Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en préambule, je souhaite dire que la France n'a pas à rougir des efforts qu'elle déploie en faveur de l'insertion des plus démunis.
Plusieurs textes y ont été consacrés ces dernières années : la loi de 1988 créant le revenu minimum d'insertion, le RMI, la grande loi de 1998 contre les exclusions et, plus récemment, la loi en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, sans oublier les dispositions spécifiques en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, comme l'a indiqué le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About.
Pour autant, notre système de solidarité, bien que largement doté, n'a pas donné les résultats escomptés.
Trop complexe, tout d'abord, il n'est guère compréhensible aujourd'hui pour nos concitoyens, y compris pour les travailleurs sociaux eux-mêmes !
Cette complexité entraîne également des incohérences et des iniquités, que ce soit entre les bénéficiaires de minima sociaux ou entre ceux-ci et les salariés les plus modestes.
Enfin, le système actuel reste trop peu incitatif à la reprise d'activité, et ce en dépit de nos efforts.
Il en résulte une efficacité limitée des politiques d'insertion et de solidarité, qui maintiennent leurs bénéficiaires dans un régime d'assistance dont ils veulent le plus souvent sortir sans pouvoir prendre le risque d'une diminution de leur revenu d'existence.
À l'occasion de ce débat, et alors que se prépare une réforme globale des minima sociaux, permettez-moi de proposer quelques axes de réflexion.
Tout d'abord, le futur système doit être plus incitatif à la reprise d'activité et assortir obligatoirement le versement d'un minimum social d'une contrepartie de la part du bénéficiaire.
De l'assistance nous devons passer à une «politique d'inclusion sociale active », ainsi que le préconise l'Union européenne.
Je crois en la vertu rédemptrice du travail et de l'effort, ainsi qu'au bonheur donné par la récompense méritée. L'individu trouve sa dignité dans le travail et dans sa contribution au fonctionnement de la société.
Une large majorité des bénéficiaires des minima sociaux sont d'ailleurs désireux de travailler. Cela suppose, néanmoins, un accompagnement et un suivi sérieux. C'est la grande faille du RMI, alors même que la loi avait prévu la signature d'un contrat d'insertion. Je crois donc indispensable de contrôler désormais l'existence d'un tel contrat et de sanctionner les bénéficiaires d'un minimum social qui le refuseraient ou qui n'en respecteraient pas le contenu.
Il faut, dans le même temps, professionnaliser les métiers de l'insertion : les travailleurs sociaux doivent être en mesure de réaliser avec la personne concernée un bilan professionnel valable, de lui proposer un véritable projet d'insertion et d'en assurer le suivi jusqu'à son terme.
Cela suppose que les travailleurs sociaux soient plus formés et préparés à ces entretiens. Dans la perspective d'une évaluation des politiques d'insertion, il me paraît même pertinent de leur fixer des objectifs de résultats.
Le deuxième principe fondamental est que notre système doit garantir l'équité entre les bénéficiaires des minima sociaux, d'une part, et entre ces derniers et les salariés les plus modestes, d'autre part.
Il existe dans notre pays une trop grande variété de statuts et une disparité dans le montant des allocations versées, la fixation des plafonds de ressources et les conditions d'attribution des aides, créatrices d'effets pervers.
Tous ces points ont été décrits dans le rapport d'information que la commission des affaires sociales a consacré à ce sujet en 2005.
La fusion des minima sociaux que vous envisagez constituerait, bien sûr, une garantie de simplification et d'équité, mais la simple harmonisation des conditions de versement et d'accès aux droits connexes pourrait remplir, me semble-t-il, le même office.
En outre, la généralisation du revenu de solidarité active, le RSA, s'il était versé à tous les bénéficiaires de minima sociaux reprenant une activité, mais aussi aux travailleurs les plus pauvres, supprimerait nos craintes d'une distorsion entre ces deux catégories, tout en incitant au retour à l'emploi.
Il s'agit de garantir la perception d'un revenu supérieur à celui qui est versé dans les périodes d'inactivité. Nos réserves portent sur le coût d'une telle mesure.
C'est pourquoi, une remise à plat complète du système, y compris des droits connexes versés en fonction du statut du bénéficiaire et des charges liées à la reprise d'activité, nous semble indispensable.
Le troisième principe est la sécurisation du parcours d'insertion professionnelle. Toute reprise d'activité, y compris de courte durée, ne doit comporter, pour le bénéficiaire, aucun risque de perte de revenu.
Or les parcours d'insertion alternent souvent activité et inactivité. Aussi faut-il éviter les ruptures brutales de droit, en neutralisant les ressources devenues inexistantes.
Le RSA, que vous devez expérimenter dans quarante départements au profit des bénéficiaires du RMI et de l'API, allocation de parent isolé, répond en partie à ces objectifs.
Nous avons pourtant des questions concernant son éventuelle généralisation.
Le RSA a-t-il vocation à intégrer l'ensemble des minima sociaux ou bien seulement l'ASS, allocation de solidarité spécifique, l'API et le RMI ? L'AAH, allocation aux adultes handicapés, est-elle concernée ? Comment s'articulera-t-il avec chaque minimum social ? Quel doit être le montant du RSA ? Sera-t-il fixé uniformément par l'État ou librement par chaque département ?
La commission des affaires sociales a déjà eu l'occasion de se prononcer à ce sujet : elle souhaite que les modalités de calcul du RSA soient identiques sur l'ensemble du territoire national et que les droits connexes soient obligatoirement pris en compte. Cela permettra à la fois de simplifier notre système, de limiter les disparités de revenus entre les bénéficiaires du RSA et les travailleurs modestes, et de réduire le coût global du nouveau système de solidarité.
Une autre question centrale est celle du partage des responsabilités.
Suivant les préconisations de notre collègue Alain Lambert, les départements -continueront-ils à exister ? -, échelons de proximité, pourraient conserver leur responsabilité de chef de file dans la conduite des politiques d'insertion.
Leur mobilisation et leur implication active en faveur des bénéficiaires du RMI justifieraient qu'ils reçoivent de l'État une juste compensation des dépenses qu'ils engagent dans ce domaine, et qu'ils soient récompensés des actions innovantes et efficaces qu'ils mettent en oeuvre.
Ces nouvelles pratiques pourraient faire l'objet d'une évaluation annuelle et être diffusées lorsqu'elles ont fait leurs preuves.
Pourrait s'ajouter à ces mesures une récompense financière destinée aux départements vertueux, à l'instar de la prime versée, dans le cadre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion, aux départements qui s'efforcent de mettre en place des politiques sociales innovantes.
Concernant la formation professionnelle, l'action des régions destinée aux bénéficiaires des minima sociaux demeure insuffisante. Elle doit être mieux coordonnée avec celle des départements et le système de formation professionnelle doit être plus largement ouvert aux bénéficiaires de minima sociaux.
Il est vrai que tous les bénéficiaires de minima sociaux ne sont pas inscrits à l'ANPE, ce qui a pour conséquence qu'ils ne peuvent pas bénéficier pleinement des offres de formation du service public de l'emploi.
Monsieur le haut-commissaire, à quand un Grenelle de la formation professionnelle ?
Pour conclure, je souhaite que la future réforme des politiques d'insertion passe par une redéfinition des droits et des devoirs de tous les acteurs : bénéficiaires de la solidarité nationale, entreprises, travailleurs sociaux, État et collectivités locales concernées. J'y vois le préalable à une politique d'inclusion sociale active, assortie d'une véritable exigence de résultats.
Je crois également à l'émulation créée entre les départements par la décentralisation et aux vertus de l'expérimentation.
C'est ainsi que nous parviendrons à rénover nos politiques publiques et à les rendre plus efficaces, en évaluant leur mise en oeuvre et en diffusant les bonnes pratiques.