Intervention de Ambroise Dupont

Réunion du 4 octobre 2007 à 15h00
Grenelle de l'environnement — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Ambroise DupontAmbroise Dupont :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, partager des idées, c'est, on peut l'espérer, les renforcer. L'exercice auquel nous nous plions aujourd'hui va dans ce sens. L'ouverture de ce grand débat national a le mérite, entre autres, de rappeler que ces questions ne sont pas l'affaire des seuls spécialistes puisque 93 % des Français se disent prêts à faire des efforts pour préserver l'environnement.

Les travaux conduits au cours de cette première phase, au sein des six groupes de travail, ont permis de porter au débat de nombreuses propositions. Je salue, en particulier, la participation de nos collègues Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, qui ont présidé le groupe n° 2, « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles ». Rapporteur pour avis des crédits de l'écologie, au nom de la commission des affaires culturelles, je suis particulièrement attentif à la politique de préservation de notre patrimoine naturel.

Nous avons mis en place des outils remarquables, qui suscitent une très large adhésion ; je pense, bien sûr, aux parcs et réserves naturels, mais aussi à la grande « loi littoral » et à l'action du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, le CELRL. Les travaux du Grenelle de l'environnement devraient être l'occasion, si nécessaire, de clarifier les objectifs que nous avons fixés et d'identifier les cibles prioritaires.

Le succès repose sur un équilibre subtil : concilier les exigences de protection de la nature et de valorisation des territoires, mais aussi de leur aménagement. L'une des propositions du groupe n° 2 est de créer une « trame verte nationale », c'est-à-dire un réseau des espaces naturels de l'ensemble du territoire. Si cette proposition représente une opportunité de lutter contre la fragmentation de ces espaces, je ne peux qu'y souscrire. J'y reviendrai en évoquant la question de l'étalement urbain.

Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, sur un aspect quelque peu oublié jusqu'à présent dans les débats : la question du paysage. Il s'agit pourtant d'une dimension essentielle et transversale de toute politique de développement durable, sur le plan tant de la beauté de l'environnement que de la sauvegarde de la diversité.

Les associations de protection du paysage ont regretté de ne pas avoir été plus impliquées dans la première phase du Grenelle de l'environnement. Je souhaite que leur voix puisse être entendue à l'occasion de la phase de consultations qui se poursuit en régions.

À de nombreuses reprises, j'ai interpellé vos prédécesseurs, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, sur la problématique de la dégradation du paysage, pas seulement naturel mais aussi urbain, notamment à l'occasion de mon rapport sur les « entrées de ville ».

Les paysages sont en effet un trait d'union entre la nature et la culture. Prendre en compte cette dimension garantit la cohérence de nos démarches. C'est pourquoi, tout en soutenant les objectifs fixés en termes de production d'énergies renouvelables, j'ai souligné l'an passé, à l'occasion du débat budgétaire, la nécessité de promouvoir un développement choisi des éoliennes sur notre territoire.

La question des paysages m'amène naturellement au thème de l'étalement urbain, sur lequel je souhaite attirer votre attention.

Le groupe n° 1, « lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande énergétique » propose, dans son rapport, des mesures concrètes contre l'étalement urbain, c'est-à-dire contre le développement rapide et anarchique des surfaces urbanisées, en particulier en périphérie des villes. Le rapport du groupe n° 2 sur la biodiversité recommande même d'inciter à une « densification urbaine de qualité ». Ces propos sont lourds de conséquences, mais il convient d'y réfléchir.

En effet, même si la France reste l'un des pays les moins densément peuplés en Europe, notre ressource foncière n'est pas illimitée. Le développement de l'urbanisation récente l'a déjà bien entamée, et souvent de manière inconsidérée. Le rythme auquel nous consommons l'espace rural est très préoccupant : 60 000 hectares de zones agricoles ou naturelles sont remplacés, chaque année, par des zones artificialisées. Ce phénomène ne touche plus seulement les périphéries des capitales régionales et le littoral, comme dans le Calvados, avec les conséquences que nous connaissons sur la fréquence des inondations ; il touche aussi les régions les plus rurales.

Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre d'État, il nous faut trouver des « solutions innovantes, concrètes et raisonnables ».

Le groupe de travail n° 1 propose donc d'élaborer une « loi pour une gouvernance adaptée à la mobilité durable », donnant notamment aux pouvoirs publics de nouveaux outils : une obligation d'étude d'impact et de programmation préalable de transports en commun adaptés ainsi qu'une meilleure articulation des différentes politiques dans les documents d'urbanisme. Il est même question de « zones de densification environnementales », dotées de coefficients d'occupation des sols majorés à proximité immédiate des transports en commun.

Le groupe n° 4, « adopter des modes de production et de consommation durables », propose également des pistes pour densifier les zones bâties. Voilà de beaux sujets pour les plans locaux d'urbanisme, les PLU, et peut-être même pour les schémas de cohérence territoriale, les SCOT ! Mais n'oublions pas le goût de nos concitoyens et mesurons bien le coût des études.

Il est vrai que le coût énergétique de l'étalement urbain est très élevé du fait de l'accroissement des déplacements, en majorité automobiles. Il est également plus difficile d'isoler et de chauffer les constructions de faible densité.

Mais l'étalement a bien d'autres conséquences néfastes que le réchauffement climatique et l'épuisement de nos ressources énergétiques : l'émiettement des zones construites et, par conséquent, le morcellement de l'habitat naturel menacent la biodiversité. Cet émiettement constitue une entrave à la reproduction entre les différentes populations d'une même espèce et risque de réduire la diversité biologique. La qualité des biotopes passe ainsi par leur continuité.

De même, l'équilibre écologique de nos ressources en eau est en jeu. Le développement de la maison individuelle pose aussi le problème de l'assainissement et de son coût. Doit-il être collectif ou contrôlé par les services publics d'assainissement non collectif, les SPANC ? Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ne s'en sortent plus et on repousse les échéances posées dans la loi sur l'eau.

Enfin, les conséquences sur l'agriculture ne doivent pas être oubliées.

On oppose souvent, à tort, performance économique et protection de l'environnement, notamment en matière d'agriculture. En l'occurrence, l'étalement urbain menace les deux : d'une part, il conduit parfois à entraver la circulation des engins agricoles, d'autre part, l'ensemble du monde agricole exprime la crainte de voir disparaître peu à peu les espaces agricoles.

La demande de produits alimentaires augmente. L'autonomie de l'Europe redevient une question d'actualité et notre pays y joue un rôle de premier ordre. Il ne faut pas l'oublier !

Toutes ces questions vont exiger des réponses à long terme, qui passent, d'abord, par une analyse lucide des causes de l'emballement de l'étalement urbain.

À mon sens, il ne faut pas se limiter à mettre en cause la seule demande. Certes, nos concitoyens préfèrent la maison individuelle. Mais c'est souvent parce que l'offre en matière de logement collectif ne répond pas à leurs aspirations. Le collectif est devenu trop cher et le prix du foncier n'est pas seul en cause : il faut compter avec les coûts de construction et de gestion. Il est aujourd'hui plus avantageux de construire des petits lotissements, qui deviennent, de ce fait, le modèle de développement dominant.

Certains pourraient s'étonner d'entendre aujourd'hui un plaidoyer en faveur de la densification, tant celle-ci est associée dans les esprits à un cadre de vie dégradé, coupé du vivant. Pourtant, c'est seulement en redonnant envie de vivre ensemble, dans des logements collectifs à haute qualité environnementale, que l'on répondra, à la fois, aux aspirations de nos concitoyens et aux impératifs environnementaux. Il faut rendre économiquement rationnel le choix d'investir dans des logements collectifs ou contigus et recréer la rue, avec un grand R. Car la rue, c'est la vie !

Vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, la croissance durable est possible. C'est même son caractère durable qui sera la condition de la croissance.

Il en va de même pour un urbanisme durable. Dilapider l'espace rural est irréversible. Réparer les erreurs d'une urbanisation non maîtrisée est toujours difficile et coûteux. On voit aussi combien il est difficile de traiter les maux nés du modèle des grands ensembles construits dans les années soixante et soixante-dix. Si l'on n'y prend garde, il pourrait s'avérer tout aussi difficile de revenir sur les conséquences néfastes de l'étalement urbain actuel.

Je compte sur vous, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, pour mettre en oeuvre les stratégies nécessaires afin que la ville cesse de ramper et se relève.

Il faudra passer de la première phase du Grenelle de l'environnement aux réalisations concrètes. Dans le domaine du développement durable, l'urbanisme reste, à mon avis, l'outil privilégié dont disposent les maires. Il faudra donc veiller à associer plus étroitement les élus à l'occasion de la phase de consultations qui se poursuit en régions. C'est la décentralisation qui leur en a confié la compétence. L'urbanisme ne doit cependant pas perdre sa dimension régalienne.

Votre grand ministère d'État est au croisement de ces choix. C'est une grande et difficile mission qui vous est confiée. Le débat que vous avez organisé est l'occasion pour chacun de confronter ses options avec la réalité et d'avancer sur le chemin complexe du développement durable. Mais n'oublions jamais que le développement durable doit reposer équitablement sur ses trois piliers : écologique, économique et social.

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