Intervention de David Assouline

Réunion du 2 février 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux commencer mon propos en vous faisant partager une première conviction, à travers l’évocation de deux souvenirs.

Le premier, c’est ce Tunisien, ingénieur de formation, marié à une Française et père d’un enfant né en France, vivant et travaillant avec un contrat de travail comme réceptionniste dans un grand hôtel parisien depuis de nombreuses années, rencontré au centre de rétention de Vincennes. Il avait été arrêté au hasard d’un contrôle de police alors qu’il ne parvenait toujours pas à être régularisé, et attendait son expulsion, désespéré, dans une petite cour entouré de grillage et de préfabriqués. Il m’avait demandé de plaider son cas.

Le deuxième, c’est ce jeune Égyptien, rencontré au centre de rétention du Mesnil-Amelot, arrêté à la gare du Nord au petit matin alors qu’il allait travailler, comme chaque jour depuis plusieurs mois. Je me souviens de son regard timide, qui m’appelait à l’aide de toute sa détresse.

Je les ai aidés. Parce que, sans attendre les événements qui occupent l’actualité internationale et qui se déroulent en Tunisie et en Égypte, je comprenais et savais que vivre la détresse sociale, y compris quand on a des diplômes, et de surcroît la privation totale de liberté démocratique justifiait que l’on cherche ailleurs dans le monde un petit coin vivable, comme beaucoup l’ont fait au siècle dernier, et dont les descendants directs font aujourd’hui partie de notre peuple. Peut-être même y en a-t-il ici, dans cet hémicycle…

Les accueillir, ou au moins les traiter respectueusement, les regarder autrement que comme des criminels, eux qui relèvent non pas d’une condamnation de justice mais d’une décision administrative, les soigner quand ils sont malades, voilà ce que l’on attendrait de la France, voilà ce qu’on leur disait de la France, voilà pourquoi notre pays a pu jouir d’une stature morale exceptionnelle pour les peuples du monde.

Voilà à quoi je pense, voilà ce que je souhaite que chacun d’entre vous puisse méditer, au moment de débuter ce énième débat sur une énième loi sur l’immigration.

D’autant que la France n’a pas aidé à ce qu’ils aient l’envie ou les moyens de rester au pays, en vivant dignement et librement, puisque notre gouvernement a accepté, accompagné parfois, dans un silence persistant jusqu’au dernier instant, les dictatures politiques et voleuses de richesses économiques qui leur rendaient chez eux la vie impossible.

Maintenant que vous savez, que vous reconnaissez, que tout le monde voit et salue l’immense courage de ces peuples, au moment de légiférer à nouveau sur eux, pour durcir encore plus leurs conditions, pensez aux centaines de milliers de Tunisiens, pensez aux milliers d’Égyptiens, et, à travers eux, à tous les étrangers : aux Afghans qui fuient les talibans, aux Roms discriminés en Roumanie et ailleurs, qui vivent ou essayent de vivre en France.

Posez-vous alors la question : méritent-ils, alors que la législation abonde déjà de tracasseries, d’hypocrisie, d’humiliation, de criminalisation, qu’on aille encore plus loin dans tous les domaines – accueil, conditions du séjour, rétention –, jusqu’au point de ne pas les soigner ?

La deuxième conviction que je veux vous faire partager a trait à la déchéance de la nationalité. Rien de concret, d’urgent, pour la régulation des flux migratoires et l’intégration, pour l’ordre public, ne nécessitait une telle mesure, qui ne concernera au plus que quelques personnes.

Cette mesure a donc été délibérément conçue comme une mesure symbolique, qui vise à envoyer un message à la société : symbolique d’une idéologie qui vient rompre ce qui pouvait faire consensus chez tous les républicains convaincus ; symbolique aussi de cette course que certains veulent engager sur le terrain des nationaux-populistes d’aujourd’hui, soi-disant pour les réduire.

Ce faisant, vous avez renoncé à défendre bec et ongles des principes qui ont toujours guidé la France, qui élevaient celles et ceux qui se laisseraient aller à la tentation de haïr l’autre quand ça va mal.

En accompagnant ces sentiments faciles, vous avez renoncé à combattre la part d’ombre qui existe en chacun de nous, mais que notre conscience affronte tous les jours pour faire société et civilisation.

Mes chers collègues, arrivé à 8 ans en France avec ma famille, marocain de nationalité, j’ai été naturalisé français, et aujourd’hui devant vous, avec vous, je suis un représentant de notre République et de notre nation.

Quelqu’un dans cet hémicycle serait-il plus français que moi ? Je vous pose la question. Je la pose d’autant plus que lorsque je l’ai posée sur un plateau de télévision au député UMP Jacques Myard, il n’a pas voulu me répondre malgré mon insistance, et m’a dit « C’est à vous de le dire », comme s’il parlait à quelqu’un qui demande sa nationalité et qui doit faire ses preuves. Il pouvait tout simplement dire « oui », mais il n’y parvenait pas.

J’étais abasourdi, et j’ai compris que cette déchéance ne visait pas à effrayer quelques meurtriers, assez dangereux, hors la loi et hors principes pour tuer un policier, risquant la perpétuité, mais qui tout à coup se raviseraient parce que ayant peur d’être déchus de leur nationalité. Non, j’ai compris qu’il fallait installer l’idée, qui ne pouvait même pas épargner un représentant de la nation, qu’il existe deux catégories de Français, et qu’il y en a une, la légitime, la vraie, à laquelle jamais ne pourraient accéder des millions de naturalisés, pas plus que moi-même.

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