Monsieur le secrétaire d'État, notre société est entrée de plain-pied dans l'ère du numérique, qui connaît un perpétuel renouvellement.
Demain, la trajectoire économique et sociale de la France dépendra dans une large mesure des profits que nous tirerons de ces bouleversements. Encore nous faut-il adapter, voire changer, notre modèle de gouvernance sur ces questions très importantes.
La révolution numérique, qualifiée voilà quelque temps par MM. Nicolas Curien et Pierre-Alain Muet de « troisième révolution industrielle », n'est pas seulement une addition d'innovations si importantes soient-elles. C'est avant tout une rupture technologique majeure qui modifie non seulement nos façons de faire, mais aussi nos façons de vivre, de travailler, de nous divertir. Elle influence tous les pans de l'activité humaine ; je pense, par exemple, à la télémédecine dans le secteur de la santé, mais bien d'autres secteurs sont concernés.
Le secteur économique en subit les effets au premier chef, et cela pour deux raisons. D'une part, la révolution numérique est un acteur clef de la mondialisation. Dans quelques années, on comptera un milliard et demi d'internautes, ce qui est considérable. D'autre part, elle constitue un facteur déterminant de notre efficacité, tant individuelle que collective, puisque les différentes mesures économétriques montrent que les nouvelles technologies de la communication et de l'information stimuleraient la croissance de 0, 40 point de croissance par an et expliqueraient 60 % des gains de productivité, ce qui est, là aussi, très important !
Où en est la France dans cette révolution numérique ? Notre pays a pris le train du développement numérique et l'on peut se satisfaire, à juste titre, d'un certain nombre d'avancées réalisées. Je pense aux offres simples, doubles et même au « triple play » - téléphonie fixe, Internet haut débit et télévision - probablement l'une des meilleures offres en Europe !
En revanche, nous ne pouvons nous satisfaire de nos acquis, car aucune situation n'est définitive, et encore moins s'agissant de la révolution numérique, qui est une révolution permanente !
Aujourd'hui apparaissent de nouveaux usages, de nouveaux services que vous connaissez et dont les contenus sont de plus en plus partagés entre les internautes. L'interactivité est omniprésente et, sur le plan audiovisuel, on parle de plus en plus du phénomène de « délinéarisation ». Cela signifie que l'internaute prend le contrôle de la programmation, allant même jusqu'à créer son propre contenu ! On passe donc d'un univers déterminé par des mass media à un univers construit autour du self media. L'infrastructure de ces nouveaux services, existe déjà : c'est le « Web 2.0 ».
Il faut toutefois en être bien conscient, cette révolution numérique qui se poursuit appelle de nouveaux défis.
Le premier concerne le haut débit et même le très haut débit. Les échanges, en particulier d'images, toujours plus nombreux, nécessitent, tant pour les nouvelles applications que pour les nouveaux usages des utilisateurs, des besoins en bande passante toujours plus importants. Nos réseaux doivent supporter cette explosion du trafic. La société Ericsson a calculé que, pour l'Europe de l'Ouest, et donc pas seulement pour la France, le trafic mobile total pourrait, d'ici à 2012, être multiplié par sept, ce qui risque de poser des problèmes de goulet d'étranglement.
J'y vois deux significations fondamentales. Demain, le très haut débit sera l'infrastructure de base de la société de l'information. Dès aujourd'hui, il doit être conçu comme une sorte de service universel accessible à tous et concerner les réseaux aussi bien fixes que mobiles.
Le deuxième défi concerne la mobilité. Demain la société de l'information sera davantage encore la société de l'ubiquité. L'individu aura besoin d'une connectivité permanente et voudra retrouver partout son univers, avec son nuage d'applications. Nous entrons dans l'ère du « ce que je veux, quand je veux et où je veux » ! Une telle mobilité a une double dimension, à la fois spatiale, pour permettre une connexion partout, et temporelle, pour permettre une connexion tout le temps.
Le troisième défi est la résultante des deux premiers : c'est la convergence. L'internaute ou l'individu, pour être connecté en permanence, devra passer indistinctement d'un réseau à un autre. À son domicile, il sera connecté grâce aux réseaux filaires ; dans la rue, il le sera grâce aux transmissions par radiofréquences. La convergence doit, bien sûr, se décliner aussi bien pour les terminaux que pour les industries et les services.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'État, les grandes évolutions. Dans mon rapport, je mentionne les succès de la France à l'aide de chiffres très précis, que, faute de temps, je n'ai pas cités.
Il convient maintenant de savoir si, surtout pour l'avenir, la France est en mesure de faire face à tous ces défis et à toutes ces évolutions.
Nous sommes, je crois, vulnérables sur deux points : notre organisation territoriale, d'une part, et notre organisation politique, d'autre part.
Sur le premier point, la spécificité de la France, par rapport à de nombreux autres pays d'Europe, est une ruralité encore importante. Dans votre département, vous en savez quelque chose, monsieur le secrétaire d'État ! §Dans notre pays, 31 % de la population française vivent en milieu rural, contre 4 % au Royaume-Uni, 10 % en Italie et 20 % en Allemagne. Cette spécificité n'est pas près de disparaître, car, tous les urbanistes et les démographes vous le diront - consultez les dernières enquêtes de l'INSEE -, on constate un exode non pas rural mais plutôt urbain. Ce sont les villes qui se dépeuplent au profit des campagnes.
Il faut d'autant plus en tenir compte que le risque majeur est celui d'une vraie fracture numérique, d'une béance numérique et donc d'une France à deux vitesses, avec un « Internet des champs » face à un « Internet des villes » doté de connexions rapides, peu chères, confortables.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur la répartition actuelle. Pour 60 % d'entre eux, les Français n'ont pas accès à un débit supérieur à 512 kilobits, ce qui est un « petit haut débit » ! Sur 70 % du territoire, la téléphonie mobile de troisième génération, ou 3G, ne passe pas. Enfin, l'Association de formation et d'information pour le développement d'initiatives rurales, l'AFIP, prévoit que, d'ici à 2012, seuls 40 % de la population pourraient être connectés à la fibre optique. Et encore, il semble que ce chiffre soit surestimé. Cela montre bien que, malgré les énormes efforts accomplis par les gouvernements, les précédents comme celui d'aujourd'hui, pour résorber les zones blanches, la fracture numérique reste un horizon fuyant. C'est notre première fragilité.
Le second point sur lequel nous sommes vulnérables concerne notre organisation politique et son pilotage. La vraie question est la suivante : sommes-nous en mesure de porter pour le XXIe siècle cette grande ambition d'une France du numérique face à des grands pays concurrents, qui, eux, s'organisent sans complexe, comme la Corée du Sud et du Japon en Asie, de la Suède en Europe, et du Canada et des États-Unis sur le continent américain ? Je ne le crois pas.
Face à ce mouvement de convergence, face à cet enjeu à la fois stratégique et transversal du numérique, la France se caractérise par un modèle « gaulois » de morcellement de son action publique. Chaque ministère a ses conseillers, ses propres cellules, ses services administratifs. Partout, il existe des comités Théodule, j'en ai compté plusieurs dizaines. Certains ne se réunissent même plus ; d'autres continuent de le faire, on se demande d'ailleurs pourquoi ! Tout cela crée une grande confusion. Quoi qu'il en soit, comme beaucoup l'ont remarqué, cette dispersion ne permet pas d'identifier un véritable pilotage politique.
À cet égard, je me permets, monsieur le secrétaire d'État, de citer les propos très importants que Nicolas Sarkozy a tenus voilà quelques mois dans le Journal du Net.
« La France aujourd'hui n'est pas en état de conduire une politique cohérente de développement numérique. Trop de structures et guichets se sont développés ; personne n'incarne la volonté politique. »
Il faut donc que cette volonté politique soit incarnée en France.