Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que c'est la France, la Nouvelle-Calédonie est une passion pour chacun de nous - nos débats et surtout l'importance des décisions que nous allons prendre le prouvent -, une passion qui est incarnée par des visages ainsi que des lieux précis et bien nommés pour quiconque y a vécu, car la Nouvelle-Calédonie, ce sont des femmes et des hommes, des communautés, des paysages magnifiques, un environnement exceptionnel, des potentialités immenses et, bien sûr, une histoire, celle que nous connaissons tous.
À tous les Calédoniens, à toute la Nouvelle-Calédonie, à tous ses représentants qui sont ici, j'adresse un salut fraternel et chaleureux en leur souhaitant une bonne, heureuse et prospère année 2007.
La Nouvelle-Calédonie se trouve dans la grande région océanienne, à la fois l'île la plus proche du Paradis et presque un maillon de la ceinture de feu du Pacifique. Son destin, sans doute plus que ceux de bien d'autres pays de la région, chemine ainsi sur cette crête aux versants si abrupts et si contrastés. Il dépend des femmes et des hommes qui l'habitent, avec la France, de la faire avancer sur le chemin de la fraternité, de la prospérité et du bonheur.
Nous sommes appelés aujourd'hui à apporter une lourde contribution à la préparation de cet avenir. J'aurais préféré que les Calédoniens se saisissent eux-mêmes directement, une fois encore, de leur destin commun pour tracer, avec l'aide de l'État, des perspectives d'existence commune et de développement, comme l'ont fait Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur il y a maintenant une vingtaine d'années, comme l'a fait Jacques Lafleur avec les partenaires de l'accord de Nouméa il y a une dizaine d'années.
Pour autant, les contraintes constitutionnelles nous conduisent à nous prononcer ici et maintenant sur le gel ou non du corps électoral pour les élections aux assemblées provinciales et au congrès.
Mon propos ne portera pas sur le débat qui est en cours en Nouvelle-Calédonie ou en métropole, à savoir si oui ou non les intentions premières étaient de geler le corps électoral. M. le ministre, M. le rapporteur, que nous remercions, et d'autres intervenants ont suffisamment bien exposé cette question. Je voudrais simplement apporter un modeste témoignage sur une petite période de la vie de la Nouvelle-Calédonie, qui jouit aujourd'hui dans la région, il faut le dire, d'une image positive, voire exemplaire, liée au consensus trouvé et à l'application des accords ainsi qu'à son développement économique.
Une réelle gestion démocratique du pays se réalise concrètement sous les différents gouvernements qui se succèdent depuis une vingtaine d'années. Le Forum des îles du Pacifique, thermomètre exigeant et parfois incommode de la température politique régionale, est élogieux sur cette bonne gouvernance. C'est un acquis majeur et un privilège qu'il nous faut préserver, voire améliorer.
Dans ce contexte, remettre en cause les principes de la République peut paraître superflu et désinvolte. Ce serait même susceptible d'irriter, voire de révolter, comme l'ont souligné plusieurs personnes et intervenants.
Si je comprends, je me souviens également. Je me souviens de tout ce qui a été réalisé depuis une vingtaine d'années comme je viens de l'évoquer : un consensus et des accords. Je me souviens surtout de ce qu'était la Nouvelle-Calédonie il y a seulement une cinquantaine d'années. Quel changement ! Quelle différence entre aujourd'hui et ce que j'ai connu lorsque j'ai débarqué pour la première fois à Nouméa un matin de janvier 1963 : un pays en développement, des populations plutôt différenciées, des modes de vie assez tranchés. Le premier Mélanésien venait d'obtenir son baccalauréat quelques mois auparavant seulement.
Durant une trentaine d'années, j'ai eu le privilège de vivre dans ce beau pays - l'île la plus proche du Paradis -, de participer à sa vie et, modestement, à son développement à travers l'enseignement. J'ai appris au milieu des gens et de la bouche des uns et des autres ce qu'était une partie des réalités de leur vie et de leur histoire. Leurs témoignages éclairaient mon esprit, me permettant de comprendre certains débats ou points de confrontation.
Durant des années, cette tension silencieuse et latente a été mon cauchemar. Comment feront-ils pour résoudre une telle situation ? Comment faire pour que personne n'en sorte perdant ?
Les irruptions violentes des années quatre-vingt sont gravées à jamais dans mon esprit et ne s'effaceront plus de ma mémoire, comme il en est, bien évidemment, pour ceux qui les ont vécues et surtout pour ceux qui ont été en premières lignes dans ces conflits. J'ai été touché par tous les drames qui ont émaillé cette période, et je me souviens plus particulièrement des morts d'Ouvéa, où la plupart des victimes comptaient parmi mes anciens élèves.
Que de chemin parcouru ! Que de progrès économiques, sociaux et culturels réalisés ! Que de préjugés levés ! Que d'erreurs acceptées et réparées ! Que de fautes pardonnées ! Que de promesses mutuelles pour bâtir ensemble un destin commun ! Que de fraternités construites ou en construction !
Tout cela a été le fruit d'intenses négociations, menées dans la douleur. Les accords de Matignon et l'accord de Nouméa ont été le résultat de ces grands moments de vérité pendant lesquels les Calédoniens ont pu regarder ensemble une partie difficile de leur histoire et ont accepté de la poursuivre en commun, dans la pacification et la conquête de la fraternité. Cette logique constitue le socle de la paix et du développement de la Nouvelle-Calédonie. C'est le pari de l'intelligence, qu'il faut sans cesse dynamiser pour le faire gagner.
Je salue ces accords qui ont pris en compte les différentes communautés vivant sur le territoire. La Nouvelle-Calédonie est la terre d'accueil pour des populations venant de toutes les parties du monde, surtout de l'Europe, de l'Asie et de l'Océanie.
Nos compatriotes Wallisiens et Futuniens qui y vivent actuellement sont estimés à environ 20 000 personnes. Cela fait un peu plus de soixante ans qu'ils ont commencé à y émigrer pour répondre à des demandes de l'administration et pour chercher un emploi. Je me plais à souligner avec fierté leur forte contribution au développement de la Nouvelle-Calédonie, très souvent au travers des tâches les plus dures et peut-être même les plus ingrates.
Chers compatriotes originaires de Wallis et Futuna vivant en Nouvelle-Calédonie, je vous salue et vous remercie de cette importante contribution que vous apportez à la construction de votre beau pays d'accueil. Vous êtes nombreux à bénéficier de la citoyenneté calédonienne. C'est la reconnaissance, par les accords et par la loi, de votre présence et de votre implication. Vos droits et vos devoirs sont ainsi les mêmes que ceux des autres citoyens Calédoniens. À l'occasion, quand c'est nécessaire, rappelez les premiers et toujours soumettez-vous aux seconds ! Continuez à apporter votre participation à la construction de votre pays. Que votre présence et votre apport spécifique, dans le respect et l'attention aux autres, bâtissent la société multiraciale, multiculturelle de Nouvelle-Calédonie !
Les difficultés sur le chemin de cette construction du pays calédonien ne manqueront pas, comme il y en a eu déjà depuis 1998. Mais je sais que les femmes et les hommes de bonne volonté ne manquent pas et ne manqueront pas, que l'État, gardien du respect des droits de chacun, assumera ses responsabilités, que le pari sur l'intelligence ne sera pas trahi.
L'étape que nous nous préparons à franchir est, bien sûr, difficile, car elle comporte des questionnements divergents, des positions différentes, voire opposées, mais, quels que soient le résultat et la décision finale, le ralliement se fera sans faute pour que continue à progresser et à se développer la Calédonie que nous aimons tous. C'est l'avantage et l'honneur du débat ainsi que de la décision démocratique que nous envient bien des pays !
Je salue mon ami Simon Loueckhote, à qui je dis mon admiration et mon plus grand respect. Il défend ses positions avec tant de conviction et de brio ! L'affection et les convictions personnelles ont cette grande qualité de ne pas être subordonnées l'une à l'autre. Nos divergences de vue ne remettent pas en cause notre amitié ; elles traduisent simplement, mais différemment, une même passion pour la Nouvelle-Calédonie.
Comme en 1999, je me propose d'apporter mon vote à ce texte, parce que j'avoue très humblement être convaincu que ce choix est le bon pour la Nouvelle-Calédonie.
Ma décision n'est aucunement un rejet des compatriotes qui ne voteront pas aux élections pour les assemblées provinciales et pour le congrès. Elle est un soutien à la consolidation d'un jeune processus fragile, accepté et souhaité, qui nous fait avancer sur le bon chemin et sur lequel il faut concentrer l'attention, l'affection et l'action. Ici, il s'agit encore d'un pari sur l'intelligence qui ne peut se contenter du slogan !
Mon vote est le fruit d'une réflexion approfondie et, certes, difficile. Je prends acte du fait que cette mesure est transitoire, car elle expire avec la fin de la période de mise en oeuvre de l'accord de Nouméa. Des comptes seront demandés à ceux qui l'auront mis en application, et je sais que les Calédoniens seront exigeants et lucides lorsqu'il s'agira de prendre les décisions et les orientations qui s'imposeront.
Personnellement, je suis fier que la Calédonie soit aujourd'hui française ; la région l'envie pour cela et je souhaite, pour l'avenir, que ses liens avec la France soient encore plus forts. Le renforcement de la citoyenneté calédonienne est un chemin vers cet attachement. Il revient aux Calédoniens de le réaliser.