Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 8 décembre 2004 à 11h45
Loi de finances pour 2005 — Outre-mer

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour les aspects sociaux :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2005, le budget pour l'outre mer s'élèvera à 1, 7 milliard d'euros. Nous sommes tous d'accord pour convenir du caractère artificiel de cette progression de 52 % due aux transferts de crédits provenant du ministère de l'emploi et correspondant aux compensations d'exonérations de cotisations sociales.

Nous approuvons votre volonté, madame la ministre, de regrouper ces crédits au sein de votre budget, pour le rendre plus lisible et plus autonome. Par conséquent, si, à périmètre constant, le budget du ministère baisse de 2, 5 % par rapport à 2004, il évoluera dans un contexte plus favorable que d'habitude, grâce à l'expérimentation de certains programmes prévus par la LOLF et grâce à la montée en puissance de la loi de programme.

Mon propos se rapportera au volet social de ce budget, et donc aux crédits consacrés à l'emploi et au logement, qui sont, cette année encore, la priorité du budget de l'outre mer.

Les crédits de l'emploi connaîtront une réduction de 24 % en 2005 - et notre commission a regretté ce choix - alors que la loi de programme n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière et que la situation de l'emploi n'est pas encore stabilisée. Certes, l'amélioration sensible de la situation sociale doit incontestablement être mise à votre crédit. En témoignent la progression des effectifs salariés et des créations d'entreprise, le ralentissement de la hausse du nombre de RMIstes et, surtout, la baisse de 7, 5 % du taux de chômage.

Mais ces évolutions favorables ne doivent pas faire illusion sur la réalité sociale encore difficile de l'outre-mer : le chômage y reste trois fois supérieur à celui de la métropole ; les contraintes géographiques pèsent sur la fluidité des marchés et sur la continuité territoriale avec la métropole ; le coût du travail dans les DOM y est plus élevé que chez leurs voisins, avec toutes les conséquences que l'on connaît en termes de travail clandestin.

Je crois que votre Gouvernement, madame la ministre, a conscience de cette réalité : c'est la raison pour laquelle j'ai noté, avec satisfaction, qu'il a accepté, dans le cadre des débats sur la cohésion sociale, de reporter d'un an la suppression des contrats emploi solidarité, les CES, et des contrats emplois consolidés, les CEC, qui inquiétaient gravement les ultramarins ces derniers temps, même si la suppression des stages d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE, et des stages d'accès à l'emploi, les SAE, reste un motif d'inquiétude, dans la mesure où elle risque de réduire, de manière importante, l'offre de formation.

En matière de formation professionnelle, notre commission se félicite, en revanche, de la reconduction des crédits consacrés aux structures telles que l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, et l'agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer ; mais d'autres financements nous inquiètent, comme celui destiné au service militaire adapté, qui ne progresse guère. C'est d'ailleurs un singulier paradoxe s'agissant du dispositif qui fonctionne le mieux outre-mer. L'année dernière, notre commission avait déjà alerté le Gouvernement sur ce point et j'ai moi-même déposé un amendement en ce sens lors de l'examen du projet de loi de cohésion sociale.

Hormis le service militaire adapté, tous les autres dispositifs utiles à la mobilité professionnelle en métropole des actifs ultramarins ont fait l'objet d'une attention particulière de la part du Gouvernement. Je pense à la reconduction des crédits consacrés au passeport mobilité et au projet initiative-jeunes, le PIJ, dont le succès ne se dément pas, ou au passeport logement, qui fera l'objet d'une expérimentation en 2005.

Les crédits destinés au logement, deuxième poste de votre projet de budget, madame la ministre, viendront accompagner la mise en oeuvre de la loi de programme pour l'outre-mer. Les récents décrets d'application permettront de diversifier l'offre locative, de relancer l'accession sociale, d'améliorer l'aménagement foncier et surtout d'accroître la défiscalisation et de simplifier les procédures, encore trop complexes, pour le financement des opérations de construction.

Sur le plan budgétaire, les crédits destinés au logement sont reconduits à hauteur de 173 millions d'euros en 2005 et devraient, selon vous, madame la ministre, permettre la réalisation de 1 000 logements sociaux supplémentaires. Nous savons bien que la concrétisation des projets prend du temps : les opérations de construction et de réhabilitation des logements sont pluriannuelles et, pour répondre aux besoins répertoriés par le Conseil économique et social, il faudrait 60 000 constructions par an. Cet objectif aura d'autant plus de chances d'être atteint, selon moi, que les crédits programmés seront bien gérés. Je le précise, car, si les crédits de paiement du logement sont reconduits pour l'an prochain, les autorisations de programme baissent légèrement.

Madame la ministre, la commission des affaires sociales comprend votre souci de mieux gérer les dotations et de ne pas ouvrir des enveloppes dont on sait d'avance qu'elles ne seront pas consommées, notamment en raison des retards enregistrés dans le lancement de nombreuses opérations immobilières.

D'ailleurs, tous les professionnels du logement l'affirment, la solution pour résoudre la crise du logement en outre-mer n'est pas seulement budgétaire. Il faut aussi faire sauter un certain nombre de verrous.

Il s'agit, d'abord, par exemple à la Réunion, de ne pas lier l'octroi de la participation à l'aménagement des quartiers, la PAQ, pour une opération d'aménagement, à une participation du fonds régional d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU. Faute de modification de l'instruction de votre ministère du 19 juillet 2004, madame la ministre, la PAQ ne pourra pas être mise en oeuvre à la Réunion, qui est pourtant à l'origine de la demande.

Il s'agit de permettre le lancement d'opérations d'aménagement, seul moyen pour produire du foncier équipé à un coût compatible avec le logement social.

Il s'agit d'intégrer la remise à niveau du forfait charges DOM pour rétablir une équité de traitement avec la métropole sur la question des aides à la personne.

Enfin, madame la ministre, la commission des affaires sociales souhaite porter à votre connaissance trois points qui ne figurent pas dans ce projet de loi de finances, mais qui revêtent pourtant une grande importance en outre-mer.

Il s'agit, tout d'abord, de l'offre de soins. Quelques données peuvent en témoigner : par rapport à la métropole, on dénombre, en outre-mer, deux fois plus de cirrhoses et six à sept fois plus de morts par psychose alcoolique, même si la consommation d'alcool a baissé de 22 % en vingt ans à la Réunion par exemple et qu'elle reste inférieure à la consommation métropolitaine. Le développement de l'obésité et du diabète appelle une réponse avant qu'il ne soit trop tard. Or, toujours à la Réunion, le coût des médicaments est de 30 % plus élevé que les tarifs appliqués en métropole et celui des consultations l'est de 15 %. Nous souhaiterions, à cet égard, que le Gouvernement réfléchisse à l'opportunité de lier le relèvement du plafond de la couverture maladie universelle, la CMU, à la hausse des minima sociaux, afin d'éviter les effets de seuil. Dans mon département par exemple, 20 000 personnes âgées ou handicapées restent exclues du dispositif de la CMU.

Ensuite, je souhaite vous sensibiliser, madame la ministre, sur la situation de la restauration scolaire à Mayotte. Mayotte compte actuellement trois services de demi-pension implantés dans trois établissements. Paradoxalement, il y a peu d'inscrits dans ces trois services, alors que la demande est très forte. Ce paradoxe s'explique par l'insuffisance des prestations et le niveau de la participation financière, même très modeste, demandée aux familles pour les repas. Il en résulte que, faute de prestations publiques ou de structures indépendantes de restauration aux abords des établissements, le temps scolaire tend fortement à être concentré sur la matinée, qui devient dès lors très longue et perd en efficacité pédagogique.

A la lumière de ces éléments, nous constatons que la question de la restauration des élèves de Mayotte ne saurait concerner le seul service public de l'éducation. Elle relève également, comme en métropole d'ailleurs, du domaine de la santé publique et du domaine social. Je souhaite donc, madame la ministre, connaître vos projets concernant la restauration scolaire à Mayotte.

Enfin, j'attire votre attention sur l'immigration en Guyane, à Mayotte et à la Réunion. Dans mon département par exemple, la situation est devenue particulièrement préoccupante en raison de la croissance des flux d'immigrés venus des Comores. Collectivité départementale voisine, Mayotte est une victime encore plus grande de l'immigration clandestine puisque, sur 160 000 Mahorais, on compte au moins 50 000 Comoriens. Il est urgent, madame la ministre, de renforcer, par des moyens de police adéquats, la surveillance des côtes mahoraises avec le soutien du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Par ailleurs, n'est-il pas grand temps de donner un contenu concret à la départementalisation de Mayotte prévue pour 2007 ? Cela suppose notamment d'aligner le droit applicable en matière de prestations familiales. Car, contrairement à ce qui se passe ailleurs en France, les prestations familiales y sont plafonnées à trois enfants par allocataire, quelle que soit la composition réelle de la famille. Ce déplafonnement serait justifié sur le plan à la fois constitutionnel et social puisque Mayotte a vocation à devenir un département. Au demeurant, le Président de la République lui-même avait soulevé ce problème lors de sa visite sur place voilà deux ans.

J'insiste d'autant plus sur ce point que l'abrogation, justifiée, de la polygamie à Mayotte, sur l'initiative de notre collègue député Mansour Kamardine, a amené de nombreux maris à prendre prétexte de cette nouvelle disposition, avant même son entrée en vigueur, pour répudier certaines de leurs épouses « au nom de la loi ». Ainsi, de nombreuses femmes se sont retrouvées isolées, souvent avec plus de trois enfants à charge, sans aucune ressource. Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a déposé un amendement tendant à déplafonner les allocations familiales à Mayotte.

En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, même si elle souhaite être rassurée sur la politique de l'emploi, la commission des affaires sociales a jugé ce projet de budget raisonnable et vous propose de voter les crédits sociaux affectés à l'outre-mer pour 2005.

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