Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 16 janvier 2007 à 16h10
Article 77 de la constitution — Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

La réponse me semble moins évidente que ce que vous nous avez affirmé, monsieur le rapporteur.

En fait, le point 5 du préambule de cet accord ne laisse aucun doute puisqu'il y figure que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ».

L'intérêt de la langue française est qu'elle est précise. La définition ici retenue est bien celle d'un corps électoral glissant. Elle permet à chaque citoyen français vivant depuis « une certaine durée » en Nouvelle-Calédonie de voter aux élections des assemblées de province.

Cette interprétation est d'ailleurs celle qu'a retenue le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999. Objectivement, la lettre est tellement claire qu'il ne pouvait en être autrement.

Face à cette jurisprudence rigoureuse, vous justifiez cette révision de la Constitution en affirmant que le Conseil constitutionnel n'a pas respecté l'esprit de cet accord et s'en est tenu à une lecture trop littérale. Je le répète, les travaux parlementaires de l'époque ainsi que les déclarations des principaux signataires de cet accord vous contredisent.

Ainsi, lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le secrétaire d'État à l'outre-mer, Jean-Jack Queyranne, indiquait, comme il l'avait toujours fait savoir au cours des négociations, qu'il lui paraissait légitime que l'on puisse, après dix ans de présence en Nouvelle-Calédonie, voter aux élections provinciales.

De même, les trois parlementaires néo-calédoniens, les députés Jacques Lafleur et Pierre Frogier ainsi que le sénateur Simon Loueckhote, qui ont participé à la négociation de l'accord de Nouméa, affirment sans ambiguïté que l'esprit de ce dernier était bien d'établir un corps électoral glissant.

Je trouve quelque peu étrange l'attitude du Gouvernement, qui balaie d'un revers de main la voix avisée et unanime de tous les parlementaires de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, la révision que vous nous demandez d'adopter ne peut en aucun cas être légitimée par l'accord de Nouméa.

Cette révision constitutionnelle est-elle acceptable au regard de nos principes juridiques ? C'est peu que de le nier.

Tout d'abord, cette révision est en opposition avec le principe de l'universalité du suffrage, selon lequel un homme égale une voix. Ce principe, qui figure à l'article 3 de la Constitution, n'est pas une petite chose : c'est le coeur même de la Constitution. Il constitue, pourrait-on dire, l'ADN de notre démocratie.

En vertu du gel du corps électoral que vous nous proposez, un Français, électeur à toutes les élections en métropole, pourrait être en situation de se voir privé, une fois pour toutes, de son droit de vote aux élections provinciales de Nouvelle-Calédonie.

Cela signifie aussi qu'après le 8 novembre 2008 il n'y aura plus d'autre moyen d'accéder au droit de suffrage pour ces élections que l'héritage : il faudra être né de parents citoyens calédoniens.

Ainsi, on instaure en France le droit du sang. Il est d'ailleurs assez paradoxal que ce soit ceux qui sont le plus farouchement opposés au droit du sang, ceux qui sont les plus chauds partisans du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales...

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