Intervention de Dominique Braye

Réunion du 30 mars 2011 à 22h45
Urbanisme commercial — Discussion générale

Photo de Dominique BrayeDominique Braye, rapporteur :

La difficulté à réaliser une intégration harmonieuse du commerce sur nos territoires, ancienne, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, et l’incapacité que nous avons eue à résoudre ce problème doivent certes, comme vous le préconisez, nous pousser à rester modestes, mais doivent surtout nous contraindre à faire enfin preuve de volonté et de détermination, et à refuser les demi-mesures pour régler ce problème de société qui dégrade profondément la qualité de vie dans un très grand nombre de nos villes, petites et moyennes.

Le texte adopté au mois de décembre dernier par la commission de l’économie peut devenir l’outil dont nous avons besoin pour bâtir enfin une politique de régulation des implantations commerciales ambitieuse, novatrice et efficace. Il y a urgence, et je ne crois pas que le Sénat soit prêt à adopter un texte que l’on aurait vidé de sa substance et qui ne serait pas à la hauteur des enjeux !

Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France, qui se targuait autrefois, à défaut de pétrole, d’avoir des idées, serait-elle incapable de régler un problème que de très nombreux pays européens ont résolu depuis fort longtemps ? Allez donc au Danemark ou dans d’autres pays du Nord et vous verrez ce que sont des villes où il fait bon vivre, où l’on peut se déplacer en vélo même quand il pleut et où les commerces, les bureaux et l’habitat ne sont pas séparés.

Je dirai quelques mots pour présenter brièvement la philosophie et le contenu du texte en discussion ce soir.

Il faut avant tout être conscient que le respect du droit européen impose désormais d’abandonner les objectifs de nature économique. Vous le constatez, monsieur le secrétaire d’État, nous trouvons des points d’accord. On ne peut plus aujourd’hui restreindre les implantations commerciales sur la base de « tests économiques » cherchant à apprécier l’impact sur le commerce de l’arrivée de nouveaux concurrents. Il n’est plus possible non plus de discriminer les commerces selon leur format ou leur « concept ». Seules les exigences relevant de l’aménagement du territoire sont recevables.

Encore faut-il que les restrictions à la liberté d’implantation imposées au nom de ces exigences soient non discriminatoires et qu’elles restent proportionnées aux objectifs recherchés. La Commission européenne, qui suit ce dossier de près, sera très sourcilleuse sur toutes ces questions, notamment celle des seuils de surface, mais j’y reviendrai.

En cohérence avec son souci de fonder l’urbanisme commercial exclusivement sur des exigences d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la présente proposition de loi réalise l’intégration de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme. Désormais, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, une seule autorisation d’urbanisme – le permis de construire, le permis d’aménager ou la déclaration préalable selon la nature du projet – sera nécessaire. Cela permettra une simplification et donc une accélération des procédures d’autorisation.

Pour réaliser cette intégration, le texte s’appuie sur les schémas de cohérence territoriale. Ces derniers devront être complétés dans un délai de trois ans par un document d’aménagement commercial, le DAC, qui sera le volet « commerce » du SCOT. La disposition votée dans le Grenelle de l’environnement, sur l’initiative du président Emorine, qui tend à généraliser les SCOT sur l’ensemble du territoire national, devrait permettre à terme à tous les territoires de disposer d’un outil d’aménagement commercial.

À travers le DAC, le SCOT définira tout d’abord quels sont les objectifs d’aménagement du territoire avec lesquels les implantations commerciales devront être compatibles.

Le DAC délimitera ensuite précisément des secteurs d’implantation.

Dans les centralités urbaines, les implantations, quelle que soit leur surface, seront réglementées par le plan local d’urbanisme sans que le SCOT puisse imposer des prescriptions ou des limitations. En un mot, dans les centralités urbaines ou de quartier, que vous aurez délimitées, mes chers collègues, les installations seront complètement libres, à condition de respecter les règles d’urbanisme. Dans les secteurs périphériques, les implantations commerciales de grande taille pourront être autorisées par le DAC seulement sous réserve de respecter les conditions fixées par ce document. Partout ailleurs, les implantations de plus de mille mètres carrés seront interdites.

Les règles fixées par le DAC s’imposeront ensuite aux demandes d’autorisations individuelles. Lorsqu’il existera un PLU compatible avec le document d’aménagement commercial, le permis de construire sera délivré en conformité avec ce plan. En l’absence de PLU, ou bien s’il existe un PLU qui n’a pas encore été rendu compatible avec le document d’aménagement commercial, celui-ci sera directement opposable aux demandes d’autorisations individuelles. C’est ce cas de figure qui impose, chère Valérie Létard – je le dis pour anticiper la discussion qui aura lieu lors de l’examen des amendements –, que le DAC soit suffisamment précis, notamment dans son zonage. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Enfin, dans la période transitoire au cours de laquelle les DAC seront élaborés, des commissions régionales d’aménagement commercial, les CRAC, devraient donner leur accord préalable à la délivrance des permis de construire pour les implantations de plus de mille mètres carrés. Les critères de décisions de ces CRAC, majoritairement composées d’élus, seront plus stricts que ceux des actuelles CDAC.

Voilà, à grands traits, la logique de ce texte, qui introduit un bouleversement assez profond dans le contrôle des implantations commerciales – la situation dans notre pays le justifie – et qui a un impact fort sur les relations entre les documents d’urbanisme et les procédures de délivrance des autorisations individuelles.

Je veux maintenant dire quelques mots afin de préciser les grands principes qui guideront mes prises de position sur les deux principaux enjeux du texte dont nous allons débattre.

Premier enjeu : le régime de transition. Dans l’attente de la généralisation des DAC, le Gouvernement souhaiterait prolonger les actuelles CDAC plutôt que de créer les CRAC. Or, depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie, voilà un plus de deux ans, on a vu que plus de 4 millions de mètres carrés d’implantations commerciales ont été autorisés en 2009 et plus de 4, 1 millions de mètres carrés en 2010. Ce constat nous impose d’intervenir rapidement. C’est notamment la raison pour laquelle la commission de l’économie estime que la prolongation des CDAC présente des inconvénients majeurs.

En premier lieu, je le rappelle, le principe fondamental du présent texte est d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme. Or le maintien des CDAC reviendrait à conserver, pour de nombreuses années encore, la dichotomie entre code de commerce et code de l’urbanisme. Vous avez là le contraire de ce que vous m’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Où est la cohérence de ce texte dont vous avez parlé dans votre intervention si, d’un côté, on claironne qu’il est nécessaire d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme et que, de l’autre, on maintient encore pendant au moins cinq ans un régime basé sur le commerce et l’économie et qui, tout le monde le reconnaît, est à bout de souffle ?

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