Intervention de François Trucy

Réunion du 8 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Défense

Photo de François TrucyFrançois Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Madame le ministre, vous montrez une rare persévérance à bâtir et défendre des budgets qui, année après année, redonnent à nos armées les moyens dont elles ont besoin pour accomplir leurs missions. Ce n'est pas une mince prouesse !

Pour la quatrième année consécutive, vous faites respecter la loi de programmation pour les années 2003 à 2008 ; c'est bien la première fois que cela se produit.

En outre, les rapporteurs, Yves Fréville et moi-même, en conviennent volontiers, ce budget respecte la loi organique relative aux lois de finances, son esprit et ses objectifs.

Vos services, états-majors en tête, ont parfaitement répondu à nos questionnaires et les nombreuses auditions que nous avons menées ont été très riches en enseignements.

Avant d'aborder le corps même du budget, je souhaite souligner d'autres points positifs.

Tout d'abord, parmi les efforts d'économies, j'évoquerai les 415 millions d'euros entre 2003 et 2005, mais aussi, pour 2006, les 86 millions d'euros escomptés, dont 7, 9 millions d'euros attendus de l'externalisation de l'entretien des véhicules de la gamme commerciale.

Ensuite, parmi les autres financements innovants, je citerai la formation initiale de tous les pilotes d'hélicoptères qui aura lieu à Dax et celle à l'appontage aux États-Unis ; cela surprend, mais dans le bon sens !

Enfin, parmi les mesures structurantes, je soulignerai les efforts de réforme que vous conduisez et tout spécialement la rationalisation des réseaux de systèmes d'information.

À ne rien vous cacher, la LOLF m'a causé quelques soucis, car j'ai souvent rencontré des difficultés à retrouver mes crédits dans le bleu budgétaire de la défense, soigné et prolixe certes, mais bien difficile à scruter.

J'ai donc résolu de présenter les parties du budget qui concernent essentiellement le programme 178 « Préparation et emploi des forces » de manière transversale et essentiellement pragmatique.

En agissant ainsi, j'espère ne pas trop choquer les gardiens de la loi. À tout prendre, ce qui m'intéresse, c'est de chercher à savoir et à vous dire si les effectifs budgétaires et les crédits de rémunérations et charges sociales, les RCS, sont atteints et suffisants, si l'action sociale des armées est efficace, si le matériel est en bon état et garantit la sécurité des personnels, si les crédits du maintien en condition opérationnelle, le MCO, sont revenus à un taux convenable et surtout si la France tient son rôle dans le monde et remplit ses missions.

Je ne citerai que quelques chiffres clefs parmi les plus importants.

D'un montant de 36, 061 milliards d'euros, pensions incluses et avec 5 % du budget de la gendarmerie, ce budget est le troisième de l'État et représente 1, 7 % du produit intérieur brut.

Toutefois, nous sommes encore loin des objectifs que visait, il y a peu, un chef d'état-major des armées qui parlait de 3 % du PIB ; nous sommes également loin des normes de l'OTAN et du taux de 3, 6 % des États-Unis ; enfin, comme l'a dit mon collègue, nous sommes légèrement derrière la Grande-Bretagne, mais largement devant l'Allemagne dont le budget de la défense ne représente que 1, 09 % du PIB.

Madame le ministre, quel est votre point de vue sur le débat relatif au pourcentage de PIB ?

Comme l'a dit Yves Fréville, ce budget consacre 30 % de lui-même, soit 10, 6 milliards d'euros de crédits de paiement, aux investissements, réalisant à lui tout seul 78, 6 % des crédits du titre 5 de l'État. C'est spectaculaire !

La défense est donc le premier acheteur public français avec 67 % des marchés publics, 10 000 entreprises et deux millions de salariés concernés, dont 176 000 pour les seules industries de défense.

Pour la mission « Défense », il y a 17, 829 milliards d'euros de dépenses de personnel RCS, soit une baisse de 1, 32 % par rapport aux inscriptions de l'année précédente.

Les effectifs civils et militaires atteignent 432 314 équivalents temps plein travaillé, dont 352 110 militaires et 80 204 civils, soit un déficit de 3 % par rapport à la loi de programmation militaire ; sur ce plan, madame le ministre, ce sous-effectif persistant vous préoccupe-t-il ?

Pour renforcer l'attractivité du métier militaire, le fonds de consolidation de la professionnalisation est doté de 22, 57 millions d'euros et le plan d'amélioration de la condition militaire de 25, 96 millions d'euros.

Par ailleurs, on relève quelque sept milliards d'euros pour le fonctionnement, soit une baisse de 1, 2 %. Mais surtout, on note une augmentation très insuffisante de la dotation de carburant de 8, 2 %. Comment arriverez-vous à réaliser cette quadrature de cercle ?

La réserve déclarée des crédits de la loi de finances initiale de 2 % serait réduite à 0, 5 % pour vos crédits de RCS, ce qui est une bonne chose, mais par voie de conséquence elle serait portée à 5 % pour les autres chapitres. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter à ce sujet ?

Parlons-nous vraiment pour la dernière fois du financement des OPEX ? Je sais que vous vous y attachez particulièrement. Nous ne comptons plus les années où leur non-financement en loi de finances initiale a causé les désordres que l'on sait dans un budget de la défense contraint de les payer dès le premier euro et le premier jour, de le faire sur les crédits du titre 5, de différer ainsi les dépenses de matériel jusqu'au jour hypothétique d'un remboursement en loi de finances rectificative, après avoir entre-temps perturbé de manière majeure les industries et supporté les critiques hypocrites de l'État pour les reports et les bosses de reports dont on a parlé précédemment.

Avec, cette année, une dotation initiale de 250 millions d'euros qui représenterait un odieux 50 % de la dépense probable, vivons-nous la dernière étape ?

Comment évaluer, en « lolfiens » persuadés que nous sommes, la performance de la mission « Défense » ? Le sujet a été abordé, je n'y reviens pas.

Je m'interroge encore sur les critères de MCO et les taux de disponibilité des matériels. Ces derniers sont très dispersés et un taux moyen pour une armée ne veut strictement rien dire.

Fournir aux OPEX un matériel à 100 % de disponibilité et l'y maintenir sur le terrain au mieux est indispensable, mais cela équivaut, nous le savons bien, à léser les unités en France et réduire leurs activités.

J'en viens aujourd'hui, après avoir longtemps cherché les solutions, à m'aligner sur le pragmatisme des militaires qui affrontent ces difficultés, l'obsolescence rapide de leurs matériels et le coût croissant des investissements nécessaires pour la remise à niveau de matériels de plus en plus complexes et sophistiqués

À ce sujet, madame le ministre, on attend des industriels de la défense qu'il donne un excellent matériel et qu'ils en assurent, si on le leur demande, la meilleure maintenance. Ne faudrait-il pas que les armées, de leur côté, ajustent bien leur commande ?

Prenons l'exemple du système de pose rapide de traverse. L'armée de terre, après en avoir commandé dix-huit, réduit a posteriori sa commande à dix. Pendant ce temps, que fait l'industriel à qui l'on s'est adressé ? Soit on a mal dimensionné la commande au départ, soit on fait preuve d'une grande légèreté à l'égard du partenaire que doit être un industriel. Comment demander aux industriels d'être sérieux dans leur travail si on ne les y aide pas par une commande ferme ?

Je note avec satisfaction l'effort budgétaire accompli pour les réserves, 110 millions d'euros, qui permettra une plus grande souplesse dans leur emploi et crée un crédit d'impôt, que nous retrouverons un peu plus tard en loi de finances rectificative, pour les employeurs qui maintiendront l'intégralité des rémunérations pour leurs salariés appelés à une période de réserve. J'imagine les difficultés que vous avez dû rencontrer pour obtenir cet aménagement !

Le coût de cette mesure est estimé à 3, 7 millions d'euros pour 2006 et serait de 6, 8 millions d'euros en régime de croisière.

Le service de santé des armées, SSA, entrevoit le bout du tunnel après des années de rudes efforts pour corriger les sous-effectifs créés par la disparition du service national ; mais il lui manque encore 246 médecins sur les 2 287 prévus par la loi de programmation militaire.

Il a dû faire face, en outre, à de nombreux départs que l'on qualifiera de naturels, car le numerus clausus d'une médecine civile qui a connu, elle aussi, des départs accélérés en retraite a créé une aspiration supplémentaire sur les médecins militaires.

Il a répondu à ces difficultés par une augmentation des promotions d'élèves et un recours à des recrutements complémentaires.

Pourtant, vous le savez mieux que quiconque, jamais le service de santé des armées n'a autant soutenu les OPEX.

En 2004, il a fourni 1 500 personnes et, jusqu'au 30 septembre 2005, il en a déjà fourni 1 316. Cet effort considérable correspond à la mobilisation de tout le personnel d'un hôpital militaire, alors que le SSA ne dispose plus que de neuf hôpitaux militaires sur le territoire national, après les réductions que nous connaissons.

Si j'insiste, madame le ministre, sur les mérites de ce grand service, c'est qu'il a besoin, plus que jamais, de votre soutien. En effet, il rencontre deux problèmes.

L'effectif de médecins comprend déjà 15 % de femmes, c'est une excellente chose ! Cependant, les promotions de l'école de Lyon en comptent 66 %. Cela crée une réelle inquiétude, au sujet non pas de la capacité des femmes, mais de leur disponibilité et leur fidélisation futures, si l'on en croit les études déjà menées dans le domaine de la médecine civile.

Je tiens ensuite à évoquer une préoccupation financière plus immédiate. Le passage à la tarification à l'activité s'imposera aux hôpitaux civils en 2011 ; on nous dit que, pour le SSA, ce serait en 2007. Pourquoi cette discrimination, qui posera des problèmes budgétaires importants ?

En général, madame le ministre, j'estime que la très grande majorité des chapitres les plus importants de ce qui fut le titre 3 de votre budget est correctement pourvue ; seule la conjoncture a limité les améliorations que vous auriez souhaité apporter à tel ou tel secteur.

Dans le domaine de l'opérabilité des matériels, nous observons d'importants progrès ! La défense, sous votre impulsion, prend sa part dans la lutte contre le chômage avec le plan « Défense deuxième chance » et les activités soutenues du service militaire adapté, dont on redécouvre soudain toutes les vertus.

Puissent vos efforts pour une Europe de la défense conforter l'action politique de ce continent et faciliter l'évolution de notre industrie de défense.

Avec mes félicitations très sincères pour votre détermination, votre énergie et les résultats que vous obtenez, madame le ministre, je recommande, comme l'a exprimé la commission des finances du Sénat, le vote du budget de la défense pour 2006.

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