Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 8 décembre 2005 à 21h45
Loi de finances pour 2006 — Compte de concours financiers : avances aux collectivités territoriales

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens de la commission présidée par Pierre Mauroy : nous étions en l'an 2000, à moins que ce ne soit en 1999.

Les membres de cette commission, qui appartenaient à toutes les formations politiques, étaient presque d'accord sur tout, ... quand, soudain, M. Jean-Pierre Raffarin, M. Fourcade et quelques autres nous expliquèrent qu'il était impossible de continuer à siéger. Et pourquoi donc ? Parce que le ministre des finances de l'époque, M. Laurent Fabius, venait de décider que l'État supprimerait tel impôt local pour le remplacer par une dotation.

Souvenez-vous, mes chers collègues : à la suite de cette décision « insupportable », MM. Poncelet, Raffarin, Fourcade et bien d'autres cosignèrent une proposition de loi qu'ils présentèrent au cours d'une conférence de presse solennelle afin d'appeler de leurs voeux au respect - enfin ! - de l'autonomie financière des collectivités locales.

Je dois vous avouer que, depuis quelques mois, je pense beaucoup à M. Jean-Pierre Raffarin : devenu Premier ministre, il a en effet déployé une grande énergie pour faire entrer l'autonomie financière dans les moeurs. Il y eut d'abord une loi, puis deux, puis trois. Nous avons même réformé la Constitution, ce qui nous a donné l'occasion de nous pencher sur les ressources propres afin de savoir si leur part devait être « prépondérante » - mais cela eut été trop précis -, « significative », ou « déterminante ». On retint finalement « déterminante », et nous eûmes alors le sentiment d'entrer dans une ère nouvelle.

Finalement, M. Raffarin est parti, et M. de Villepin est arrivé. M. Sarkozy est retourné au ministère de l'intérieur, M. Hortefeux a été nommé ministre délégué aux collectivités territoriales. Et voilà que l'on nous annonce la réforme de la taxe professionnelle et la création du bouclier fiscal, ... qui auront pour effet de remplacer l'impôt local par une dotation de l'État.

Je comprends que M. Raffarin ne soit pas présent parmi nous ce soir : il doit être extrêmement gêné de voir son oeuvre ainsi piétinée par ses propres amis !

À l'époque, on a tellement entendu parler de l'autonomie que j'avais fini par penser que celle-ci était devenue la grande cause de la République ! Il m'arrivait d'ailleurs de dire à mes collègues qu'il existait d'autres sujets.

Alors, monsieur le ministre, la seule question que je me dois de vous poser en ce jour est la suivante : pourquoi prenez-vous à ce point le contre-pied de ce qui a été décidé par M. Raffarin ?

La taxe professionnelle et le bouclier fiscal auront trois effets : ces mesures provoqueront un transfert des grandes entreprises vers les PME - qui seront très satisfaites, n'en doutons pas ! -, mais aussi des entreprises vers les ménages, et des ménages aisés vers ceux qui le sont moins. Là, je vous dis « bravo » !

Décidément, je ne comprends pas pourquoi vous faites tout cela.

Ces dispositions s'accompagneront, bien entendu, de leur cortège de discours sur les dotations de compensation. Nous les entendons depuis plus de vingt ans ! Article 1er : « Une dotation compensera... »

Ici, cependant, on ne le dit même pas : on dit plutôt que l'on ne compensera pas tout à fait - la taxe professionnelle retenue sera celle de 2004, l'année 2005 ayant été marquée par un certain nombre d'événements - mais que l'on compensera quand même un peu.

Ensuite, se produira inéluctablement l'éternel phénomène de la dotation qui ne compense pas. À cet égard, il y aurait une thèse à écrire sur le douloureux sort de la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui, de manière géologique, est le réceptacle des décisions de tous les gouvernements qui diminuent ladite taxe professionnelle. Elle a toujours été censée compenser cette diminution, mais elle est inévitablement devenue ce qu'on appelle pudiquement une « variable d'ajustement ». Donc, ce système ne fonctionne pas.

Pourquoi ne pas prendre le problème autrement ? Nous pourrions nous diriger vers une plus grande autonomie des collectivités locales, puisque le fondement du concept de collectivité locale depuis la Révolution est que les élus désignés au suffrage universel, et eux seuls, décident du prélèvement des recettes et de l'affectation des dépenses.

Mais, finalement, nous nous éloignons constamment de cette définition, à laquelle en France - ce n'est pas pareil en Allemagne ou dans d'autres pays - nous avons constamment été attachés.

Le paradoxe du système, c'est que vous allez, une fois de plus, augmenter les dotations de l'État, qui sont déjà très élevées dans le budget.

Le seul argument qui justifie l'importance de ces dotations, c'est que l'État peut créer le contrepoids indispensable à l'autonomie nécessaire des collectivités locales en mettant en oeuvre la péréquation. Or comment se fait-il que, avec autant de dotations, on ait si peu de péréquation ? Tout le problème est là !

Oui, monsieur le ministre, avec les mesures que vous prenez, il y aura moins de péréquation.

Prenons, par exemple, la DGF : la part forfaitaire de cette dotation est peu péréquatrice, précisément parce qu'elle est forfaitaire. Je sais bien qu'un rapport dit le contraire, mais je ne suis pas d'accord avec ses conclusions. Et nous pourrions en débattre longuement, mes chers collègues ! Mais je vous dispenserai de cette argumentation à cette heure tardive.

J'en viens aux dotations à caractère rural.

Il est très important de soutenir le monde rural, mais il faut reconnaître que les dotations ne sont pas toutes aussi péréquatrices qu'on pourrait le souhaiter : je pense notamment aux différents volets de la DSR.

Pour ce qui est de la DSU, je fais partie de ceux qui plaident pour son augmentation. Mme Bricq va d'ailleurs y revenir dans un instant.

Quant à la dotation d'intercommunalité, elle a pour objet de favoriser l'essor du regroupement communal et, que la structure intercommunale soit riche ou pauvre, c'est-à-dire nonobstant les correctifs relatifs au coefficient d'intégration fiscale et à d'autres dispositifs, la dotation n'est pas particulièrement péréquatrice.

Pour finir, je dirai un mot des procès qui sont faits aujourd'hui à l'intercommunalité.

Monsieur le ministre, j'ai moi aussi été fâché de lire certains propos mettant en cause le mouvement de l'intercommunalité. Mais peut-être allez-vous nous apporter des précisions à ce sujet, ce dont je me réjouirais.

Mes chers collègues, comme vous tous, j'ai lu le rapport de la Cour des comptes qui remet en cause les périmètres. Toutefois, quand le Sénat a examiné la loi de 1992 relative à l'administration territoriale de la République, personne ici n'a défendu l'idée selon laquelle on allait imposer ces périmètres ! Et, si les textes sur l'intercommunalité ont pu être adoptés, celui de 1992 comme celui de 1999, c'est justement parce que le principe du respect de la libre volonté des communes était affirmé dès l'article 1er.

Aujourd'hui, il existe des milliers de communautés de communes, de communautés d'agglomération et de communautés urbaines. En dix ans, le mouvement a été formidable, on n'a jamais connu un changement institutionnel d'une aussi grande ampleur en si peu de temps.

Si l'on avait mis en oeuvre les préconisations du rapport de la Cour des comptes et si l'on avait écouté un certain nombre de déclarations, on aurait agi au conditionnel passé. Or le conditionnel passé présente deux défauts : le premier est que c'est le conditionnel, le second que c'est le passé.

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