Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des crédits de cette mission va donner lieu à de vives et longues discussions étant donné les problèmes fiscaux et financiers des collectivités territoriales soulevés, d'une part, par la loi de décentralisation du 13 août 2004 et, d'autre part, par les choix budgétaires du Gouvernement.
L'autonomie financière des collectivités territoriales se retrouve fortement remise en cause par la loi relative aux libertés et responsabilités locales.
Les transferts de compétences instaurés par cette loi de décentralisation ne sont pas accompagnés des transferts financiers suffisants, ce qui est maintenant un problème récurrent. Je ne m'attarderai donc pas sur ce constat, partagé par tous les élus locaux : le compte n'y est pas !
Les compétences dévolues aux collectivités territoriales sont plus nombreuses et l'augmentation des charges grève sérieusement les finances locales, ce qui explique en partie les hausses conséquentes de la fiscalité locale intervenues cette année.
L'autonomie financière des collectivités locales est également remise en cause par le manque de recettes versées par l'État. De plus, ces recettes tendent à augmenter moins rapidement que par le passé. Ainsi, l'enveloppe de la dotation globale de fonctionnement devrait croître de 2, 73 % en 2006, contre 3, 29 % cette année.
Il n'est pas surréaliste d'imaginer que cette perte de recettes pour les collectivités locales soit durable.
De même, l'insuffisance des compensations financières des transferts de compétences vers les départements, qui doivent assumer les mesures sociales les plus lourdes et les plus évolutives - le RMI-RMA, l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH - aura forcément une incidence sur toutes les autres collectivités locales.
Le transfert des personnels aggrave les problèmes. En effet, l'échéance au 1er janvier 2006 de la mise en oeuvre du droit d'option rend fébriles les élus locaux et justifie l'inquiétude des personnels de la fonction publique face à l'incertitude de leur devenir. Tout cela nous incite à redemander un moratoire à ce sujet.
Nous avions alerté le Gouvernement sur les conséquences financières de la décentralisation, mais nos craintes n'ont pas été prises en compte.
Aujourd'hui, ce sont tous les élus locaux qui critiquent les modalités d'application de cette réforme, face aux réalités budgétaires des collectivités locales.
La perte de recettes pour les collectivités a également été confirmée par deux études, rendues successivement à un mois d'intervalle, entre octobre et novembre, par deux cabinets d'études
Leur constat est le même. La première étude est claire : le projet de loi de finances pour 2006 conduira à « une nouvelle perte d'autonomie financière pour les collectivités locales ». La seconde étude pointe un autre aspect du problème de l'autonomie financière : « les dépenses transférées ont une dynamique d'évolution supérieure à la croissance de la ressource transférée ».
Par exemple, la progression des recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, s'annonce bien moins rapide que prévue, et c'était prévisible !
Ainsi, nous le voyons, l'autonomie financière des collectivités territoriales est fortement remise en cause, mais elle sera aggravée en 2006 par une forte perte de leur autonomie fiscale.
Ce ne sera certainement pas pour vous une surprise si nous dénonçons les nouvelles mesures fiscales du Gouvernement présentées dans ce projet de loi de finances pour 2006. Je pense en particulier au « bouclier fiscal » et à la réforme de la taxe professionnelle.
Je tiens à affirmer que nous dénonçons ces deux mesures, tout d'abord parce qu'elles s'adressent en priorité aux foyers les plus aisés - mais cela n'est plus une surprise de la part de ce gouvernement ! -, ensuite parce qu'elles viendront inévitablement pénaliser les collectivités locales.
La réforme de la taxe professionnelle se traduira par un plafonnement de 3, 5 % de la valeur ajoutée. Au nom de l'« attractivité », il s'agit en réalité d'un avantage supplémentaire consenti aux entreprises, et cela, soit dit en passant, sans contrepartie en termes de création d'emplois.
Si je devais résumer cette réforme de manière plus sommaire, je dirais qu'elle représente moins d'impôt pour les entreprises mais une charge plus importante pour l'État, qui la fait endosser aux collectivités territoriales.
Quelles conséquences sur les établissements publics de coopération intercommunale cette réforme de la taxe professionnelle unique, la TPU, va-t-elle engendrer pour ces collectivités et, par effet de cascade, pour les communes ?
L'impact risque d'être important sur les finances locales, et plus encore sur les finances des communes les plus pauvres : le coût de cette mesure est évalué à 1, 5 milliard d'euros, ce qui constitue bien évidemment un important manque à gagner pour toutes les collectivités.
Le mécanisme du « bouclier fiscal » est, lui aussi, extrêmement critiquable, puisqu'il consiste à plafonner à 60 % des revenus le montant total des impôts directs d'un contribuable, englobant l'impôt sur le revenu, l'ISF, la taxe d'habitation, la taxe foncière sur l'habitation principale et même, si l'on en croit ce qui se dit, la contribution sociale généralisée, la CSG...
Outre le fait que l'instauration d'un tel bouclier fiscal sert, entre autres choses, à réformer l'ISF, elle rejaillira négativement sur les finances locales puisque les collectivités supporteront une partie des dégrèvements de la taxe d'habitation et de la taxe foncière.
M. Mercier, rapporteur spécial de cette mission, a fait part en commission des finances de sa crainte de voir les départements n'avoir d'autre choix que d'augmenter ces deux taxes afin de compenser le plafonnement de la taxe professionnelle. Mais les effets d'une telle augmentation risquent d'être faibles si le bouclier fiscal est effectivement mis en application, car en seront exempts les plus riches foyers fiscaux.
Avec les nouvelles mesures fiscales proposées par le Gouvernement, les collectivités territoriales ne disposeront plus des moyens financiers leur permettant non seulement de faire face à leurs compétences, mais surtout de répondre autant que possible à leur raison d'être, c'est-à-dire à la satisfaction des besoins et des aspirations des habitants eux-mêmes.
Le groupe CRC a déposé en ce sens une proposition de loi sur les finances locales, qui vise à répondre à ces exigences simples : assurer aux collectivités locales les moyens financiers de leur action, leur permettre de répondre aux attentes de leurs administrés et, par voie de conséquence, redonner tout son sens à la démocratie locale.
Le rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Saugey, appelle de ses voeux une réforme d'ensemble des finances locales. S'il est entendu, le groupe CRC y apportera sa contribution. Mais, pour l'heure, nous voterons contre les crédits de cette mission.