Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Conventions internationales instituant des partenariats de défense — Adoption de quatre projets de loi

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le vote de ces quatre projets de loi pose, à l’heure actuelle, un grave problème d’opportunité.

Je pense que le moment est mal choisi pour envoyer en direction de l’Afrique un signal diplomatique de soutien militaire, car l’engagement de la procédure interne de ratification de ces traités de défense n’est pas autre chose.

La qualité de ces conventions n’est pas réellement en cause, même s’il faut regretter que la dynamique de transparence engagée ne tienne pas toutes ses promesses.

En effet, il faut saluer le progrès réel que constitue l’association du Parlement à l’entrée en vigueur de ces accords de partenariat de défense.

La révision des accords de défense conclus à la suite des indépendances apparaît depuis longtemps nécessaire : les besoins de nos partenaires africains et ceux de notre défense nationale, ainsi que les menaces auxquelles nous devons faire face ont considérablement évolué depuis cinquante ans.

Toutefois, on ne peut que regretter que seules quatre des huit conventions de défense soient ce soir discutées, que notre présence militaire au Tchad ne soit pas abordée à l’occasion de ces nouveaux traités et que les accords de coopération avec le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et la Guinée équatoriale n’entrent pas dans le champ d’une discussion générale.

S’il faut adapter aux contraintes contemporaines la présence française en Afrique, cela ne peut se faire sans une vision stratégique à l’échelle du continent, et non en tronquant la discussion.

Fondus à partir du même moule, ces traités engagent véritablement la présence de la France en Afrique et donnent à voir le rôle qu’elle entend y tenir.

Dans le Livre blanc Défense et Sécurité nationale, qui doit être révisé en 2012, certaines pistes sont bien proposées, mais elles ne donnent pas entière satisfaction dans l’éclairage que ce document apporte aux conventions qui nous sont présentées.

La première piste est la volonté française de transformer l’action bilatérale en un engagement multilatéral. Cela paraît de nature à renforcer la légitimité des interventions militaires, en plus d’en partager le coût financier.

Il est certain que tout recours à la force ne peut se faire que dans le cadre d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

L’inscription de ces traités de partenariat de défense dans la relation stratégique Afrique–Union européenne traduit également une conception rénovée de la place de la France dans les questions militaires en Afrique.

De même, le soutien que la France puis l’Europe apportent à l’appropriation par les organisations régionales africaines de la gestion des opérations de défense, de sécurité et de maintien de la paix est encore un signe fort du renoncement à l’action unilatérale de la France.

Mais, alors que vous nous proposez de restreindre encore davantage les forces françaises stationnées en permanence sur le sol africain, vous ne devez pas renoncer à notre responsabilité à l’égard de ces pays amis.

La jeune Union africaine a montré les limites de sa capacité d’intervention : la préparation des troupes, les capacités de transport, de commandement et de planification font défaut, alors que les réticences politiques sont un obstacle à toute gestion efficace par les États africains des crises africaines.

L’action de l’Union européenne connaît également ses difficultés propres : si les Vingt-Sept sont la première source d’aide au développement de l’Afrique et le premier partenaire économique, les opérations extérieures de l’Union sont le fruit non pas d’une stratégie préétablie, mais de l’impulsion donnée par un État membre.

La volonté de la France sera-t-elle toujours aussi présente ?

Quelle stratégie à l’échelle du continent se dessine pour la France ? Un désengagement plus ou moins subi par la contrainte budgétaire ou une réelle implication dans le programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix ?

Une nouvelle fois, le détail de chaque accord ne permet pas de lire une stratégie d’ensemble.

Ainsi, dans chacun de ces traités, la formulation du premier alinéa de l’article 4 déterminant le domaine de coopération visée en matière de défense et de sécurité laisse perplexe.

Si, avec le Gabon, la coopération vise au renforcement des capacités humaines, techniques et logistiques, aucune indication de la sorte n’est précisée pour la coopération avec le Cameroun.

Concernant le Togo et la République centrafricaine, la liste de ces domaines de coopération semble beaucoup plus ouverte, au point qu’il est possible de penser que l’énumération qui suit n’est pas limitative.

Que doit-on comprendre ? Il y aurait davantage de militaires gabonais admis dans nos écoles de formation militaire française que de militaires camerounais ? La liste ouverte dans les conventions conclues avec le Togo et la République centrafricaine laisse-t-elle place à une aide des forces françaises en cas d’agression extérieure ou de troubles intérieurs dans ces deux États ?

Si cette dernière utilisation de nos capacités militaires semble écartée – la révision des anciens accords d’assistance étant en partie fondée pour revenir sur cette possibilité –, il ne faudrait pas que l’interprétation de ces nouveaux traités au regard des objectifs très généraux du partenariat rende possible l’ingérence militaire de la France.

Malgré la position réitérée depuis trente ans et consistant en l’appréciation par les autorités nationales de l’opportunité de mettre en œuvre la clause d’assistance, il reste qu’une telle ingérence était possible et l’on sait qu’il n’est nul besoin d’invoquer de telles clauses pour intervenir dans des affaires intérieures, comme ce fut le cas quelques jours avant le discours présidentiel du Cap de février 2008, qui lançait le processus de négociation de ces nouvelles conventions avec le soutien déterminant du régime d’Idriss Déby au Tchad.

Il reste donc de nombreux points à éclaircir. Or l’actualité africaine nous oblige à prendre le temps de cette réflexion et d’explication nécessaires à la politique de la France en Afrique.

Le monde du sud de la méditerranée au Golfe persique est en ébullition, les peuples secouent le joug des tyrannies.

Or la Tunisie, la Libye et l’Égypte sont – ai-je besoin de vous le rappeler ? – des pays africains. Au sud du Sahara, les peuples sont également portés par le mouvement d’espérance et de libération né sur les rives de la méditerranée.

Leur succès est moins visible, l’attention médiatique peu soutenue.

Pourtant, au Gabon par exemple, les mouvements d’opposition au régime du Président Ali Bongo existent, les manifestations des 5 et 8 février ont été réprimées, le chef de l’opposition André Mba Obame, candidat malheureux à l’élection très controversée de 2009, et ses conseillers se sont réfugiés dans l’enceinte du PNUD – Programme des Nations unies pour le développement – par peur de se faire arrêter par les forces du Président Bongo.

En République centrafricaine, les pratiques du Président Bozizé sont flagrantes, tout comme les graves manquements aux principes démocratique des votations de janvier et février derniers.

L’emprise des régimes du Cameroun, de la République centrafricaine, du Gabon et du Togo est toujours aussi forte, mais il n’est pas possible de garder les yeux fermés sur les manquements graves et répétés qu’ils portent aux principes démocratiques et à la garantie des droits et des libertés dont la France se prétend la garante.

Une immense chance est à saisir : les révolutions africaines ne se font pas en brûlant un drapeau américain ou français. Les peuples se soulèvent contre leurs oppresseurs et non contre une puissance étrangère.

L’outil du diplomate est le choix du mot juste, la compréhension de l’autre, afin de faire converger les points de vue.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, n’envoyons pas un message de soutien militaire aux dirigeants des pays qui bafouent les principes démocratiques. Associons plutôt nos peuples à la quête de liberté qui gagne l’Afrique !

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