Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 16 janvier 2007 à 10h10
Questions orales — Création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé eloi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez est, me semble-t-il, obsédé par les fichiers électroniques, par le contrôle continu et automatisé des citoyens, permettant un contrôle social, administratif et policier permanent.

Depuis près de cinq ans, vous avez multiplié les fichiers. Leur nombre est aujourd'hui alarmant. Cette extension s'effectue bien entendu contre tout bon sens, toute utilité objective, et, surtout, au détriment du respect de nos droits et de nos libertés.

À une liste qui semble sans fin vient de s'ajouter un nouveau fichier : celui, dénommé ELOI, qui a été créé par un arrêté du 30 juillet 2006.

Cet énième fichier présente une spécificité : y figureront non seulement les étrangers en instance d'éloignement, mais également leurs enfants, ainsi que les personnes hébergeant un étranger en situation irrégulière assigné à résidence, les visiteurs d'une personne étrangère placée en rétention administrative, les amis de ces étrangers et les associations qui leur viennent en aide.

Une fois n'est pas coutume, l'instauration de ce fichier s'est effectuée sans intervention de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.

En effet, dans le texte de l'arrêté, on ne trouve aucune référence à une quelconque délibération de la CNIL, contrairement à ce que dispose la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

En outre, la CNIL semble ne pas avoir respecté une autre obligation légale, selon laquelle elle doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, ce délai pouvant être renouvelé une fois sur décision motivée de son président. Si l'avis n'est pas rendu à l'expiration de ce délai, il est réputé favorable.

Or la CNIL, saisie le 18 mai 2006, n'avait pas rendu d'avis deux mois plus tard. Certes, son président n'a pas usé de son pouvoir pour demander la prolongation du délai, mais, de son côté, le ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire n'a pas relancé la CNIL avant de publier l'arrêté, contrairement à l'habitude.

L'arrêté créant le fichier a fait l'objet de multiples recours. Il a été attaqué conjointement par plusieurs associations, notamment le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le GISTI, la Ligue des droits de l'homme, la Cimade, l'association IRIS - Imaginons un réseau internet solidaire -, ainsi que par le Syndicat de la magistrature.

Dans leur recours, les associations s'attachent à démontrer que le fichier ELOI ne respecte pas les principes fondamentaux régissant la mise en oeuvre des traitements informatisés de données à caractère personnel.

Je le rappelle, ces principes découlent de différents textes de droit interne, par exemple la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mais aussi de droit international, notamment de droit communautaire, comme la convention du 28 janvier 1981 du Conseil de l'Europe sur la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ou la directive du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel.

En fait, il s'agit des principes de pertinence et de proportionnalité, de finalité et d'exigence de garanties suffisantes. Cela signifie, d'une part, que les données à caractère personnel doivent être collectées à des fins déterminées, explicites et légitimes, et, d'autre part, qu'elles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives. C'est au regard de la finalité du traitement que l'on peut évaluer le caractère proportionné et adéquat des données et de leur utilisation.

Or la finalité du fichier ELOI est bien vague : celui-ci vise à « faciliter l'éloignement des étrangers se maintenant sans droit sur le territoire par la gestion des différentes étapes de la procédure d'éloignement », et ce dans un objectif de « lutte contre l'immigration clandestine ». On en conviendra, il s'agit là d'une définition très large.

Compte tenu de l'existence de nombreux autres fichiers répondant à des finalités voisines - je pense notamment au fichier qui était tenu par toutes les préfectures et au fichier central des étrangers -, il n'est nullement pertinent que ce nouveau fichier contienne des informations relatives aux étrangers en situation irrégulière.

Deux autres catégories de données sont elles aussi plus que contestables.

D'une part, le recueil de données relatives à la « filiation complète », qui incluent le nom, le prénom et la date de naissance des enfants, avec pour conséquence le fichage de ceux d'entre eux qui ne peuvent pas faire l'objet de mesures d'éloignement forcé, n'est manifestement pas pertinent au regard de la finalité du fichier, à moins que l'objectif inavoué ne soit de compromettre les chances des intéressés d'obtenir ultérieurement un titre de séjour.

D'autre part, la collecte de données liées à la « nécessité d'une surveillance particulière au regard de l'ordre public » et concernant des étrangers qui ne sont pas en instance d'expulsion, mais font l'objet de mesures d'éloignement justifiées par l'irrégularité du séjour, sans représenter a priori une menace pour l'ordre public, suscite également des interrogations.

Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier les critères d'évaluation du caractère menaçant pour l'ordre public que peut présenter une personne ? Doit-elle avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une arrestation, ou peut-il s'agir d'un simple sentiment subjectif ?

Par ailleurs, l'enregistrement des données relatives à l'hébergeant lorsqu'un étranger en situation irrégulière est assigné à résidence et au visiteur d'une personne étrangère placée en rétention administrative n'a pas lieu d'être. En effet, cela n'a aucun rapport avec la mise en oeuvre des mesures d'éloignement.

Nous assistons, ni plus ni moins, à l'élargissement sans fin de l'application d'une logique du soupçon généralisé, s'étendant par cercles concentriques des clandestins aux immigrés, des étrangers à leurs amis, à leurs familles ou aux associations qui les aident.

Ces glissements progressifs de la xénophobie ont une finalité politique simple : l'intimidation. En effet, il s'agit de décourager la solidarité qui s'est exprimée dans notre pays depuis plus d'un an, notamment à travers le réseau Éducation sans frontières.

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