Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques survenus au Japon nous incitent à réfléchir au rôle que les réserves militaires et civiles pourraient jouer, en France, dans l’organisation des secours en cas de crise majeure. En l’occurrence, la catastrophe technologique qui a succédé à la catastrophe naturelle a révélé une relative impréparation des autorités gouvernementales et de l’exploitant nucléaire pour faire face à une telle situation.
Dans leur excellent rapport d’information, nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant ont brossé un tableau exhaustif et lucide de l’état réel de nos différentes catégories de réserves. Il ressort clairement de ce bilan sans complaisance que la composition et l’organisation actuelles de nos réserves ne leur permettraient pas de réagir rapidement ni d’être opérationnelles dans ce type de situation. En filigrane est posée la question suivante : à quoi servent aujourd’hui nos réserves ?
La proposition de loi que nous examinons reprend quelques-unes des préconisations de ce rapport et a pour ambition d’améliorer le dispositif des réserves.
Malheureusement, je constate que, contrairement au rapport, les solutions qui nous sont proposées ne tiennent pas compte de l’état réel des réserves. Je doute qu’elles permettent de les rendre plus efficaces.
Par ailleurs, cette proposition de loi est ambiguë. Elle s’appuie en effet sur des missions et des effectifs théoriques pour anticiper des crises aux contours mal définis.
En outre, au nom du nouveau concept élaboré dans le Livre blanc, qui amalgame les notions de défense et de sécurité, elle prévoit une utilisation sans discernement de réserves aux vocations différentes. C’est l’un des objectifs principaux de ce texte, dont l’article 2 précise que les membres de la réserve opérationnelle militaire font partie intégrante du dispositif de réserve de sécurité nationale créé par la proposition de loi.
Cela aboutit ainsi très clairement à mettre sur le même plan les réserves militaires et les réserves civiles, sans que les besoins aient été préalablement identifiés ni les missions précisées.
Certes, comme l’indique le rapporteur, en vertu de ce que l’on appelle désormais le « continuum » entre la sécurité et la défense, la frontière entre les missions de protection civile et celles de protection militaire est devenue floue ou « ténue », pour reprendre son expression.
Je suis en désaccord avec une telle conception. En effet, la mise en œuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale élaborée au travers du Livre blanc, qui a pour conséquence une diminution du format de nos armées, donne une priorité à la gestion des crises avec tous les moyens de sécurité intérieure et de sécurité civile.
La place et le rôle que devrait alors tenir la réserve opérationnelle militaire ne sont pas sérieusement envisagés. Je n’évoque même pas la folklorique réserve citoyenne, deuxième composante de la réserve militaire…
Il me semble ainsi que le principal objectif de cette proposition de loi, faisant suite au constat de l’inexistence de réserves civiles, est tout simplement de faciliter l’utilisation de réserves militaires pour des actions civiles dans des situations exceptionnelles, ce qui ne correspond pas à la vocation première de ces réserves.
Par ailleurs, la proposition de loi de nos collègues tire implicitement les conséquences d’un autre constat.
Nos dispositifs de sécurité et de secours ont été, en théorie, conçus pour fonctionner sans l’apport de réserves. Nous savons tous qu’il est toujours fait appel aux forces militaires d’active dans les situations de crise importante. Ainsi, les régiments du génie apportent régulièrement leur concours aux populations civiles, comme ils l’ont fait par exemple lors de la grande tempête de 1999 ou de la tempête Xynthia.
Par conséquent, prévoir que les quelques réservistes de ces régiments interviendront désormais sur la base de l’obligation, et non plus du volontariat, ne changera pas fondamentalement la situation des réserves.
En revanche, la mise en œuvre de la politique de révision générale des politiques publiques, qui a provoqué une diminution parfois drastique des effectifs des forces d’active des armées et des services de sécurité et de secours, risque d’imposer le recours à des apports extérieurs pour faire face à certaines situations.
Cette tendance à la diminution des effectifs s’accentuera avec la politique aveugle de réduction à tout prix des déficits publics qui est menée. Ainsi, si les procédures du plan ORSEC sont excellentes, leur mise en œuvre risque d’être d’une efficacité limitée, faute de moyens humains et matériels suffisants.
Cette proposition de loi vise donc aussi à prévenir, grâce à des palliatifs, notamment le recours à des supplétifs, les défaillances éventuelles de nos services publics de secours.
Ce texte n’est pas à la hauteur de la profonde révision de la politique des réserves évoquée dans le rapport d’information et par notre rapporteur.
Cette révision devrait concerner tout particulièrement la réserve opérationnelle militaire, qui seule, en l’état actuel des choses, serait à même de fournir, en situation de crise, des réservistes formés et entrainés. Or la réflexion sur son format, la réalité de son emploi et la définition de ses missions n’est pas actualisée. Son format est prioritairement conçu en fonction de critères budgétaires et de prévisions de recrutement, avant même toute estimation des besoins qualitatifs et quantitatifs des armées pour mener à bien leurs activités habituelles ou leurs interventions en situation de crise.
L’insuffisance des moyens que l’État consacre à la réserve opérationnelle militaire montre d’ailleurs qu’elle n’est pas vraiment considérée comme une composante à part entière et nécessaire des armées.
Ainsi que le soulignait fort justement le rapport d’information de nos collègues, les moyens affectés aux réserves militaires ne permettront pas, si le Gouvernement poursuit son action à ce rythme, d’atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation militaire au titre du Livre blanc : disposer, en fin de programmation, de 40 000 réservistes opérationnels, qui accompliraient des périodes d’activité pour un total de vingt-cinq jours par an.
Or, contrairement aux prévisions sur la montée en puissance de la réserve opérationnelle, nos armées avaient perdu, au début de l’année 2010, 1 269 réservistes par rapport à 2009, et la gendarmerie 549. Cette diminution est essentiellement due à des départs et à des non-renouvellements de contrat.
Eu égard à ce constat, il est d’autant plus nécessaire que l’institution et le Gouvernement s’interrogent rapidement sur les besoins, le format des réserves et l’état d’esprit des réservistes.
La dotation prévue dans la loi de finances a tout juste permis de maintenir un effort budgétaire pourtant déjà insuffisant. Pourra-t-elle vraiment permettre d’atteindre cette année une durée moyenne d’activité de nos réservistes de vingt-deux jours ?
C’est un minimum, car le maintien d’un taux d’activité suffisant, qui doit bien sûr être différencié suivant l’emploi et les unités, est une condition essentielle pour que la valeur des réserves militaires soit réelle et reconnue.
Je sais, monsieur le ministre, que cette réflexion sur la politique des réserves militaires est engagée et que la commission aura bientôt à débattre de ce sujet.
C’est pourquoi je m’interroge sur l’utilité réelle des mesures présentées dans le texte que nous examinons.
Dans la pratique, ces mesures seront d’une portée très limitée, sauf d’un point de vue juridique, car elles n’amélioreront aucunement la situation des réservistes militaires opérationnels, qui, j’y insiste, sont les seuls à avoir une activité réelle et régulière.
Je pense donc que le seul mérite de cette proposition de loi est d’appeler l’attention sur la nécessité de disposer de forces de réserve pour pallier les défaillances éventuelles de nos services publics de sécurité et de secours dans une situation de crise exceptionnelle. Elle a pour principal défaut d’envisager des hypothèses sur le fondement de situations tout à fait théoriques.
Tout est suspendu à une réflexion plus globale sur le rôle et la place de l’ensemble des réserves, concernant évidemment les réserves militaires, mais aussi la réserve de la police nationale, qui est en train de changer de nature depuis l’adoption de la seconde loi sur la sécurité intérieure, ou encore les fantomatiques réserves communales de sécurité civile, sans même parler de la réserve sanitaire ou de la réserve pénitentiaire, qui restent à créer.
Nous avons tous conscience ici que l’organisation de la réserve militaire et du service de défense, après la réforme du service national de 1997, qui a suspendu la conscription, ne correspond plus à la réalité et aux nouvelles missions.
Le texte issu des travaux de la commission, à la suite de l’adoption des amendements de M. de Rohan, vise dans un premier temps à apporter une réponse juridique en rénovant l’ensemble du dispositif des réserves. À cette fin, il tend à améliorer celui-ci en coordonnant un service de défense, qui pourrait mieux fonctionner, avec un dispositif de sécurité nationale qui n’existe encore que sur le papier.
Or, tant que les réserves militaires n’auront pas été repensées et que des forces de réserve civiles n’auront pas vu le jour, nous légiférerons sur du virtuel.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG s’abstiendra sur cette proposition de loi.