Intervention de Jacques Muller

Réunion du 21 janvier 2009 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2009 — Discussion de deux projets de loi le second étant déclaré d'urgence

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous voici invités à voter un certain nombre de dépenses, financées par l’emprunt, destinées à relancer une économie aujourd’hui en panne.

Les subprimes ont bon dos : la crise qui éclate aujourd’hui dans l’ensemble des pays industrialisés est tout sauf conjoncturelle. Elle était en quelque sorte « génétiquement programmée ».

En effet, cela fait bientôt trente ans que le compromis social fordiste, sur lequel reposait la dynamique des trente glorieuses, a été progressivement abandonné, au nom d’une idéologie datant du xixe siècle.

Depuis cette époque, la part des salaires dans le PIB n’a cessé de fondre au profit des revenus du capital, qui ont creusé les inégalités et alimenté la spéculation.

Les États ont pris la détestable habitude de freiner la demande interne des ménages, en misant sur les exportations ou le crédit à la consommation pour faire tourner l’économie.

Les politiques de l’offre et de déréglementation sont devenues la norme, avec leur cortège de souffrances pour les travailleurs paupérisés et endettés, ainsi que les chômeurs.

Monsieur le ministre, le Gouvernement n’est, hélas ! pas en reste !

Après avoir été l’un des serviteurs les plus zélés du néolibéralisme, comme en témoignent, entre autres, les lois socialement désastreuses de « modernisation du marché du travail » et de « modernisation du dialogue social », en attendant le futur projet de loi portant sur le travail le dimanche, le Gouvernement semble aujourd'hui redécouvrir Keynes, cet économiste iconoclaste et avant-gardiste qui avait bien compris que l’économie fonctionne en circuit, et avait démontré qu’une politique de grands travaux d’intérêt public financés par l’emprunt est un moyen parfaitement adapté pour faire tourner le système économique, de sorte que le plein-emploi devienne enfin la norme.

C’est bien ainsi que le monde capitaliste avait surmonté la crise de 1929 : investissements publics financés par l’emprunt et hausse des salaires.

Chacun aura pu mesurer le peu d’enthousiasme que vous manifestez à cette conversion forcée au réalisme économique : votre plan de relance est en effet plombé par deux vices rédhibitoires, qui lui ôtent sa pertinence.

Tout d’abord, sur le plan quantitatif, la relance proposée aujourd'hui, prisonnière de votre orthodoxie néolibérale, est parfaitement insuffisante au regard du blocage de l’économie.

Il s’agit non pas de surmonter un ralentissement passager de l’activité, mais de débloquer une machine économique durablement grippée !

Vous vous contentez d’une impulsion budgétaire particulièrement faible. En effet, une fois que l’on a déduit les 11 milliards d’euros de remboursement accéléré des dettes de l’État à l’égard des entreprises, les 15 milliards d’euros restants ne vont stimuler l’économie qu’à hauteur d’environ 0, 7 % du PIB.

À titre de comparaison, le FMI préconisait un effort de relance budgétaire de 2 % du PIB et M. Obama aux États-Unis en prévoit le double.

Mais il y a plus préoccupant encore, sur le plan qualitatif. En bons néolibéraux qui semblent découvrir Keynes, vous avez oublié un élément de sa pensée : au cœur de la relance, il y a un projet !

Keynes, en effet, ne préconisait pas seulement de rehausser l’équilibre macroéconomique afin de faire disparaître le chômage ; il soulignait également qu’une relance doit se construire sur une vision prospective de la société. Roosevelt avait ainsi mobilisé ses concitoyens sur un projet de société nouvelle, le New Deal !

Monsieur le ministre, votre budget de relance timoré masque difficilement une espèce de pessimisme partagé. Il en devient peu lisible, car il repose sur une vision étriquée, voire « hydraulique », de Keynes.

Et pourtant, auriez-vous oublié le Grenelle de l’environnement ? Cette formidable mobilisation sociétale, parfaitement réussie, qui a permis de mettre les questions vitales de l’environnement et de la soutenabilité du développement au cœur des débats, est en train d’accoucher d’une souris.

Nous cherchons désespérément la trace des grands investissements publics nécessaires chiffrés dans le Grenelle de l’environnement à 440 milliards d’euros sur dix ans pour engager sans tarder la mutation de notre société dont l’empreinte écologique devient insoutenable !

Les efforts environnementaux de votre plan s’élèvent à quelque 700 millions d’euros, soit 2, 7 % du plan de relance. Quel aveu ! Le Grenelle de l’environnement n’aurait-il été qu’un leurre ?

Certaines dispositions traduisent même un recul par rapport au Grenelle de l’environnement. Je citerai le seuil d’émission de 160 grammes de CO2 par kilomètre retenu pour bénéficier de la prime de mise à la casse des automobiles, ce qui permet aux trois quarts des véhicules d’en profiter.

D’autres dispositions relèvent d’une trahison des engagements pris. Je veux parler des projets autoroutiers qui ont été bloqués par le Grenelle de l’environnement et qui sont aujourd’hui relancés.

L’essentiel des injections fiscales que vous nous proposez, monsieur le ministre, ignore le grand débat sociétal qui avait si bien mobilisé nos concitoyens.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de relancer une machine économique qui s’est enfoncée dans l’impasse productiviste ! Nous avons besoin non pas d’un plan de relance, mais d’un plan de conversion écologique de notre appareil productif, pour engager, sans perdre un seul instant et un seul euro d’argent public, la mutation sociétale à laquelle nous sommes désormais invités.

Limité par les contraintes imposées par l’article 40 de la Constitution, je ferai tout de même un certain nombre de propositions en ce sens.

Selon moi, il aurait été préférable de prévoir 1 milliard d’euros supplémentaires pour la rénovation thermique du parc de logement social, plutôt qu’une rallonge de 1, 4 milliard d’euros au profit des industries d’armement.

Je pense également que nous aurions dû consacrer tous nos efforts au développement du rail plutôt qu’à celui de la route.

Le Fonds stratégique d’investissement aurait dû être mobilisé pour convertir les industries du passé, et non pas pour relancer l’existant. Je pense notamment à la voiture hybride et au photovoltaïque. Nous devons orienter nos efforts.

Les conclusions du Grenelle de l’environnement traçaient les contours d’un projet de conversion de l’économie, posaient les bases d’un New Green Deal, dont nous attendons toujours l’annonce. En vain !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion