Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 8 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Politique des territoires

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention se limitera à l'examen du programme 162 consacré aux « Interventions territoriales » et portera plus particulièrement sur le programme exceptionnel d'investissement, ou PEI, pour la Corse.

Je rappelle que ce programme, institué par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, entamera en 2006 la quatrième année effective de sa mise en oeuvre, la première année - 2002 - n'ayant donné lieu qu'à une programmation très réduite. Il va également atteindre en 2006 la dernière année de la première convention d'application.

L'examen du traitement réservé au PEI dans le projet de loi de finances pour 2006, dans le nouveau cadre de la LOLF, est donc l'occasion de tirer un premier bilan de ce programme et de tracer des perspectives pour la suite de son exécution. Faut-il rappeler que celle-ci, en vertu de la loi de 2002, doit se poursuivre jusqu'en 2017 ?

Une première approche conduirait à être prudent dans l'analyse de ces quatre premières années, qui ne représentent après tout qu'à peine plus d'un quart des quinze années prévues pour le PEI.

Une analyse plus poussée incite cependant à dresser un constat rigoureux qui débouche sur une véritable stratégie pour la mise en oeuvre de ce rattrapage structurel, indispensable à la Corse. À la fin de l'année 2006, en effet, c'est le tiers du PEI qui, théoriquement, aura été engagé.

La durée d'élaboration des projets d'investissement, les difficultés de la maîtrise d'ouvrage, la complexité technique des travaux envisagés, la lourdeur de certaines procédures administratives et financières laissent penser que ce qui n'aura pas été programmé dans les quatre ou cinq prochaines années ne saura plus s'inscrire dans le cadre d'un programme qui doit lui aussi obéir à une programmation rationnelle et à une grande rigueur d'exécution.

Or, d'après les chiffres d'exécution actuellement connus, à la lecture du budget que vous nous proposez pour le PEI en 2006, au moins quatre sujets d'interrogation, sinon d'inquiétude, méritent de votre part quelques éclaircissements.

En premier lieu, je vise le rythme d'exécution du PEI. À la fin de l'année 2005, la programmation des crédits consacrés aux travaux représente 330 millions d'euros, soit 68 % de la première convention d'application. Sur ce total, la part de l'État, conformément à la loi, s'élève à 60 %, soit environ 200 millions d'euros. Mais si ce rythme de programmation peut paraître convenable, compte tenu notamment de la montée en charge depuis deux ans, il n'en va certainement pas de même de l'exécution. Les chiffres communiqués voilà quelque temps faisaient état d'un taux de paiement de l'ordre de 12% de la programmation. Il convient donc de s'interroger sur ce décalage et sur les moyens de le résorber.

Une deuxième question, plus fondamentale, concerne la lisibilité de ce programme.

Certes, la convention-cadre et la convention d'application fixent les grands axes du financement éligibles au programme, un accent très fort étant d'ailleurs mis sur les infrastructures de transports intérieures. Mais ces conventions ne fixent pas le détail, et les grands projets, jusqu'à présent étroitement programmés par l'État et la collectivité territoriale, ne laissent pas l'impression d'une vigoureuse planification de la résorption du retard structurel de l'île.

De plus, la spécificité du PEI et son articulation avec les autres grandes sources de financement n'apparaissent pas très clairement.

Ainsi, l'une des opérations les plus lourdes jusqu'ici programmées concerne le chemin de fer de Corse. Or ce secteur reçoit également des financements au titre du contrat de plan ou des fonds européens. Qu'est-ce qui justifie dans ce contexte l'intervention d'un plan exceptionnel ? Comment cela va-t-il s'articuler avec la baisse prévisible de ces financements de droit commun ? Le PEI a-t-il simplement vocation à se substituer aux fonds européens, qui diminueront très probablement à partir de 2007 ? Quelle est la position de l'État sur ce sujet ? Plus généralement, quels sont les moyens mis en oeuvre pour éviter que les crédits du programme n'échappent au risque de financement d'opérations symboliques non justifiées, ou encore à celui d'un saupoudrage certes satisfaisant pour un grand nombre de maîtres d'ouvrage, mais finalement peu déterminant pour le développement réel de l'île ? En définitive, quelle est la position de l'État sur les grands axes de la future programmation du PEI ?

Ces considérations m'amènent tout naturellement à, l'examen de ce qui est prévu dans le projet de loi de finances pour 2006.

La première question porte sur le mécanisme de la ligne budgétaire unique, mis en place par M. Sarkozy en 2003 et destiné à permettre une souplesse dans l'utilisation des fonds du programme : ce mécanisme est-il préservé avec le passage en système « LOLF » ?

Parallèlement, le programme 162 en question ne comporte pas uniquement le programme exceptionnel d'investissement. On y trouve, dans un inventaire à la Prévert, des « actions » aussi diverses que le « Rhin et la bande rhénane », la « filière bois en Auvergne et Limousin » ou « l'accueil des demandeurs d'asile en Rhône-Alpes ». La cohérence de ces actions au sein d'un même programme n'apparaît pas d'emblée...

Mais l'essentiel n'est pas là : les prévisions d'autorisations d'engagement pour le PEI en 2006 s'élèvent à 45, 937 millions d'euros. Je rappelle que la première convention d'application doit théoriquement s'achever en 2006. Un calcul rapide de ce qui reste à programmer pour cela donne un résultat d'environ 150 millions d'euros de total de travaux, soit une part pour l'État de près de 90 millions d'euros, c'est-à-dire le double de ce qui est prévu en autorisations d'engagement.

Ce chiffre traduit-il donc un ralentissement prévu de la programmation ? Cela semble d'autant plus vraisemblable que, compte tenu de la montée en charge progressive du programme depuis 2002-2003, le total des engagements de l'État en 2005 a certainement déjà dû être supérieur au chiffre prévu pour 2006.

Par ailleurs, les crédits de paiement prévus s'élèvent à 18, 043 millions d'euros. Dès lors, anticipez-vous, monsieur le ministre, une poursuite du décalage entre la programmation et l'exécution ?

Un dernier point, plus technique, nous ramène à la mise en oeuvre de la LOLF pour cette action particulière qu'est le PEI pour la Corse.

L'examen de la partie dépenses du projet de loi de finances pour 2006 montre bien l'accent qui va devoir être mis sur l'appréciation des résultats, souvent à partir d'indicateurs dont la réalisation conditionnera la poursuite du financement.

Je souhaiterais donc obtenir quelques éclaircissements sur l'application de ces contraintes de la LOLF dans le cas de ce programme si spécifique qu'est le PEI. En effet, au moins deux points semblent singulièrement complexes.

En premier lieu, comment la responsabilité financière de l'État, accentuée par les mécanismes de la LOLF, peut-elle se combiner avec la nécessité de conduire le programme exceptionnel en étroite concertation avec les maîtres d'ouvrage locaux ? Ne risque-t-on pas de constater quelque paradoxe dans la conduite par l'État - qui en a, encore une fois, la responsabilité - d'un programme dont il n'assumera jamais ou quasiment la maîtrise d'ouvrage ?

Dans une Corse dont il n'est pas nécessaire de rappeler le haut niveau de décentralisation, l'exécution et donc la réussite du PEI dépendent totalement de la capacité et de l'efficacité de maîtres d'ouvrage locaux, dont on peut craindre, au minimum, qu'ils puissent être rapidement dépassés par l'ampleur de la tâche si le programme se développe réellement sur le rythme envisagé en 2002.

En second lieu, et en lien direct, quels sont les indicateurs aujourd'hui envisagés pour apprécier la réussite du PEI ? Comment peut-on mesurer dès aujourd'hui l'impact d'un programme à qui la loi du 22 janvier 2002 assigne la mission de « résorber les handicaps dus au relief et à l'insularité, et combler le déficit en équipements et services collectifs » durant quinze ans ? Enfin, au regard des indicateurs choisis, quelles conséquences l'État entend-il tirer de leur plus ou moins bon respect, sur la poursuite et l'évolution du PEI ?

Messieurs les ministres, j'attends avec intérêt, sinon avec gourmandise, les réponses à ces questions.

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