Tout d'abord, dans ce projet de budget, nous constatons que l'État continue de se désengager, s'agissant notamment du financement des politiques publiques, par le biais de la mise en oeuvre du deuxième volet de ce qu'on appelle la « décentralisation ».
Rappelons au préalable que la mission interministérielle « Politique des territoires » comprend six programmes et associe le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer à celui de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Les politiques concernées par cette mission au contenu somme toute hétérogène sont toutes importantes. Il s'agit de la politique de l'urbanisme, du tourisme, de l'aménagement du territoire, et curieusement, de la politique des routes et voies navigables pour ce qui concerne les personnels de la DDE et de Voies navigables. J'espère que cela ne préfigure pas un désengagement de l'Etat dans ce domaine, monsieur le ministre. Comme je ne crois pas aux coïncidences, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
L'importance de cette mission contraste avec les crédits que l'État entend consacrer à la politique des territoires. En termes budgétaires, cette mission apparaît comme étant de faible importance. En effet, les autorisations d'engagement ne représentent que 0, 25 % de celles du budget général ; quant aux crédits de paiement, ils en représentent seulement 0, 21 %. Des fonds de concours s'y ajouteraient, mais nous savons peu de choses à ce sujet. De plus, nous déplorons - et nous ne sommes pas les seuls - que les collectivités territoriales soient souvent conduites à avancer à l'État les crédits qu'elles consentent au titre des dépenses communes.
Comme le note le rapporteur spécial de la commission des finances, il serait intéressant que soit précisée, à l'avenir, l'origine de ces fonds. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si vous prévoyez, dans les années à venir, de mieux informer le Parlement ?
Finalement, au moyen de ce budget, vous payez les salaires de l'administration centrale, les études, les évaluations, mais celui-ci est très insuffisant pour les collectivités locales, qui supportent pourtant de plus en plus de missions en lieu et place de l'État. De surcroît, à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de M. Louis Giscard d'Estaing, un amendement tendait à supprimer 2 millions d'euros destinés justement aux politiques locales.
En outre, nous estimons que la politique retenue traduit le glissement sémantique du concept de développement équilibré des territoires vers la notion de compétitivité des territoires, rompant ainsi avec les notions de péréquation, de mutualisation et de solidarité territoriale. Les maîtres mots de l'action publique sont désormais ceux de « rentabilité » et de « mise en concurrence ».
En témoigne la volonté du Premier ministre, ces dernières semaines, de rebaptiser le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire en Comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires. Cette nouvelle dénomination intervient au moment de la mise en oeuvre des pôles de compétitivité, alors que l'on abandonne clairement le principe de péréquation.
Enfin, nous regrettons, une fois encore, le manque de lisibilité des « bleus » budgétaires. Bien sûr, cette année constitue une année de transition, mais le contenu hétérogène de la mission laisse penser que le manque de clarté ne tient pas seulement à la nouveauté de l'exercice.
Abordons à présent plus en détail le contenu et les choix retenus pour les différents programmes.
En ce qui concerne les contrats de plan, le budget du FNADT, le fonds national d'aménagement et de développement du territoire, est intéressant à examiner. Même s'il est globalement en hausse, la partie correspondant au volet territorial des contrats de plan État-région augmente peu ; les crédits sont calculés sur la base d'un huitième de l'engagement global de l'État, ce qui donne à penser que le Gouvernement prend acte du retard cumulé dans l'exécution de ces contrats et que la prolongation de ces derniers est d'ores et déjà acquise, sans moyens supplémentaires.
Pourtant, l'enveloppe déjà réduite que consacre l'État à ces contrats est, chaque année depuis 2002, soumise à la régulation budgétaire, c'est-à-dire à l'annulation plus ou moins importante de crédits de paiement.
Dans la même logique, par la promotion des pôles de compétitivité, nous passons d'une politique générale et de long terme à une politique visant à soutenir de manière temporaire, sélective et hiérarchisée des projets en fonction tout d'abord des marchés et des stratégies des grandes firmes nationales.
À ce titre, messieurs les ministres, rappelons que, le 25 octobre, vous avez déclaré que la péréquation financière n'est pas un outil fondamental pour l'aménagement du territoire et que, s'il faut être attentif aux territoires les plus défavorisés, il est nécessaire de récompenser ceux qui progressent le plus fortement. Cela a au moins le mérite d'être clair.
Vous confirmez ainsi une France à deux vitesses, où seuls les territoires les plus riches bénéficieront des moyens nécessaires pour faire face aux enjeux de demain, tout d'abord parce qu'ils auront leurs propres forces, ensuite parce qu'on les aidera.
Je voudrais maintenant parler des pôles d'excellence ruraux qui soulèvent un certain nombre de questions. Roger Besse, dans son rapport, a déclaré, à ce sujet, « qu'il doutait que les pôles d'excellence ruraux annoncés puissent satisfaire aux besoins importants qu'éprouvaient ces territoires ».
En effet, la disparition des services publics de proximité dans les zones rurales accélère la perte de substance de ces territoires avec des conséquences sociales et économiques dramatiques sur leur devenir et sur la population.
Concernant, par exemple, la carte scolaire, on nous dit que, pour éviter les fermetures brutales d'écoles, serait prévue une concertation avec les élus locaux sur une durée de trois ans devant précéder toute décision en ce sens. Nous sommes ainsi rassurés au moins jusqu'aux élections présidentielles !
Par ailleurs, ce budget énonce les aides aux territoires fragiles, qu'ils soient ruraux ou urbains. En fait, ces aides se font surtout sous forme d'exonérations pour les entreprises qui s'installent dans ces lieux.
Abordons maintenant la question de la DATAR, nouvellement baptisée DIACT, ou Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires. On assiste à une mutation des missions de cette délégation, beaucoup plus économiques qu'auparavant.
Nous craignons que cela ne renforce un peu plus la tendance à privilégier un certain nombre de cibles au détriment d'une politique d'ensemble d'aménagement du territoire, ce que reflète également la mise en place du programme « Interventions territoriales de l'État » ou PITE.
En outre, le développement des territoires ne peut se faire sans la promotion de l'accès pour tous aux technologies de l'information et de la communication. Les principes de mutualisation, solidarité et tarif unique devraient toujours sous-tendre les politiques engagées en ce domaine.
En effet, les technologies de l'information et de la communication sont une condition nécessaire à l'implantation des entreprises mais également un facteur de cohésion sociale. Des progrès doivent être réalisés en ce domaine, car 10 % de la population n'est pas couverte par le haut débit. Les téléphones mobiles, on le sait bien, se taisent dans de nombreux secteurs.
Les territoires ruraux sont d'autant plus touchés qu'ils n'offrent aucune rentabilité aux opérateurs. Or, nous devons exiger que 100 % du territoire soit couvert par les nouvelles technologies.
Quant aux outils de prospective, certains disparaissent. Ainsi, alors que, face aux délocalisations, de nombreux élus et acteurs économiques avaient demandé à l'État de se doter d'outils d'anticipation et de prospective des mutations économiques, vous avez supprimé, voilà deux mois, la mission interministérielle des mutations économiques qui avait été créée à cet effet. Le Commissariat général du Plan a connu le même sort il y a peu de temps.
Pouvez-vous, messieurs les ministres, nous indiquer quelle est aujourd'hui l'architecture des outils d'analyse et de prospective de l'État ?
Le Premier ministre a écrit dans une lettre adressée à Mme Boissard, nouvellement nommée commissaire au Plan, que « la logique de planification qui a présidé à la création du Commissariat général du Plan n'est plus adaptée aux caractéristiques d'une économie ouverte et d'une société complexe ».
En effet, la politique libérale mise en oeuvre par le Gouvernement ne permet pas d'intégrer le long terme. Il sera substitué au Commissariat général un centre d'analyse stratégique. Tout se passe comme si l'on assistait à un effacement programmé de l'État, la dépense publique étant relayée par un appel croissant au secteur privé et aux territoires.
J'en viens enfin au programme « Tourisme ».
Par le poids économique qu'il représente, le tourisme doit être reconnu comme un secteur structurant économiquement, comme un véritable vecteur d'aménagement et d'équilibre de nos territoires et, enfin, comme un outil essentiel de l'exercice d'un droit fondamental : le droit aux vacances.
Or, le budget consacré au tourisme, après avoir été victime de coupes claires pendant plusieurs années, stagne. Ce secteur présente une inquiétante atonie !
En effet, comme le note très justement le rapporteur de la commission des finances, nous assistons depuis 2001 à une baisse du solde touristique de la France : baisse de 14, 5 % en 2003 et de 15, 7 % en 2004.
Alors que la clientèle nous venant de très loin est plutôt intéressée par l'Île-de-France, le tourisme des citoyens européens contribue à une répartition des activités touristiques sur l'ensemble de nos régions. Il est important de soutenir ce tourisme européen. Messieurs les ministres, pourriez-vous nous dire ce que vous comptez faire dans ce domaine ?
En outre, les ressources pour la promotion de Maison de la France stagnent. Vous serait-il possible de préciser les actions que vous tenez à mener en cette matière ? Au contraire de tous nos concurrents, nous ne sommes pas, semble-t-il, à la hauteur en ce domaine.
Par ailleurs, même si les nouveaux « bleus » budgétaires ou projets annuels de performance ne permettent pas d'identifier vos priorités politiques, nous savons que rien n'est fait pour développer le tourisme social et pour concrétiser un véritable droit aux vacances pour tous. Rappelons que 34 % des Français ne sont pas partis en vacances en 2004.
Enfin, le programme « Tourisme » bénéficiera de 1, 67 million d'euros de fonds de concours, soit 2 % des crédits du programme. Or, M. le rapporteur spécial nous apprend que « ces fonds de concours résultaient, en pratique, de participations au financement d'études et d'enquêtes dans le domaine du tourisme, en provenance de la Banque de France et de la SNCF » !
Il est tout de même inquiétant que l'on compte encore sur la participation de la SNCF, déjà étouffée par un certain nombre de charges. Ensuite, on nous dira qu'elle n'est pas performante...
Face au manque de lisibilité du budget politique des territoires et par conséquent de la volonté politique elle-même, face à la faiblesse des moyens dégagés, vous comprendrez, messieurs les ministres, que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas le budget de la mission « Politique des territoires ».