Pendant que toutes les suspicions pèsent sur les employés, les fraudes commises par les employeurs mobilisent moins l'attention, comme en témoigne la faiblesse des moyens alloués à l'inspection du travail.
Pendant que les malades supportent des taxes au nom de leur « responsabilisation », les médecins super-prescripteurs sont rarement contrôlés, et encore moins souvent poursuivis.
L'article 66 est symptomatique de ce type de démarche. Il tend en effet à permettre de suspendre le versement des indemnités journalières à la suite d'un contrôle effectué par le médecin de l'employeur à la demande de ce dernier, pour peu que l'assuré habite un département où le nombre d'indemnités journalières payées est supérieur à la moyenne nationale, et cela sans que l'avis du médecin de contrôle de l'assurance maladie soit sollicité.
Ce raisonnement purement mathématique est aberrant tant il refuse la réalité. Une telle méthode ignore la possibilité d'épidémies localisées, ainsi que la structure socioprofessionnelle des populations concernées : qui peut croire que les risques pour la santé sont identiques selon que l'on est mineur ou que l'on travaille derrière un bureau ? C'est nier que, en la matière, il puisse y avoir des différences entre une région fortement industrialisée et une région où le secteur tertiaire est majoritaire, par exemple.
Un tel article, qui a été rédigé en refusant de tenir compte des situations individuelles à l'unique fin de « faire du chiffre », est porteur des plus grandes injustices et des plus absurdes conséquences.
En déléguant aux médecins envoyés directement par les entreprises concernées le pouvoir de justifier ou non le versement des indemnités journalières, c'est l'objectivité du contrôle que l'on remet en cause.
À la fois juges et parties, ces médecins ne présentent pas les garanties d'indépendance et d'impartialité qui fondent l'équité du contrôle et justifient les sanctions. Ce type de contrôle ne garantit ni les droits ni la santé du salarié. Il symbolise la renonciation à une démarche de santé publique au profit d'un objectif financier, tout en accordant un privilège exorbitant à l'employeur.
Que, en cas d'abus constaté, la caisse d'assurance maladie suspende le versement des indemnités journalières est parfaitement normal, à condition que le contrôle ne souffre d'aucun reproche. C'est donc à l'assurance maladie de disposer du nombre adéquat de médecins pour remplir les missions qui lui incombent.
Les caisses n'ont pas à renoncer à l'exercice de leur mission au bénéfice des employeurs et au détriment de l'équité. Elles n'ont pas à « faire du chiffre » en fonction d'objectifs purement statistiques. S'il y a défaillance du contrôle médical, si certaines caisses s'avèrent incapables de contrôler le bien-fondé des arrêts maladie, c'est à ces dysfonctionnements administratifs qu'il faut s'attaquer, plutôt que de sanctionner arbitrairement l'assuré.
Cela étant, l'article 66 recèle d'autres mauvaises surprises pour le salarié malade. Non seulement ses droits ne sont pas garantis, le contrôle pouvant être délégué à l'employeur, mais de surcroît, en cas de contrôle « fructueux », le versement de ses indemnités journalières sera automatiquement suspendu s'il tombe à nouveau malade.
Imaginez par exemple le cas d'un salarié, homme ou femme, d'une grande surface qui, se trouvant en arrêt de travail, est contrôlé par son employeur à cinq heures moins vingt de l'après-midi, alors que, malgré une forte fièvre, il est parti chercher son enfant à l'école. La suspension du versement des indemnités journalières sera naturellement décidée. Si cet assuré est de nouveau malade quinze jours, trois mois ou six mois plus tard, ses indemnités journalières seront automatiquement suspendues, leur versement éventuel dépendant du résultat d'un nouveau contrôle. C'est instaurer d'office la présomption de culpabilité, et mettre une fois de plus en grande difficulté nos concitoyens les plus modestes !
Mes chers collègues, bien que nous ayons avalé pas mal de couleuvres au cours de cette semaine, je dois dire que j'ai été particulièrement scandalisée par cet article. En le lisant dans le détail, on se demande comment ce gouvernement peut conceptualiser et assumer un tel déni de justice. Je n'ai pu m'empêcher de repenser à M. Fillon traitant, durant la campagne pour l'élection présidentielle, les hommes et les femmes de gauche de « grandes âmes sèches qui pratiquent la justice sociale comme on offre un caramel mou, du bout des doigts, à la sortie des kermesses dominicales ».
Outre que de tels jugements de valeur, émanant de quelqu'un qui s'apprêtait à devenir le chef du Gouvernement, sont particulièrement scandaleux, je me demande aujourd'hui si M. Fillon parlait vraiment des hommes et des femmes de gauche ou s'il s'agissait d'une projection personnelle, comme on dit en termes analytiques. Je vous en laisse juges !