Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir entendu les propos de l'orateur précédent, je soulignerai que chaque réalité humaine s'inscrit dans une histoire. À l'évidence, l'histoire de la relation que la République entretient avec les territoires d'outre-mer n'est pas semblable à celle qu'elle entretient avec les territoires métropolitains.
Le vote que nous sommes appelés à effectuer aujourd'hui est important. Il s'agit de dire la volonté du législateur en sa qualité de constituant, de respecter la parole de l'État. Ce n'est pas rien ! Nous devons le faire avec conviction et solennité.
Les accords signés à l'hôtel Matignon le 26 juin 1988 par le Premier ministre de l'époque, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS, repris, précisés et confortés par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, ont mis fin à une période particulièrement dramatique de la Nouvelle-Calédonie. Le sang a coulé à Ouvéa en 1988 - ne l'oublions jamais ! - et les difficiles négociations menées à l'époque, qui ont débouché sur un statut accepté par les deux parties calédoniennes - non sur une base ethnique - et les représentants de la République française, ont sans doute permis d'éviter une guerre civile. À cet égard, je voudrais à mon tour saluer la mémoire de Jean-Marie Tjibaou, hélas disparu.
Ces accords ont déjà été approuvés par la représentation nationale à deux reprises. Le Parlement réuni en Congrès a inscrit les accords de Matignon et de Nouméa dans la Constitution en 1998, puis l'Assemblée nationale et le Sénat ont décliné cette révision constitutionnelle en adoptant une loi organique promulguée le 19 mars 1999.
Je précise que les accords de Matignon ont été approuvés par référendum national le 6 novembre 1988 et que l'accord de Nouméa, qui était précis sur le corps électoral, pour des raisons qui ont été largement exposées, a été validé par 72 % des 74 % de participants de Nouvelle-Calédonie lors du référendum du 8 novembre 1998.
L'engagement de la représentation nationale, donc du peuple français, a été une nouvelle fois confirmé au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, dans laquelle il émettait des réserves d'interprétation - c'est le moins que l'on puisse dire ! - sur la composition du corps électoral pour les élections des membres des assemblées de province et du congrès. En effet, une nouvelle loi constitutionnelle permettant de garantir le respect des accords initiaux sur ce point a été votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, respectivement le 10 juin 1999 et le 12 octobre 1999. La réunion du Congrès qui devait avoir lieu le 24 janvier 2000 a été annulée du fait du retrait précipité du texte relatif à l'indépendance de la justice. Au fond, la Nouvelle-Calédonie et les accords signés, et votés par le Parlement, ont fait les frais de la justice.
Le point d'achoppement porte sur les conditions d'établissement du collège électoral, sur le fait qu'il soit « gelé » ou « glissant ».
Dans la première hypothèse, conformément aux accords passés et aux votes successifs du Parlement, seuls les habitants de la Nouvelle-Calédonie y résidant depuis dix ans en 1998 pourront voter lors des élections des membres des assemblées de province et du congrès. Cette disposition d'exception, déjà validée pour les référendums à venir, relative à l'accession à la pleine souveraineté, correspond à la volonté fondatrice d'une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française. Ce concept constitue le socle de l'équilibre qui a été trouvé, même s'il est fragile.
Cette originalité institutionnelle, dérogatoire certes à la conception générale et républicaine, est la condition de l'arrêt des violences, d'une cohabitation sereine entre communautés, tournée vers l'avenir, porteuse de développement et de progrès.
Il est fort étonnant que le Conseil constitutionnel se soit enfermé dans un juridisme étroit et ait fait fi de la réalité politique, du besoin de paix, de la reconnaissance partagée par les peuples eux-mêmes d'une nécessaire évolution historique après des décennies de colonialisme, avoué ou masqué.
Je rappelle à mon tour, et cela est fondamental, que cette citoyenneté a été constituée à titre transitoire dans un objectif précis : l'autodétermination, choisie par les Calédoniens.
Les accords de Nouméa prévoient un transfert progressif et irréversible de toutes les compétences à la Nouvelle-Calédonie, à l'exception des compétences régaliennes, sur une durée de quinze à vingt ans. Au terme de cette période, l'accession ou non de ce territoire à la pleine souveraineté sera décidée lors d'un ou plusieurs référendums.
Il était tout à fait logique que le corps électoral existant au moment de l'accord prévale lors de son application, car il est lié à un objectif politique précis, accepté par tous les signataires.
Il est tout à fait évident que cette construction juridique est spécifique. Elle correspond aux accords conclus entre les parties en 1988 afin de mettre fin à un engrenage dramatique.
La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs pleinement pris en compte le caractère exceptionnel de ces dispositions et a jugé que la restriction du corps électoral était possible lorsque deux conditions sont remplies, ce qui est le cas : un caractère transitoire et l'objectif d'un scrutin d'autodétermination.
De même, le comité des droits de l'homme de l'ONU n'a relevé aucune violation du pacte international relatif aux droits civils et politiques s'agissant de l'instauration d'un corps électoral « gelé ».
Au-delà de cette argumentation d'autorité politique et juridique, il est un argument incontournable : celui du respect de la parole donnée.
Présidents de la République, gouvernements et parlements successifs se sont engagés. La parole de la France est donc acquise. Les accords de Matignon et de Nouméa doivent être pleinement appliqués et le seront.
Comment ne pas se féliciter que le Gouvernement présente enfin ce projet de loi constitutionnelle ? À cet égard, je me réjouis des rapports fidèles aux engagements de M. Quentin à l'Assemblée nationale et de M. Hyest au Sénat, déjà rapporteur en 1999.
En revanche, on peut s'inquiéter ou regretter que le débat soit si tardif et ait lieu quelques semaines avant l'élection présidentielle. Il serait en effet regrettable que, à l'approche de ce scrutin, cette validation définitive de la parole donnée soit soumise à des jeux politiques internes à la majorité. La motion tendant à opposer la question préalable déposée par certains membres de la majorité relève, me semble-t-il, d'une telle manoeuvre. Son rejet massif par la Haute Assemblée est une obligation démocratique et morale.
Aux quelques nostalgiques d'une période coloniale qui s'éloigne, je dis que la société calédonienne avance, qu'un rééquilibrage entre provinces est amorcé et surtout que l'objectif d'un développement profitable à l'ensemble de la population peut devenir réalité, même si d'importantes inégalités subsistent aujourd'hui.
À ces nostalgiques, il faut rappeler quelques vérités : les droits d'un peuple implanté depuis plus de quatre mille ans dans ces îles ont été fondamentalement remis en cause durant plusieurs décennies.
Il faut en effet rappeler que les Kanak ont été chassés de leur terre, refoulés et parqués dans leurs réserves. Il faut se souvenir que ces femmes et ces hommes ont été exhibés en métropole au titre de curiosités exotiques.
Des massacres ont été perpétués en 1878 et en 1917. Les difficultés et les conditions de vie redoutables infligées à la population mélanésienne ont inversé la courbe démographique de ce peuple et mis en péril son existence même.
La crise des années quatre-vingt et les accords qui ont clos cette période ont pour toile de fond une vérité historique : la domination, l'exploitation et souvent l'humiliation d'un peuple par les autorités françaises et ceux qui, de fait, ont colonisé la Nouvelle-Calédonie.
L'accord de Nouméa évoque fortement cette réalité : « Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. » Cette phrase, évocatrice du compromis passé, explique à elle seule les particularismes institutionnels du processus d'autodétermination qui est en cours.
Le Président de la République, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie en juillet 2003, a rappelé que les engagements sur le projet de loi calédonien seraient tenus. Mme Brigitte Girardin l'a confirmé le 21 janvier 2005 devant le comité des signataires, instance qui assume le suivi de l'accord de Nouméa. Vous avez vous-même confirmé cette ambition présidentielle, monsieur le ministre. Nous y sommes et, je le répète, il est grand temps !
Je réfute l'idée qu'une réunion du Parlement en Congrès serait incongrue dans la période actuelle. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le destin d'un peuple n'ont cure de querelles politiciennes. Trop de textes détestables à nos yeux ont été adoptés durant cette législature pour que la force de notre soutien à ce projet de loi ne soit pas remarquée.
La représentation nationale se doit d'être unie et déterminée pour aider la Nouvelle-Calédonie à entrer dans une nouvelle période de son histoire.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera avec satisfaction ce projet de loi constitutionnelle, comme il le votera à Versailles, lors du Congrès.