Intervention de Christian Estrosi

Réunion du 8 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Politique des territoires

Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'évoquerai les grandes lignes du budget du programme « Aménagement du territoire » pour l'année 2006.

Je veux tout d'abord remercier sincèrement M. Roger Besse, rapporteur spécial, et MM. Jean-Paul Alduy, Jean Boyer et Dominique Mortemousque, rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques, pour l'excellent travail qu'ils ont accompli et pour la pertinence de leurs remarques, dont nous tirerons le meilleur profit.

Sans revenir sur le détail des chiffres de mon budget, je rappelle simplement à M. Aymeri de Montesquiou, qui s'interrogeait sur les moyens de la politique des territoires, que ce projet de budget pour 2006 est tout entier dédié à nos territoires, au service de ces derniers. Il totalise 382 millions d'euros d'autorisations d'engagement - plus 11 % par rapport à 2005 - et 275 millions d'euros de crédits de paiement - plus 3, 5 % par rapport à 2005.

J'évoquerai les différents points qui ont été soulevés et j'aurai à coeur de défendre une vision de l'aménagement du territoire, qui est d'ailleurs partagée sur la plupart de ces travées mais avec des termes parfois différents - suscitant des incompréhensions, voire des caricatures qui sont à mes yeux le signe de véritables malentendus - ou avec des mots derrière lesquels on essaie de se cacher ou de se faire peur.

J'observe, d'abord, la contradiction affichée par certains d'entre vous, pour ne prendre que l'exemple de celle qui existe entre, d'une part, Mmes Evelyne Didier et Yolande Boyer dénonçant toutes deux les efforts du Gouvernement en vue de développer et dynamiser la compétitivité de nos territoires et, de l'autre, M. Yves Krattinger soulignant, au contraire, combien il partageait notre volonté d'accroître la compétitivité des territoires et considérant que notre ambition n'était encore pas assez forte dans ce domaine.

Je veux vous dire, pour ma part, sans idéologique et sans sectarisme aucuns, que nous devons conduire une politique non pas d'égalité, mais d'équité.

Certains ont affirmé, notamment M. Krattinger, qu'il fallait lire dans le résultat du référendum du 29 mai dernier sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe un certain désarroi dans notre monde rural. Je partage cette analyse, car l'étendue du fossé qui s'est creusé en France au cours de ces vingt ou trente dernières années entre les citoyens de la ville et ceux du monde rural est le fruit de véritables incompréhensions, qui sont aussi le résultat d'un profond désengagement de la part de l'État au fil des années.

La preuve en est que le monde rural a voté pour le « non » à 60, 65, voire 70 %, alors que les grands centres urbains ont enregistré des pourcentages avoisinant 50 % pour le « oui » et 50 % pour le « non ».

Cela montre que nos concitoyens ruraux avaient besoin de s'exprimer sur autre chose que sur la question qui leur était posée et, en particulier, sur ce désengagement de l'État sous les gouvernements successifs, au cours des vingt ou trente dernières années.

La mission m'a été confiée par le Premier ministre de réconcilier la France des villes et la France de la ruralité. J'ai conscience que les risques d'échouer sont plus grands que mes chances de réussir, mais je mets toute mon énergie dans ce budget pour donner un signe et, au-delà, des moyens, des outils supplémentaires.

Nous devons conduire une politique d'équité, et non d'égalité, ai-je dit. En effet, l'égalité, c'est donner la même chose à tous, que l'on se situe sur un territoire favorisé ou un territoire défavorisé. L'équité, c'est donner plus à ceux qui en ont le plus besoin.

Madame Didier, vous avez reproché au Gouvernement de reculer en matière de péréquation. J'ai le sentiment que vous avez mal regardé la ligne budgétaire, puisque la dotation de solidarité rurale est en augmentation de 15 % en 2006, ce qui représente un effort substantiel par rapport aux exercices précédents en faveur de cette péréquation à laquelle je reste profondément attaché. De même, la dotation de solidarité urbaine est doublée sur une période de quatre ans.

Contrairement à vos affirmations, ce budget montre bien le souci du Gouvernement de se préoccuper du développement des territoires les plus défavorisés et de donner plus, pour accompagner plus, et fournir davantage d'outils à ceux qui ont la volonté d'entreprendre.

À mes yeux, donner plus de moyens à ceux qui ont des projets à soumettre au Gouvernement n'est nullement une « prime au mérite », comme vous l'affirmez. Il s'agit de mettre des outils à la disposition de celles et de ceux qui manifestent une véritable volonté, de l'imagination, des capacités d'inventivité et de travail.

À quoi bon donner des outils à ceux qui n'ont pas envie de s'en servir ?

Le Gouvernement veille donc à donner à la fois plus de moyens à ceux qui en ont besoin et des outils - et j'aurai l'occasion de préciser ce point -, à ceux qui ont la volonté de les saisir pour favoriser la création de richesses, d'activités et d'emplois sur leur territoire.

Nous proposons donc une carte et non pas un menu, tout en veillant à ce que cet effort de péréquation soit non seulement maintenu, mais amplifié. Il ne s'agit pas d'aider les plus riches, mais de consacrer des moyens substantiels aux territoires qui ont des projets.

D'ailleurs, la démonstration est faite ne serait-ce que par les zones de revitalisation rurale. Vous conviendrez qu'à partir du moment où un territoire est classé en zone de revitalisation rurale, cela signifie qu'il est identifié comme étant un territoire plus fragile que les autres.

J'ai d'ailleurs veillé, dès mon arrivée à ce ministère, à ce que les décrets d'application de la loi relative au développement des territoires ruraux, concernant les zones de revitalisation rurale, qui n'étaient toujours pas pris, soient immédiatement soumis au Conseil d'État. Le décret a été pris le 21 novembre dernier et, grâce à ce dernier, 13 103 communes représentant un peu plus de 5 millions d'habitants sont désormais classées en zone de revitalisation rurale.

Un département comme le Gers - le plus rural de France, selon M. de Montesquiou - compte dorénavant, sur un total de 463 communes, 436 communes classées en ZRR, contre 417 auparavant : plus de 90 % du territoire est donc couvert par les ZRR.

En outre, s'agissant des pôles d'excellence ruraux, les projets en zones de revitalisation rurale sont subventionnés à hauteur de 50 %, ce qui démontre bien que le Gouvernement apporte une aide plus importante aux territoires les plus fragiles.

S'agissant des services publics en milieu rural, sujet évoqué par nombre d'intervenants, notamment par M. Claude Biwer, leur désengagement a suscité des réactions de la part de nos concitoyens ruraux et un sentiment de désamour de la part de l'État.

Quelles mesures avons-nous prises dans ce domaine ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, et moi-même avons adressé une circulaire à tous les préfets de France pour leur annoncer la suspension de toute fermeture de service public.

En prenant cette décision, nous avons mis un terme à un long processus qui avait été engagé depuis très longtemps, permettez-moi de vous le dire ! Il n'est pas dans mon intention de polémiquer sur ce sujet, mais, lorsque j'entends dire que ce gouvernement a décidé de fermer des perceptions ou des trésoreries, je pose la question suivante : qui a décidé de fermer ces services publics en milieu rural, si ce n'est un ministre de l'économie et des finances du gouvernement de M. Jospin, M. Christian Sautter ? Si les perceptions rurales existent encore aujourd'hui, elles n'ont plus pour seule responsabilité que celle qui relève de leur collaboration avec les collectivités territoriales ! Elles n'accueillent plus de public depuis bien longtemps !

C'est à cette époque-là aussi que la décision avait été prise, par l'une des ministres qui m'a précédé, de mettre en place, dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, des schémas nationaux d'aménagement du territoire, qui reflétaient une vision unilatérale de la France, impliquant que les décisions soient prises à Paris et s'appliquent de façon identique sur tous les territoires de France, sans respecter l'identité, la spécificité, l'histoire et l'authenticité de ces derniers.

Pour ma part, je ne peux pas admettre qu'un ministre de l'économie et des finances impose à tous ses trésoriers-payeurs généraux d'appliquer de manière unilatérale la même gestion du territoire sur toute la France quant aux fermetures de perceptions et de trésoreries, qu'un ministre de l'équipement réorganise de manière unilatérale toutes les directions départementales de l'équipement, qu'un ministre de l'éducation nationale mette en oeuvre une gestion identique en matière de fermeture de classes dans tout le pays, etc. Je pourrais citer aussi la carte judiciaire, la fermeture des greffes de tribunaux d'instance, lesquels ont quasiment disparu de notre monde rural au cours des années écoulées.

Tout cela ne correspond pas à ma vision des choses, car, selon moi, les schémas nationaux sont destructeurs.

Au contraire, le Gouvernement a voulu engager une véritable concertation avec les élus locaux. Toutes les fermetures de service public sont gelées et aucune décision n'est prise sans le moindre accord avec l'ensemble des acteurs locaux, et au premier chef les maires de France. En effet, quel service public de notre pays est-on toujours assuré de trouver dans les 36 000 communes de France, si ce n'est la mairie ?

À partir de là, discutons avec les maires sur leurs priorités, par exemple sur les fermetures d'écoles ! De fait, plus personne ne peut supporter qu'un inspecteur d'académie vienne au mois de juin annoncer au maire qu'il n'y aura pas de rentrée dans son école en septembre, ou qu'une classe sera fermée. C'est devenu tout à fait inacceptable, à mes yeux.

C'est pourquoi je veux que nous mettions en place un système d'alerte permettant aux maires d'être prévenus trois ans à l'avance que, s'ils ne veillent pas à favoriser l'implantation d'activités et de familles nouvelles sur leur territoire, la courbe démographique de leur commune conduira à une fermeture de classe.

Un tel système, par la vision différente du dialogue et de la concertation qui le sous-tend, présenterait l'avantage d'éviter la brutalité qui accompagne les procédures actuelles. Il permettrait également - et c'est peut-être le plus important - de respecter la diversité qui caractérise la ruralité de notre pays : pour moi, la France des montagnes n'est pas celle des villes, celle des plaines et des campagnes n'est pas celle des littoraux.

Alors, respectons l'identité de chacun, et veillons à ce que, désormais, la gestion des services publics, plus précisément des services au public, se fasse, sans tabou, en relation directe avec l'ensemble des élus locaux de notre pays. D'ailleurs, le Premier ministre l'a annoncé à l'Association des maires de France : en 2006 seront engagés 50 millions d'euros pour soutenir la réorganisation d'un certain nombre de ces services.

Vous m'avez également interrogé, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les contrats de plan. M. Alduy, en particulier, a émis le souhait que figure dans les documents budgétaires une rubrique consacrée aux contrats de plan État-région et mentionnant les indicateurs qui leur sont propres. C'est de toute évidence une bonne proposition.

Cependant, je suggère d'attendre la prochaine génération des contrats de plan pour la mettre en oeuvre, afin de partir sur des bases saines. En effet, c'est actuellement la DATAR qui assure le suivi de la mise en place des crédits d'État dans le cadre des contrats de plan : je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur, c'est complexe, ce n'est pas toujours précis, et l'outil informatique de suivi n'est pas des plus performants.

En revanche, pour la prochaine génération, allons-y ! Mettons en place un outil budgétaire performant de suivi ! Dotons d'abord la DATAR d'un logiciel de suivi de qualité. Ensuite, nous pourrions établir dans les documents budgétaires, comme le prévoit la LOLF, un document de politique transversale - un DPT, dans le jargon « LOLFien » - qui ferait une présentation synthétique de tous les crédits mobilisés par l'État pour les contrats de plan.

Monsieur Krattinger, vous avez évoqué la possibilité que l'exécution des contrats de plan de la génération actuelle soit reportée de deux ans. Je le dis clairement à cette tribune, c'est effectivement ce que je propose aujourd'hui au Gouvernement. J'ignore si j'aurai gain de cause, mais un débat est ouvert.

Vous contestez, monsieur le sénateur, que cela puisse être porteur de résultats ; mais mon sentiment et ma conviction sont que ce serait une bonne formule. Quoi qu'il en soit, la question mérite de faire l'objet d'une discussion, que j'ai effectivement entamée avec l'Association des maires de France, avec l'Assemblée des départements de France, à laquelle vous appartenez, et avec l'Association des régions de France, là encore sans dogmatisme aucun.

Vous nous reprochez aujourd'hui la mauvaise exécution de certains volets des contrats de plan, et Dominique Perben, tout à l'heure, entrera certainement davantage dans le détail. Cependant, l'exemple du volet « infrastructures » montre qu'aucun des trois derniers contrats de plan n'a connu d'exécution supérieure à 70 %, ou 75 % dans le meilleur des cas. En outre, il se trouve que, du fait du jeu de l'alternance politique permanente, chaque contrat de plan a été négocié par un gouvernement et mené à son terme par un autre : tous, quelle que soit leur couleur politique, ont reporté ce terme pour essayer de consommer davantage de crédits.

Mais il est un point sur lequel je vous donne totalement raison : ainsi que le préconise le rapport dont vous avez fait état, il faut des contrats mieux identifiés, plus resserrés, permettant une gestion plus rigoureuse. Je ne peux sur ce point que partager votre analyse et votre sentiment.

Je vous ferai observer, mesdames, messieurs les sénateurs, que le contrat de plan 2000-2006 est pour ainsi dire virtuel : l'effet d'affichage est énorme du fait des montants annoncés, mais beaucoup de ceux-ci sont sous-évalués, et aujourd'hui, moins de cinq ans après la signature du contrat, certains projets d'infrastructures voient leur chiffrage atteindre plus du double de celui qui avait été initialement avancé. Quel État, quelle collectivité pourrait disposer des moyens nécessaires pour y faire face ?

En prorogeant les contrats de deux ans et en abondant plus largement, dans le même temps, l'Agence de financement des infrastructures de transports de France, l'AFITF, conformément au choix qu'a fait le Premier ministre à la demande de Dominique Perben et de Nicolas Sarkozy, nous réussirons à obtenir une meilleure exécution du volet « infrastructures ». Qui plus est, nous pourrons mettre cette période à profit pour établir une nouvelle génération de contrats de plan, mieux ciblés, mieux identifiés, plus rigoureux, dont nous serons désormais à peu près certains de pouvoir respecter les engagements.

MM. Biwer et Saugey ont abordé le problème de la politique européenne.

Je voudrais d'abord vous rassurer, monsieur Biwer : la Lorraine bénéficiera d'un traitement équitable dans la négociation que nous menons aujourd'hui avec Bruxelles. Néanmoins, je ne vous cache pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que, pour l'élaboration du cadre de référence stratégique national, le CRSN, qui doit régir l'utilisation des fonds européens en France pour la période 2007-2013, la discussion, qui se déroule sous présidence britannique, est aujourd'hui difficile. J'étais encore à Bruxelles jeudi dernier pour en débattre : on peut affirmer qu'une épreuve de force s'est engagée.

Nous avons la ferme volonté de défendre les régions françaises et d'obtenir au plus tard dans le courant du premier semestre 2006 des garanties pour la période 2007-2013. Nous nous sommes attelés à cette tâche. Au demeurant, la première version du CRSN a été transmise aux régions à la mi-novembre 2005 pour consultation, toujours sous la coordination des préfets de région ; ceux-ci devront rendre leur copie pour le 20 janvier 2006. Une deuxième version devrait être élaborée dans le courant du mois de février 2006 pour prendre en compte les retours régionaux.

Je tiens toutefois à préciser que les crédits européens attribués à nos régions jusqu'à la fin de 2006, dans le cadre de l'actuelle génération de contrats de plan, sont encore disponibles, et un certain nombre de programmes en bénéficieront : nous ne sommes pas encore arrivés au terme de cette aide, loin s'en faut.

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