Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souscris totalement à la présentation faite par M. Michel Boutant de la proposition de loi dont il est l’auteur avec Mme Joëlle Garriaud-Maylam, ainsi qu’aux observations extrêmement justes et convaincues de M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Il s’agit d’un travail parlementaire né de la volonté d’aller plus loin sur une piste qui avait été ouverte par le Livre blanc, mais dont toutes les implications n’avaient pas été examinées dans le détail.
Le Gouvernement soutient totalement cette démarche et accepte bien volontiers les pistes de réflexion qui ont été ouvertes tant par M. Boutant que par M. de Rohan, même si je ne suis peut-être pas en mesure d’apporter ce soir toutes les réponses qu’ils attendent.
Avant d’évoquer les problèmes, je voudrais, au nom des pouvoirs publics, rendre hommage aux 33 000 réservistes qui se sont engagés volontairement dans une action civique, citoyenne, altruiste, au bénéfice de la collectivité tout entière, et qui relèvent, pour l’immense majorité d’entre eux, du ministère que j’ai l’honneur de diriger.
Le Gouvernement soutient ce texte parce qu’il est équilibré et réaliste. S’il n’épuise pas le sujet en totalité, il nous permet de progresser utilement.
Son dispositif est réaliste, parce qu’il place les réservistes sous l’autorité des ministères concernés, le décret permettant leur mobilisation étant bien entendu pris par le Premier ministre.
En outre, il mettra fin à une conception héritée du passé, selon laquelle les réservistes ne pouvaient être mobilisés qu’en cas d’engagement militaire extrême. Désormais, il pourra également être fait appel à eux en cas de catastrophe naturelle, aucune forme de passivité ou de résignation n’étant plus tolérée dans de telles circonstances où l’État et les ministères compétents doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires. Cette proposition de loi permettra de compléter ces moyens par la mobilisation des réservistes.
Cela étant, monsieur de Rohan, les entreprises assurant la continuité d’un service public devront en effet pouvoir conserver leurs salariés.
Le dispositif proposé est également équilibré. Vous avez évoqué, monsieur le président de la commission, les relations avec l’employeur et la possibilité d’établir un contrat tripartite. Il s’agit effectivement d’une voie qui mérite d’être explorée. Vous avez raison de ne pas chercher pour l’heure à imposer cette solution, car le monde de l’entreprise n’y est pas préparé et la ressentirait peut-être, par manque d’explication, comme une nouvelle contrainte. Assurément, précipiter les choses ne serait pas rendre service à nos réservistes, dont un tiers sont des salariés du secteur privé. Pour autant, cette question mérite d’être soulevée.
Conformément au principe de la continuité républicaine, je reprends un dossier que mes prédécesseurs ont suivi. Si la commission a travaillé en partenariat avec le Secrétariat général de la défense nationale, le ministère, de son côté, s’est efforcé d’approfondir les pistes de réflexion ouvertes par le Livreblanc, en commandant trois études.
Une première étude, confiée à l’état-major des armées, a trait à la doctrine d’emploi et aux missions de la réserve opérationnelle.
Une deuxième étude porte très directement sur la question des réserves disponibles et de la règle des cinq ans, laquelle mérite manifestement d’être réexaminée.
Enfin, le Contrôle général des armées doit présenter des propositions sur la gouvernance et la gestion de la réserve militaire proprement dite, tandis que l’Inspection générale des armées se penchera sur la réserve citoyenne, question plus générale qui dépasse la compétence de mon seul ministère.
Ces travaux ayant commencé bien avant que je ne prenne mes fonctions, je peux prendre devant vous l’engagement que les conclusions de ces différentes études seront présentées avant la fin du mois de mai prochain, peut-être à l’occasion de la journée nationale du réserviste, le 4 mai.
D’ores et déjà, monsieur Boutant, je puis vous indiquer que, sur proposition de l’état-major des armées, le ministère lancera dès cet été une expérimentation portant sur la mise en place d’unités élémentaires de réserve employables sur le territoire national en cas de crise majeure de nature civile. Constituées chacune d’une centaine de réservistes militaires opérationnels, elles seront mises à la disposition des délégués militaires départementaux. Elles seront organisées par les états-majors des zones de défense, qui, comme vous l’avez rappelé à juste titre tout à l’heure, sont eux-mêmes composés majoritairement de réservistes. À l’échelon de chaque zone de défense, nous allons nous efforcer d’identifier, parmi les réservistes, ceux qui sont le plus opérationnels, à travers une analyse des situations individuelles. Ces réservistes seront alors placés sous l’autorité des délégués militaires départementaux.
Il est important de rappeler que ces réservistes militaires opérationnels continueront à exercer le mandat initial de leur engagement, l’emploi d’un réserviste militaire à temps partiel devant être de même nature que celui de son compagnon d’active.
Concernant les entreprises du secteur privé qui emploient des réservistes, vous avez sagement demandé à la commission, monsieur de Rohan, de ne pas envisager, pour l’heure, d’instituer un dispositif fiscal tel qu’un crédit d’impôt ou une formule de mécénat, considérant qu’une telle mesure doit être discutée dans le cadre de l’élaboration de la loi de finances.
Vous craignez en outre que certains employeurs ne dissuadent leurs salariés de s’engager en tant que réservistes, ces derniers ayant déjà souvent tendance à rester discrets sur leur qualité.
Conscients de cette difficulté, nous allons mettre en place une politique de communication active en direction des entreprises pour valoriser le label « Partenaire de la défense nationale ». Aujourd’hui, si 313 entreprises peuvent déjà s’en prévaloir, il faut admettre que ce label n’est pas suffisamment connu. Le 4 mai prochain, nous mettrons donc en valeur, à l’occasion de la journée nationale du réserviste, les employeurs privés les plus innovants et les plus actifs en la matière, en créant un prix de l’« entreprise réserviste » qui récompensera deux entreprises, une grande et une petite.
Par ailleurs, nous élaborons avec trois grandes entreprises, MBDA, EADS et GDF-Suez, des conventions concernant l’emploi des salariés réservistes engagés dans des opérations extérieures.
Monsieur le président de la commission, la question n’est pas, en effet, de faire du chiffre : il convient de privilégier la qualité. Notre politique des réserves n’a de sens que si ceux qui s’engagent ont le sentiment d’être utilisés et mobilisés dans des fonctions qui correspondent à leurs qualifications et dans des dispositifs pour lesquels ils ont été préparés et formés.
Je rappelle cependant que nous avions un objectif d’un million de jours d’activité par an pour les réservistes. Si nous atteignons le seuil de 40 000 réservistes – 33 000 sont aujourd’hui en activité –, nous pourrons financer vingt-cinq journées d’activité par an et par réserviste en moyenne, une part significative de celles-ci étant effectuées durant les congés. Nous avons la possibilité de trouver un équilibre entre l’accroissement de l’effectif des réservistes et le maintien d’un niveau suffisant d’activité pour chacun d’entre eux.
À cet égard, monsieur le président de la commission, vous avez indiqué que 60 % des réservistes qui ne renouvellent pas leur contrat ont effectué moins de cinq jours d’activité au cours de la dernière année. Ce chiffre m’interpelle, car il témoigne que nombre de bonnes volontés ne sont pas mobilisées. Nous allons creuser cette question et tenter d’apporter des réponses, notamment le 4 mai prochain.
Vous avez également évoqué à très juste titre la lourdeur des procédures. Nous vivons aujourd’hui dans une société de l’instantané : d’un « double-clic », on peut acheter à peu près n’importe quoi – et s’endetter d’une façon irresponsable ! Nous devons faire en sorte que les soldes des réservistes soient payées plus rapidement, d’autant que des crédits sont disponibles. Ce serait la moindre des choses !
En conclusion, je voudrais indiquer à M. Boutant que le travail qu’il a accompli avec Mme Garriaud-Maylam est soutenu par le Gouvernement et que nous allons approfondir le sujet.
Monsieur le président de la commission, nous connaissons tous vos convictions patriotiques et partageons votre sentiment qu’une collectivité ne saurait être une somme d’individualités indifférentes à l’intérêt commun. L’engagement est nécessaire, dans une association, dans la vie locale ou dans la réserve. Faisons en sorte que les réservistes n’aient plus à cacher leur engagement à leur employeur, public ou privé, comme s’il s’agissait d’une sorte de hobby inavouable ! Cet engagement doit être au contraire une forte et fière expression d’un sens particulièrement aigu de la collectivité. Pour que celle-ci puisse vivre, il est indispensable qu’une minorité de citoyens acceptent de se dévouer pour faire face aux défis que constituent les catastrophes naturelles ou prolonger l’effort de défense au côté des militaires de carrière.