistants.
Qui arbitrera ? Le Président de la République, avez-vous dit. Je ne suis pas parfaitement rassurée, pas seulement parce qu'il ne se déplace qu'en avion au lieu de prendre le train, pas seulement parce qu'il confirme à tous les grands élus - sur ce point, il n'est pas vraiment différent de son prédécesseur - le caractère prioritaire de leur projet de rocade et de contournement routier, à Bordeaux, à Strasbourg et ailleurs, pas seulement parce qu'il propose de vendre des centrales nucléaires urbi et orbi, mais aussi parce que les décisions qui sortiront du Grenelle de l'environnement doivent être engagées, portées par tous les partenaires si nous voulons qu'elles survivent aux arbitrages budgétaires, à l'inertie administrative, au découragement même de ceux qui seront chargés de les mettre en oeuvre.
Avant de conclure, je veux, monsieur le ministre d'État, attirer votre attention sur l'espoir suscité par le Grenelle de l'environnement dans l'outre-mer.
On aime célébrer la beauté des paysages de ces régions, la richesse de la biodiversité, la fécondité des océans, la fertilité des sols. La réalité est tout autre : empoisonnement des sols par le chlordécone et le paraquat, prolifération des déchets, orpaillage sauvage, déforestation, embouteillages monstrueux, trafic d'espèces protégées.
On vous attend aux Antilles pour engager les îles des Caraïbes vers un développement plus responsable. Harry Durimel vous l'a demandé ; je veux vous entendre ici confirmer la promesse que vous avez faite.
Je vous envie, car vous avez un défi magnifique à relever ; je vous plains aussi, parce que j'ai écouté les interventions des députés, hier, à l'Assemblée nationale, comme celles de mes collègues sénateurs, cet après midi. J'ai mesuré à quel point le soutien de certains de vos amis politiques se limitait pour l'essentiel à de grandes envolées lyriques de caractère général, assorties de recommandations de prudence : n'empêchez pas les voitures de rouler ! Attention aux aliments « bio » dans les cantines ! Ne pénalisez pas nos entreprises !
Je vous souhaite sincèrement beaucoup de courage, car il vous en faudra !