Intervention de Richard Yung

Réunion du 2 février 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Richard YungRichard Yung :

À chaque projet de loi, son bouc émissaire. Le texte que nous examinons aujourd’hui est le fruit de l’irritation du Président de la République face au prétendu laxisme des juges judiciaires, qui feraient obstacle aux expulsions des migrants en situation illégale.

Afin de rendre inopérante l’intervention du juge des libertés et de la détention, il était initialement proposé à l’article 37 d’inverser l’ordre d’intervention des juges judiciaire et administratif.

Or de telles dispositions ne sont aucunement prévues par la directive Retour. Elles sont prétendument motivées par la recherche d’une plus grande efficacité. Toutefois, si l’on y regarde de plus près, dans la mesure où la responsabilité du juge administratif et celle du juge judiciaire sont tout à fait distinctes et clairement déterminées, l’ordre d’intervention de ces deux magistrats importe peu.

Ces dispositions ont été supprimées en commission sur notre initiative. Voilà qui montre clairement que le souci de la défense des libertés est partagé par de nombreux sénateurs, il faut le reconnaître, et qu’il n’est donc pas le monopole du groupe socialiste.

Les autres mesures qui marginalisent le juge des libertés et de la détention et limitent son pouvoir de contrôle, par la purge des nullités ou par le jeu des irrégularités formelles, ne sont pas beaucoup plus acceptables.

Enfin, de nombreuses dispositions du projet de loi tendent à banaliser l’enfermement des étrangers sans papiers.

Tel est le cas, notamment, de la création de zones d’attente, que l’on qualifie de « sac à dos » pour montrer leur caractère relativement mobile et qui sont destinées à freiner l’arrivée dite « massive » de migrants.

Soucieux de respecter le principe constitutionnel de légalité, le rapporteur a précisé les conditions de création de ces zones d’attente. Cependant, les modifications adoptées en commission ne répondent pas au principe de nécessité. En effet, rien ne justifie l’extension du recours à cette fiction juridique, si ce n’est la volonté du Gouvernement de faciliter l’expulsion d’étrangers qui pourraient prétendre au statut de réfugiés.

Il en est de même de l’extension de la durée maximale de rétention administrative de trente-deux à quarante-deux ou quarante-cinq jours, selon la version du projet de loi considérée. Vous avez tenté de justifier tout à l'heure cette mesure, monsieur le ministre, en affirmant que, certes, vous aviez précédemment déclaré y être hostile, mais que, comme certains pays tardaient à donner leur accord pour les visas, il était raisonnable d’étendre cette durée maximale de rétention.

Le plus clair en l’espèce, c’est que ceux qui se trouvent en rétention y resteront dix ou treize jours de plus ! Et je ne pense pas que cette disposition changera quoi que ce soit au nombre des personnes qui seront en situation d’être renvoyées dans leur pays d’origine.

L’une des mesures les plus inacceptables du texte est sans aucun doute l’institution, à l’article 23, d’une procédure d’interdiction de retour sur le territoire français. Cette disposition marque à la fois la résurgence de la double peine, l’ancienne obligation de quitter le territoire français, et la création d’une forme de bannissement. On se croirait chez Dostoïevski, dans les Souvenirs de la maison des morts !

Il s'agit d’une mesure de bannissement, puisque, pendant une durée qui peut aller de deux à cinq ans, la personne concernée se voit interdire le retour dans tout pays de l’Union européenne.

Naturellement, on peut comprendre cette mesure si elle s’applique à des assassins abominables, …

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