Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos portera essentiellement sur la gestion et la régulation du spectre hertzien, dans ses implications culturelles, car, si les enjeux économiques et industriels liés à la politique numérique sont essentiels, les enjeux sociaux et culturels sont tout aussi primordiaux.
Avec l'extinction de la télévision analogique et le passage à la télévision numérique prévue pour tous en 2011, des fréquences vont être libérées. Ces fréquences, dites « en or », parce qu'elles bénéficient d'une bonne pénétration dans les bâtiments et d'une longue portée, sont forcément très convoitées du fait même de ces propriétés et de la rareté du spectre hertzien.
Mais, pour être convoitées, encore faut-il préalablement qu'elles aient une réalité concrète, ce qui implique que le Gouvernement se donne les moyens, y compris financiers, de respecter l'ambitieux calendrier de basculement, comme il s'y est engagé, et que le dividende numérique soit clairement quantifié et planifié.
Néanmoins, si l'on met de côté les besoins spécifiques de la défense nationale, le très haut débit fixe, le très haut débit mobile, la télévision mobile personnelle et la télévision en haute définition sont tous des candidats naturels au dividende numérique pour accéder à un marché de masse. À cela s'ajoute un impératif d'aménagement du territoire, de service universel, auquel notre assemblée est particulièrement sensible, s'agissant en particulier de la question des zones blanches et grises en téléphonie mobile et de celle du haut et très haut débit.
Le spectre hertzien est un bien commun, une ressource publique, immatérielle et rare. Or, c'est un bien public rare, que le gouvernement précédent a déjà préempté, par l'octroi des chaînes bonus, cédant à quelques lobbies pour offrir, de fait, un soutien injustifié à des positions dominantes.
Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a organisé juridiquement le développement de la télévision mobile personnelle et de la télévision haute définition. Pour cette dernière, l'appel à candidature pour le multiplex R5 de la TNT est en cours et porte sur la diffusion de deux services de télévision, une troisième place étant réservée pour la diffusion d'une chaîne publique.
Aussi, dans son rapport intitulé « Dix ans après, la régulation à l'ère numérique », la question posée par M. Retailleau en ces termes : « Est-il préférable pour la France de promouvoir l'accès de tous au haut débit ou de généraliser la diffusion de la TNT en haute définition, ce qui absorberait, voire excéderait le dividende numérique ? », se trouve-t-elle doublement injustifiée.
D'abord, le mouvement de la TVHD est déjà en marche.
Ensuite, selon Télédiffusion de France, TDF, une utilisation optimisée des fréquences permettrait de répondre aux besoins en HD et en télévision mobile personnelle, ou TMP, tout en libérant une partie de la bande UHF pour d'autres services.
Dans un autre ordre d'idée, on pourrait aussi envisager que, dans une perspective de développement, les opérateurs de téléphonie mobile s'engagent, avec l'ARCEP, dans une étude des possibilités de réaménagement de leurs propres bandes de fréquences, à l'image des transformations régulières qui s'opèrent pour les usages des services de télévision.
Comme le CSA et, visiblement, nos opérateurs privés de télévision, qui ont joué la surenchère dans les promesses de programmes haute définition lors de leur audition devant le CSA, nous considérons que la haute définition est le format d'avenir de la télévision.
Elle représente un tel saut qualitatif pour le téléspectateur, si tant est que les émissions seront produites et diffusées en HD, que le président du CSA a pu dire : « Dans quelques années peut-être, un programme en simple définition nous semblera aussi obsolète que peut l'être aujourd'hui un programme en noir et blanc. La haute définition renforce le spectacle à la télévision ; cette innovation entraîne des bouleversements dans toute la chaîne de production, des mutations qui doivent s'accompagner d'une réflexion sur la création audiovisuelle, afin que toutes les potentialités de la haute définition et ses avantages pour le téléspectateur soient explorées. »
Cet exemple de la TVHD nous le montre bien, ce qui est également en jeu dans cette question, que M. Retailleau aborde sous un angle strictement économique et industriel, c'est le maintien de la création, du pluralisme et de la diversité culturelle, dans un contexte de mutation technologique accélérée.
On assiste à une forte concentration des médias et à un regroupement des activités informatique, télévisuelle et de téléphonie, par le biais d'associations d'opérateurs de téléphonie mobile et de fournisseurs de contenu audiovisuel, ou, pour citer un exemple à l'échelle nationale, de la création par Orange d'une filiale cinéma. Dans ce nouveau contexte économique et technologique, de la régulation, de la gestion du spectre hertzien ? Quelles seront les missions du CSA face aux nouvelles pratiques ?
Disons-le clairement, deux logiques s'affrontent.
D'une part, une vision purement économique, libérale, privilégie le mode de régulation à l'oeuvre dans le secteur des télécommunications avec l'ARCEP, ou une régulation des réseaux dans un cadre de libre concurrence, indifférente aux contenus.
D'autre part, une vision culturelle, dans un souci de pluralisme et de garantie de la diversité culturelle, favorise le maintien, par une instance ad hoc - le CSA -, d'un mode de planification, d'autorisation d'usage et de régulation spécifique des fréquences destinées à des services audiovisuels, afin de garantir une réelle diversité de l'offre passant par ces fréquences.
Pour cela, le CSA doit avoir les moyens effectifs de mener une politique globale, dans tout le secteur audiovisuel, quel que soit le support de diffusion, car il y a toujours un enjeu de pluralisme.
Ce secteur a déjà avalé nombre de couleuvres et la régulation a reculé au nom de la convergence. Le simple régime déclaratif s'applique désormais à l'ensemble des distributeurs de services sur les réseaux filaires - câble, satellite, ADSL, Internet, téléphonie -, autrement dit, à tout ce qui n'est pas fréquence hertzienne.
Même si les fréquences se trouvent démultipliées par l'arrivée du numérique, le hertzien reste une ressource rare et limitée.
L'audiovisuel a légalement droit à certaines fréquences et il serait incohérent d'en livrer la planification à une instance autre que celle en charge de la régulation de ce secteur, le CSA étant le plus à même d'éviter des dérives ultra-libérales dans le secteur audiovisuel.
Contrairement à ce que préconise notre collègue Bruno Retailleau dans son rapport, le CSA ne doit pas être marginalisé dans la gestion d'un spectre hertzien qui lui serait attribué par une autre instance et la dévolution du dividende numérique ainsi concédé.
Pour notre part, nous considérons que la capacité de planification du CSA fait partie intégrante de son pouvoir de régulation. Cette instance doit avoir un droit de regard sur l'ensemble du spectre. Les fréquences audiovisuelles qu'elle attribue aux services de communication audiovisuelle doivent être maintenues. Aucune évolution technologique ne saurait démolir un édifice juridique réglementant la liberté d'expression et son application au droit de l'audiovisuel contemporain, le pluralisme et la défense de l'exception culturelle.
C'est d'ailleurs pourquoi nous avions proposé, lors de l'examen du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, que, pour la télévision mobile personnelle, les appels d'offres prennent en compte le contenu des programmes, et pas seulement des obligations de couverture, afin que le CSA puisse apprécier le soutien à l'industrie des programmes et l'adaptation des contenus à la TMP pour toute autorisation, tout simplement parce que le projet de loi initial était totalement silencieux sur les contenus de ce nouveau support.
Depuis la loi de juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, communément désignée sous le nom de « paquet télécoms », les gouvernements successifs visent tous le même objectif, la dérégulation maximum de notre secteur audiovisuel.
Servir l'intérêt des grands groupes avant celui du téléspectateur, mettre à mal les règles anticoncentration, marginaliser le service public, telle a été leur politique audiovisuelle, alors que le seul objectif des différents textes modifiant la législation en vigueur devrait être d'adapter le secteur de la communication aux évolutions technologiques, tout en assurant l'avenir de nos industries de programmes, le pluralisme et la promotion de notre identité culturelle, dans une interprétation stricte des deux principes fondamentaux contenus dans les directives européennes de « service universel » et de « neutralité des supports », appliqués à l'audiovisuel.
En outre, ce gouvernement entend bien aller encore plus loin et plus vite dans cette politique libérale de dérégulation de notre secteur audiovisuel, à la grande satisfaction des grands groupes.
Ainsi, Mme Christine Albanel vient d'annoncer sa grande loi globale, qui risque de mettre en danger l'édifice de notre droit de la communication audiovisuelle et ses principes fondateurs, au seul profit des grands groupes industriels.
Toujours plus de concentration et moins de pluralisme, toujours plus de recettes publicitaires pour TF 1, pour lui permettre notamment de se développer sur le plan international, et sabordage des moyens du service public avec, en filigrane, la mutualisation des moyens et des rédactions se profilant pour France Télévisions.
Nous ne le répéterons jamais assez : si nous sommes tant attachés à la régulation, c'est bien pour garantir à nos concitoyens un fonctionnement des médias audiovisuels français concurrentiel, pluraliste et respectueux du téléspectateur.