Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un problème difficile qu'évoque votre projet de loi constitutionnelle.
Il arrive souvent que les textes portant sur des problèmes difficiles soient réglés à l'unanimité ou à la quasi-unanimité. Je pense, notamment, aux votes concernant les adhésions à l'Union européenne que nous devons émettre dans une belle unanimité avant de constater, finalement, que le trouble nous gagne et que nous ne sommes pas toujours très convaincus de notre vote.
Ce trouble, on peut l'imaginer aux antipodes. On peut ainsi comprendre le trouble de la population européenne. Imaginons ces compatriotes, qui pensent à ce qui se passe aujourd'hui dans cet hémicycle, à 18 000 kilomètres d'eux. Ils se demandent ce que nous allons faire et si l'expression de leurs droits ne va pas être réduite à la portion congrue. Il y a là un problème qui nous interpelle.
Mais on peut penser aussi au trouble de la communauté mélanésienne, qui a vocation - et c'est le produit de l'histoire depuis vingt ans - à faire valoir ses droits historiques.
Si ce problème est difficile, il nous appartient donc de remercier ceux, qui, voilà vingt ans, comme l'ont rappelé Louis Le Pensec et Jean-Jacques Hyest, se sont attelés à cette tâche. Nous nous devons aujourd'hui de rendre hommage à Michel Rocard, à Jacques Lafleur, à Jean-Marie Tjibaou et à tous les autres. Tous ces noms résonnent, tous ces événements nous interpellent, et on ne peut que se réjouir de la coexistence pacifique qui s'est établie, depuis six ou huit ans, en Nouvelle-Calédonie.
On connaît la suite. L'article 7 des accords de Matignon disposait que, lors d'un éventuel scrutin d'autodétermination, il y aurait un corps électoral particulier.
En 1998, Jacques Lafleur déclare que c'est trop tôt et que le processus doit se poursuivre. Cela aboutit à l'accord de Nouméa.
Puis, le Conseil constitutionnel interprète le concept de corps électoral à sa manière, c'est-à-dire d'une manière restrictive : il fait prévaloir la théorie du corps électoral « glissant » par rapport à celle du corps électoral « gelé ».
Nous sommes là, aujourd'hui - et c'est l'aspect juridique du problème -, pour contredire le Conseil constitutionnel et pour revenir, s'agissant du corps électoral, à la première lecture, celle qui a été faite par le Parlement en 1999 mais qui n'a pas été conduite à son terme, la réunion du Parlement en Congrès ayant été ajournée. Il nous faut revenir aux éléments fondateurs, c'est-à-dire à un corps électoral non plus glissant, mais gelé.
Le Conseil constitutionnel a assumé sa fonction, il ne pouvait aller au-delà : il s'est prononcé, comme il le devait. Le Parlement, de son côté, dans l'expression de sa souveraineté, se doit de procéder à une réforme constitutionnelle. Il reprend ses droits et il met un terme à l'expression juridique du Conseil constitutionnel.
Sur le plan juridique, nous sommes évidemment troublés : un certain nombre de questions nous interpellent.
Nous comprenons l'état d'esprit de la communauté européenne : elle serait partiellement amputée de ses droits légitimes, tandis que la communauté mélanésienne bénéficierait d'un double statut positif, même si cela reste marginal par rapport à l'importance et à la portée du problème sur le plan historique. En tout cas, c'est bien cette contradiction qu'il s'agit de surmonter.
Au-delà des considérations juridiques, au-delà du droit constitutionnel tel qu'on le considère dans les facultés de droit se pose un problème politique qui demeure, un noeud que nous devons trancher.
Nous revenons ici au thème qu'évoquait à l'instant Michel Mercier : le concept de la parole donnée. La parole de l'État est engagée dans ce contrat passé entre deux communautés. La confiance est un sentiment qui se construit chaque jour, qui s'acquiert en permanence. Il ne faudrait pas, à un moment donné, qu'un trouble quelconque vienne perturber cette confiance. Le sentiment doit s'en pérenniser. La parole donnée doit donc être respectée. Il y va de la parole de la France.
C'est avec précaution que je parle de « la France ». Nous nous trouvons en effet dans une situation juridique originale. Deux partenaires sont en présence, qui sont à la fois différents et semblables : deux partenaires qui forment « la France ».
En ce qui concerne la position de mon groupe, je ne m'étendrai pas plus longtemps, le temps presse. Je dirai simplement que le groupe du RDSE votera le projet de loi constitutionnelle.
N'a-t-on pas dit : « Les hommes font leur histoire, même s'ils ne savent pas l'histoire qu'ils font » ? En achevant cette intervention, je forme le voeu que nous fassions mentir cette formule en plaçant tout notre espoir en des relations pacifiques et humaines.
Dans cette hypothèse, le scénario catastrophe qui s'ébauche dans l'esprit de quelques-uns de nos compatriotes ne se réalisera pas.