Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’une coproduction législative rare et remarquable.
Le travail effectué par Mme Garriaud-Maylam et M. Boutant sur la situation de nos réserves a abouti à l’élaboration du rapport d’information adopté par notre commission en décembre dernier. Ce document est à l’origine de la présente proposition de loi, qui définit, pour les réserves, un régime spécifique aux cas de crise majeure, qu’il reviendrait, le cas échéant, au Premier ministre de déclencher par décret.
Le texte offre aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un nouveau régime juridique afin de mobiliser des forces de réserve, dans un délai plus rapide et pour une période plus longue que ce qui est prévu dans le cadre des activités programmées des réservistes.
La présentation et l’illustration de la proposition de loi déjà faites par MM. Boutant et de Rohan me dispensent de vanter à mon tour ses qualités.
Nous soutenons les préconisations de bon sens figurant dans le rapport de nos collègues.
Nous approuvons le contenu de la proposition de loi, somme toute assez modeste au regard du vaste chantier ouvert par M. Boutant et Mme Garriaud-Maylam. Le Gouvernement lui-même a soutenu ce texte législatif et l’a, si j’ose dire, parrainé.
Le diagnostic posé par les auteurs du rapport est très clair : dix années après la réforme des réserves militaires et quelques années après l’émergence des réserves civiles, beaucoup reste à faire pour qu’elles soient opérationnelles et efficaces.
Je fais mienne la remarque suivante, formulée par M. de Rohan lors de l’examen de la proposition de loi en commission : « Ce texte doit s’accompagner d’une révision de la politique des réserves. »
En conséquence, mon propos s’adresse en particulier au ministre de la défense.
Monsieur le ministre, les observations et les interrogations du groupe socialiste que je vais maintenant exposer méritent votre attention et appellent des réponses de votre part.
En premier lieu, je ne m’attarderai pas sur le concept quelque peu nébuleux de « continuum sécurité-défense » sacralisé par le dernier Livre blanc et qui sera, de toute façon, remis en débat à l’occasion de la prochaine révision de ce même document, dont la réécriture est devenue inévitable au regard des derniers événements internationaux survenus, y compris dans l’environnement de sécurité qui nous est le plus proche : la Méditerranée et l’Afrique.
Sa révision est aussi devenue incontournable en raison de l’état lamentable des finances publiques, dont le Gouvernement porte la responsabilité… Je n’y insiste pas, mais cette question devra dans quelques mois être abordée in extenso, y compris au sein de notre commission.
En deuxième lieu, les réserves, civiles et militaires, doivent être utiles et utilisées en cas de crise grave. Toutefois, il faudrait aussi qu’une doctrine d’emploi soit explicitée et discutée publiquement. Elle fait défaut actuellement. Quel sera le rôle des réservistes en cas de crise majeure ? Dans quelle hypothèse doivent-ils être utilisés ? Quelle est donc la doctrine d’emploi ? Dans le domaine militaire et surtout dans le domaine civil, des éclaircissements sont nécessaires.
En troisième lieu, à l’heure actuelle, l’État, incapable d’assumer certaines de ses fonctions, y compris régaliennes, est tenté de faire appel aux réservistes pour pallier ses carences. La réponse aux méfaits de la révision générale des politiques publiques se trouve-t-elle dans l’utilisation de la réserve ? Je le dis tout de go : si c’est de cela qu’il s’agit, c’est une mauvaise réponse.
Les militaires forment plus de 90 % des effectifs des réservistes. Dans la gendarmerie, ils sont déjà indispensables au bon fonctionnement de la force. Il y a aussi les réserves civiles, constituées plus récemment : réserve de la police, réserve sanitaire ou réserve communale de sécurité civile. Ces réserves civiles sont-elles destinées exclusivement à constituer un renfort ponctuel en cas de crise grave ou très grave, ou s’agit-il de les utiliser en tant que forces d’appoint, qui viendraient suppléer un État devenu squelettique ?
Ce n’est pas la même chose. Or, dans le contexte actuel de diminution des effectifs des forces d’active des armées, mais aussi, et surtout, de ceux des services de sécurité et de secours, l’État est obligé d’avoir recours à des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. Cependant, l’état actuel de nos réserves – le rapport de nos collègues le montre clairement – ne permet pas de faire face convenablement aux besoins.
Voilà une nouvelle illustration de la nécessité de remettre à plat la politique des réserves.
Ma quatrième remarque découle des précédentes et concerne le nerf de la guerre, c’est-à-dire le budget octroyé aux réserves.
Tout juste suffisant pour la réserve militaire actuelle, ce budget sera, à défaut de modification en cours de route, rapidement dépassé si le contrat sur les réserves contenu dans le Livre blanc est respecté par le Gouvernement.
Si l’on entend disposer de réserves civiles et militaires aptes, bien formées, opérationnelles et rapidement mobilisables, il faudra établir un budget ad hoc et le respecter.
Une autre question se pose : est-ce au ministère de la défense d’assumer ce coût, tout ce coût ?
Dès lors que la réserve pourra être sollicitée pour des impératifs autres que ceux de défense, que la sécurité civile sera de plus en plus concernée, que les réserves sanitaires et communales se développeront, ne serait-il pas envisageable, ainsi que je l’ai proposé en commission, de négocier avec le ministère du budget, comme cela fut le cas pour les OPEX, une ligne spécifique, hors budget de la défense ? Comment, monsieur le ministre, comptez-vous financer cette floraison de réserves ?
Telles sont, mes chers collègues, nos réflexions et nos interrogations sur cette proposition de loi. Le groupe socialiste votera bien sûr ce texte, qui constitue malgré tout un premier pas. Je remercie nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant d’avoir fait œuvre de pionniers en ouvrant le chantier du renouveau de la réserve dans notre pays.