Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 2 février 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

… de stigmatiser l’autre et de condamner finalement à ce repli communautaire que vous prétendez vouloir combattre.

Je passe également sur le calendrier législatif qui, tous les deux ans environ, depuis la première loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002, voit émerger des projets de loi sur l’immigration. Le « pic » atteint en 2006, avec pas moins de trois lois votées, laisse présager le pire à l’approche des prochaines échéances électorales.

En revanche, la question se pose vraiment : pourquoi déposer une énième loi sur l’immigration de cette facture ? Peut-être le constat de l’échec de votre politique en cette matière vous oblige-t-il à revenir à la charge. Mais alors, face à ces multiples revers, pourquoi les mêmes recettes, aussi peu humaines qu’efficaces ?

Il y a toujours plus de privation de liberté, toujours moins d’accès au juge, toujours plus d’obstacles à l’accession à la nationalité ; il y a toujours cette volonté de stigmatiser l’étranger en France et, surtout, toujours cette façon de répéter sans cesse aux Français, comme si c’était le premier objectif d’un tel texte, qu’ils doivent regarder le statut d’étranger comme un délit en soi ; de nombreux exemples le démontrent.

Ainsi, une carte de long séjour « vie privée et familiale » délivrée outre-mer est requalifiée de carte de séjour « étudiante » par les préfectures métropolitaines ; les obstacles sont sans cesse plus nombreux pour l’accession à la nationalité d’un conjoint de Français.

Et alors que les collectivités locales ont l’obligation de prendre en charge tous les mineurs, en particulier pour assurer leur scolarisation mais également leur sécurité, le Gouvernement ignore le coût de ces opérations d’intégration, en refusant les dotations humaines, matérielles et financières qui permettraient de remplir ces missions autrement plus nobles que le rejet, l’exclusion, l’expulsion ou l’interdiction de retour.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’efficacité de mesures toujours plus coercitives, toujours plus déshumanisantes pour l’étranger et toujours plus déshumanisées pour ceux qui doivent les mettre en œuvre.

Ne croyez pas que l’augmentation de la durée de placement en rétention de 32 à 45 jours permettrait d’exécuter davantage de procédures d’obligation de quitter le territoire.

Ne croyez pas qu’une loi supplémentaire réussira là où les autres ont échoué en matière de contrôle des flux migratoires sans une augmentation des moyens ou, du moins, ne serait-ce que pour appliquer le droit existant, sans un meilleur déploiement des ressources actuelles. L’absence de convention avec le Guyana en est un exemple frappant.

De janvier à août 2010, l’OFPRA a enregistré 784 nouvelles demandes d’asile en provenance de Guyane. Pourtant, des situations récurrentes apparaissent encore, comme la fermeture du guichet asile lors de l’absence de la seule personne qui en avait la charge, suspendant ainsi toute possibilité de faire examiner une demande d’asile.

La carence de moyens humains et matériels illustre le niveau de votre capacité réelle à mener une politique de contrôle des frontières, d’accueil des demandeurs d’asile, mais également d’intégration.

Monsieur le ministre, une autre de mes questions porte sur les axes de votre politique des flux migratoires. Déterminer les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire national, lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers, ou organiser l’aide au retour dans leur pays d’origine des personnes en situation irrégulière ne constituent qu’un contrôle illusoire des frontières.

Un texte qui prétend lutter contre les flux d’immigration clandestine ne saurait se contenter de dispositions seulement relatives aux reconduites à la frontière, volontaires ou contraintes, ou aux centres de détention et aux zones d’attente. Il faut l’adosser à une politique de coopération régionale et de développement cohérente avec les pays d’origine des populations migrantes.

Savez-vous, mes chers collègues, que le PIB par habitant de la Guyane, qui pourtant ne représente que 35 % de celui de la France hexagonale, reste toutefois treize fois supérieur à celui du Surinam, quinze fois à celui du Guyana et trente-neuf fois à celui d’Haïti ?

Croyez-vous, monsieur le ministre, que le traitement humiliant que constituent les reconduites massives aux frontières empêcheront ces hommes et ces femmes de traverser le fleuve ou la mer, au risque de leur vie, à la recherche de conditions meilleures pour eux et leurs enfants ?

A contrario, il est symptomatique de constater que Trinité-et-Tobago, ayant un PIB quasi similaire à celui de la Guyane, ne fournit pratiquement aucun contingent d’immigration clandestine.

Le Gouvernement n’a-t-il déposé ce texte que pour prétendre agir ? Il faut le croire, car les lacunes sont nombreuses dans ce projet.

Comme je l’ai dit, la Guyane et les outre-mer totalisent presque 60 % des reconduites hors des frontières nationales.

N’y a-t-il pas matière à intégrer dans la réflexion et le débat législatif cette pratique intensive et manifestement sans grand effet ?

N’y a-t-il pas matière à intégrer dans les dispositions générales du texte des mesures qui prennent en compte les configurations, la sociologie, les économies de ces régions et de leur environnement ?

Je vois bien un titre VI consacré à certains de ces territoires, mais il ne contient que des mesures de coordination et aucune réponse spécifique à la singularité de ces collectivités.

Pourtant, en Guyane, on estime entre 35 000 et 40 000 le nombre d’étrangers en situation irrégulière sur une population de 230 000 habitants. On retrouve un rapport similaire à Mayotte ou en Guadeloupe. Comment se fait-il qu’aucune disposition ne prenne en compte des territoires où 20 % de la population est en situation irrégulière ?

Je veillerai d’ailleurs à proposer, sur certains points, des dispositions spécifiques à la Guyane, tout en sachant que, manifestement, le débat est ailleurs.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le thème de l’immigration, de l’intégration, de la nationalité suscite tant de passion, c’est qu’il touche à notre identité et à notre humanité.

Lorsque, dans leur déclaration des droits, les constituants de 1789 énoncent que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », ils donnent à leur propos une valeur universelle.

En refusant aux étrangers la liberté, la dignité, l’accès au juge, du fait qu’ils sont étrangers, notre identité se dépouille de l’ambition humaine universelle portée par la Révolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion