Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de présenter avec ma collègue Mme Garriaud-Maylam, qui, retenue au Chili, vous prie d’excuser son absence, est le résultat d’une mission sur l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure qui nous a été confiée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .
Au cours de cette mission, nous avons auditionné une cinquantaine de personnes. Ce travail de six mois a débouché sur un rapport qui dresse un tableau des différentes réserves, établit un diagnostic et émet des propositions concrètes pour améliorer l’efficacité des réserves. La présente proposition de loi reprend l’une des conclusions de ce rapport.
Nous sommes partis du constat que la France devait se préparer à faire face à des crises de toute nature, qu’elles soient d’ordre militaire, sécuritaire ou sanitaire, ou encore consécutives à une catastrophe naturelle ou à un désastre technologique, voire les deux à la fois, comme celle que connaît actuellement le Japon.
Le pire n’est jamais sûr, mais il est du devoir des pouvoirs publics de s’y préparer, tout en ayant conscience que le danger se présentera sous une forme que nous n’aurons sans doute pas prévue.
Dans le prolongement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, nous nous sommes interrogés sur la capacité des pouvoirs publics à faire face à ces crises, en fonction de chaque type de scénario.
Nous avons donc étudié le recours aux réserves sous l’angle des situations de crise. Nous avons dressé un bilan de la montée en puissance des réserves militaires, bien sûr, qui forment plus de 90 % des effectifs, mais aussi de celle des réserves civiles, qui se sont constituées plus récemment : réserve de la police, réserve sanitaire ou réserve communale de sécurité civile.
Nous avons constaté que ces réserves remplissent aujourd’hui deux fonctions majeures.
Tout d’abord, elles constituent un renfort ponctuel dans le cadre d’activités programmées du quotidien. Les réserves servent alors d’appoint, de forces intérimaires. Le cas le plus emblématique est celui de la gendarmerie, qui utilise l’été plus de mille réservistes par jour, pour faire coïncider au mieux ses effectifs avec ses engagements. Cette activité programmée, qui mobilise les réservistes en moyenne vingt jours par an, permet d’entraîner et d’entretenir des réserves professionnelles. Elle est essentielle à la deuxième fonction des réserves, celle qui nous intéresse aujourd’hui, consistant à compléter les forces d’active en situation de crise.
Les crises majeures sont celles qui peuvent conduire à saturer, dans la durée, les capacités des forces d’active, des administrations et des services de secours.
Dans les premières heures d’une crise, ce sont évidemment les professionnels qui interviennent. En revanche, les réserves peuvent être très utiles, voire indispensables, pour tenir dans la durée et pour permettre une rotation des effectifs.
À petite échelle, c’est un système qui fonctionne déjà de façon assez remarquable dans les états-majors des zones de défense. Ces états-majors comptent 75 % de réservistes, comme nous l’avons constaté à Bordeaux, où une telle structure a dû gérer la crise consécutive à la tempête Xynthia, voilà maintenant un peu plus d’un an.
Dans le contexte structurel de diminution des effectifs des personnels de l’État, il nous paraît important que les pouvoirs publics puissent, en cas de crise majeure, faire appel à des renforts de professionnels entraînés. Les réserves militaires et civiles ont vocation à répondre à ce besoin.
Il faudrait, nous dit-on, évacuer plus de 800 000 personnes en cas de crue de la Seine, sécuriser des milliers de sites en cas de vague d’attaques terroristes. Il est donc important, sinon essentiel, que les pouvoirs publics puissent compter sur un renfort constitué de volontaires formés, intégrés aux forces d’active et pleinement opérationnels.
Or, lors de notre mission, nous avons constaté que les réserves, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui, ne sauraient contribuer efficacement à la gestion de crises majeures, pour deux raisons principales, tenant au manque de disponibilité et de réactivité des réservistes.
Le premier constat est que la disponibilité réelle des réservistes n’est pas vérifiée.
Il y a, d’un côté, le problème de la multiplication des filières de réserve et de la possibilité, pour un réserviste, d’appartenir à plusieurs réserves. Ce problème est réel, mais relativement marginal.
Il y a, de l’autre côté, la question des réservistes ayant comme activité principale un emploi où ils sont fortement sollicités en période de crise. Cela concerne toutes les personnes qui travaillent dans des services de sécurité ou de secours, comme les policiers ou les pompiers, mais aussi les policiers municipaux, ainsi que tous les salariés qui sont intégrés dans des plans de continuité d’activité d’administrations ou d’entreprises essentielles au bon fonctionnement du pays. Je pense en particulier ici à France Télécom, à la SNCF, à EDF, bref à ce que le code de la défense appelle les opérateurs d’importance vitale.
S’il est nécessaire de pouvoir disposer des réservistes en cas de crise, il faut s’assurer que ces salariés-là ne soient pas mobilisés. Il est en effet dans l’intérêt collectif qu’ils participent dans leur poste de travail à la gestion de la crise. D’ailleurs, dans la plupart des cas, ils ne viendraient pas si on le leur demandait, mais encore faut-il le savoir, et déterminer sur qui les réserves peuvent réellement compter. Aujourd’hui, aucun dispositif d’identification ne permet de mesurer l’importance de ces doubles appartenances, ni d’organiser des priorités.
Le second constat est celui de l’absence de réactivité des réservistes en cas de crise.
Actuellement, le code de la défense prévoit, par exemple, que le réserviste militaire ayant signé un contrat d’engagement à servir dans la réserve, ou ESR, qui souhaite accomplir une mission pendant son temps de travail doit prévenir son employeur avec un préavis d’un mois. Si la durée de cette activité dépasse cinq jours, l’employeur a la possibilité de refuser le départ de son salarié. On comprend, dans ces conditions, que la réserve n’est pas conçue et pensée comme un outil de réponse aux situations de crise : un mois de préavis, cinq jours de disponibilité, ce n’est pas adapté !
Nous sommes donc partis de ce constat pour élaborer un mécanisme qui permette de mobiliser les réservistes plus rapidement, pour des durées plus longues, sans pour autant modifier les règles de gestion quotidienne des réserves.
En effet, il nous a paru important de ne pas alourdir les contraintes qui pèsent au quotidien sur les réservistes et sur les entreprises qui les emploient. Il y a là un équilibre fragile qu’il convient de préserver, si l’on ne veut pas tarir le recrutement de volontaires.
En conséquence, nous n’avons pas voulu modifier les règles de gestion des réserves pour les activités programmées des réservistes. En revanche, nous avons souhaité créer un instrument pour répondre à des besoins exceptionnels, dans des circonstances exceptionnelles.
Nous l’avons fait après avoir constaté que les régimes juridiques d’exception, comme l’état d’urgence ou la mobilisation générale, n’étaient pas adaptés. Certains d’entre eux ne visent pas les réservistes, les autres sont tellement attentatoires aux libertés publiques que l’on imagine mal qu’ils puissent être utilisés en cas de catastrophe naturelle, de pandémie ou de crise terroriste.
Accroître la réactivité, mieux cerner la disponibilité des réservistes, ne pas alourdir les contraintes des employeurs, voire faciliter l’emploi des réservistes au sein des entreprises par le biais d’une disposition fiscale : monsieur le ministre, mes chers collègues, telles furent nos motivations.
Partant de là, nous avons été amenés à élaborer un régime juridique d’exception temporaire, définissant, en cas de crise majeure, des règles de mobilisation des réserves contraignantes et dérogatoires au droit commun.
Le dispositif que nous vous présentons, dit « de réserve de sécurité nationale », est distinct des régimes juridiques d’exception, mais il s’insère lui aussi dans le chapitre du code de la défense dédié aux régimes d’application exceptionnelle. Nous contournons ainsi la question de la modernisation de ces régimes d’exception, pour nous concentrer sur celle des réserves. Cette modernisation reste néanmoins une nécessité.
Ce texte définit un régime spécifique aux cas de crise majeure, dont la mise en œuvre sera déclenchée par décret du Premier ministre. Ce régime d’exception temporaire ne concerne évidemment que les citoyens engagés dans les réserves militaires et civiles. Le décret définira la durée du préavis et celle de la mobilisation, dans la limite de trente jours renouvelables.
Ce texte offre aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un régime juridique qui leur permettra, si elles le souhaitent, de mobiliser, en plus des forces d’active immédiatement engagées dans la gestion de la crise, des forces de réserve, dans un délai plus rapide et pour une période plus longue que ce qui est prévu dans le cadre des activités programmées des réservistes.
Ce cadre juridique vise ainsi à fiabiliser l’engagement de réservistes dans la gestion d’une crise majeure. Il devrait permettre leur intégration dans les différentes planifications de crise.
À l’évidence, le recours à cette forme de contrainte qu’est la mobilisation doit être réservé à des événements majeurs qui, par leur ampleur ou leur durée, saturent les capacités des forces d’active des armées, des forces de protection civile et des services de secours.
Il ne s’agit pas de mobiliser les réservistes tous les quatre matins, et c’est pourquoi nous avons prévu que le dispositif ne puisse être utilisé qu’« en cas de survenance d’une crise majeure dont l’ampleur met en péril la continuité des services de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la nation ». Dans ces circonstances, et dans ces circonstances seulement, le Premier ministre pourra recourir à cette forme de mobilisation. Les réservistes seront alors dans l’obligation de rejoindre leur affectation, sous peine d’amendes, lorsque l’autorité dont ils relèvent au titre de leur engagement les convoquera.
Ce n’est pas le Premier ministre qui les convoquera, mais bien les autorités gestionnaires des réserves. Le dispositif proposé prévoit que les prérogatives des ministères en matière de gestion de leurs réservistes seront strictement respectées. Les réservistes seront ainsi convoqués et employés par le ministère dont ils dépendent.
Sur ce point, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale suggérait une autre solution, en préconisant une gestion interministérielle des réserves militaires et civiles. Nous avons étudié cette hypothèse. Elle nous est apparue, à l’examen, contradictoire avec l’intégration de ces réserves aux forces d’active.
Dans les armées et la gendarmerie nationale, les réservistes sont gérés et entraînés parmi les autres militaires et avec eux. Dès lors, parler d’une gestion interministérielle des réserves militaires et civiles, mettre en place une sorte de « pot commun » des réserves n’a guère de sens. Les réservistes sont à la fois attirés par un engagement volontaire et par un métier spécifique au titre duquel ils ont choisi de servir. Modifier de façon importante le fonctionnement actuel des différentes réserves pourrait entraîner un effondrement des effectifs. Pour toutes ces raisons, nous avons souhaité préserver leur autonomie de gestion.
Il nous semblerait toutefois utile, monsieur le ministre, d’harmoniser certaines règles. Il est sans doute peu compréhensible, pour les employeurs, qu’un réserviste ait un droit non opposable à cinq jours d’activité par an quand il sert dans l’armée, mais à dix jours quand il relève de la police, et que la durée du préavis soit également différente.
Tout au long de notre travail, nous avons estimé que les entreprises, en tant qu’employeurs de réservistes, constituaient un élément central du dispositif. Nous avons la conviction que la qualité et les performances de nos réserves dépendront de la qualité des relations que les différentes réserves sauront nouer avec les employeurs.
C’est pourquoi nous avons proposé, dans le titre II de la proposition de loi, intitulé « Des entreprises employant des réservistes », l’extension aux réservistes des dispositions relatives au mécénat. Il s’agissait de permettre que les entreprises, qui maintiennent les salaires des réservistes pendant leur activité au titre de la réserve, puissent déclarer ces dépenses au titre du mécénat.
La commission a supprimé cette disposition. Je comprends les réticences de son rapporteur, mais je crois que des actions doivent être menées pour valoriser les entreprises qui emploient des réservistes. Tous les rapports sur les réserves soulignent cette nécessité, mais peu de choses ont été faites à cet égard.
Monsieur le ministre, nous n’avancerons pas sur ce dossier si nous n’impliquons pas davantage les employeurs des réservistes. Vous nous avez dit, en commission, que vous nous présenteriez des propositions visant à inciter les entreprises à contribuer au bon fonctionnement des réserves : sachez que ces propositions sont attendues.
Les entreprises sont également au cœur d’un des amendements de la commission concernant la rénovation du service de défense. Cette rénovation permettra, en cas de crise, aux opérateurs d’importance vitale de maintenir à leur poste les salariés participant aux plans de continuité d’activité et de les exempter de toute mobilisation. C’est une bonne chose. Comme nous l’avons vu après la tempête Xynthia, l’enjeu, une fois passé le pic de la crise, est le rétablissement de la distribution d’électricité et d’eau, des télécommunications, des liaisons routières et ferroviaires.
En conclusion, mes chers collègues, j’ai la conviction que ce texte peut être utile, mais j’ai aussi le sentiment qu’après son adoption il faudra aller plus loin, notamment dans deux directions.
En premier lieu, l’intervention des réserves en temps de crise sera d’autant plus performante que leur mode de fonctionnement en période normale sera efficace. C’est particulièrement vrai des réserves militaires. De ce point de vue, je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’aborder une nouvelle étape dans la définition et la gestion d’une réserve militaire plus compacte, plus réactive et mieux formée.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous saisissiez cette occasion pour nous indiquer vos intentions dans ce domaine. Vos prédécesseurs avaient lancé des chantiers sur la définition des besoins, sur le format et l’organisation territoriale des réserves, sur la gestion des ressources humaines. Après le temps de la réflexion, voici venu, nous semble-t-il, le temps de la décision. Les réserves et les réservistes ont besoin de savoir où ils vont, comment ils s’intègrent dans la transformation des armées qui est en cours.
En second lieu, il est nécessaire de renforcer les réserves civiles.
La tentation de recourir aux réserves militaires pour des missions civiles ou celle de fondre les réserves dans une réserve commune de citoyens volontaires résultent, dans une large mesure, de la faiblesse des réserves civiles, de création, il est vrai, beaucoup plus récente. Je pense ici à la réserve sanitaire, qui peine à atteindre les objectifs assignés, ainsi qu’aux réserves communales de sécurité, qu’il convient de relancer. Les retours d’expérience montrent qu’on ne dispose pas, en France, d’une réserve suffisante pour accompagner la montée en puissance d’un plan « pandémie », que ce soit sur le plan médical ou sur le plan administratif.
Notre pays ne dispose pas non plus, comme l’Allemagne, d’une réserve de protection civile susceptible de venir au secours des populations lors de ce que j’appellerai « l’après-après-crise ». Lorsque les secours sont déjà intervenus, les pompiers partis, les projecteurs des médias tournés vers de nouveaux événements, de nombreuses opérations de déblayage et de soutien aux personnes sont nécessaires.
Or, dans cette phase, les services publics sont débordés, les services de secours, qui ont donné toute leur mesure au moment de la crise, considèrent que la situation ne relève plus du secours ni de l’urgence. Dès lors, les victimes de ces catastrophes se trouvent démunies, sans assistance pour dégager les voies de circulation ou vider les maisons dévastées. Certes, les bonnes volontés s’organisent. Mais elles sont parfois peu nombreuses au regard des besoins. Elles sont naturellement peu structurées. Bien sûr, des leaders naturels s’imposent, soit par leur charisme, soit par leurs fonctions, notamment électives. Mais je regrette qu’il n’existe pas, pour cette phase-là, un mode d’organisation structuré qui permettrait de décupler les moyens des services publics en vue d’assurer le retour à la normale.
Or, une des pistes pour répondre à ce besoin est de renforcer les réserves de sécurité civile. C’est pourquoi cette proposition de loi devra, me semble-t-il, être complétée, dans un second temps, par un volet relatif au code général des collectivités territoriales.
Je voudrais, à travers vous, monsieur le ministre de la défense, interpeller votre collègue le ministre de l’intérieur sur la nécessité de réfléchir à l’opportunité de plusieurs mesures : l’instauration d’une obligation, pour les plans communaux de sauvegarde, de comporter un volet relatif aux réserves communales de sécurité civile ; la création de réserves départementales de sécurité civile, d’autant plus souhaitable depuis que les effectifs des directions départementales de l’équipement ont été transférées au département ; la possibilité de rémunérer les réservistes communaux au même titre que les autres réservistes.
Je suggère par ailleurs, au vu des retours d’expérience des tempêtes Martin, Klaus et Xynthia, d’engager une réflexion sur la mise en place d’une réserve de protection civile destinée à renforcer les moyens des préfectures. Ces dernières ont besoin de renforts pour le suivi et la gestion des crises, sur le modèle de ce qui est fait dans les états-majors militaires. Une piste serait d’ouvrir cette réserve aux pompiers professionnels retraités.
J’invite donc le ministère de l’intérieur à se saisir de ce dossier, au titre de ses compétences en matière de collectivités locales, mais également de conduite et de planification de la gestion des situations de crise sur le territoire national.
En attendant, je souhaite que ce texte apporte une modeste contribution, venant s’ajouter à l’ensemble des mesures prises à la suite de la parution du Livre blanc pour améliorer la capacité de la France à répondre à des crises tant sur la scène internationale que sur le territoire national. Je crois qu’il peut être utile pour accroître la capacité du pays et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure.
C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, en mon nom et en celui de Mme Garriaud-Maylam, de bien vouloir voter ce texte.