Intervention de Dominique Braye

Réunion du 30 mars 2011 à 22h45
Urbanisme commercial — Discussion générale

Photo de Dominique BrayeDominique Braye, rapporteur :

Deuxième gros enjeu de nos débats : la question de la typologie des secteurs d’activité commerciale.

Je crois utile, pour comprendre pourquoi cette disposition a été intégrée dans le texte, de retracer le cheminement qui m’a conduit à la proposer.

Comme je l’ai déjà indiqué, les implantations commerciales seront autorisées à l’avenir, comme l’a très bien dit M. le secrétaire d’État, par une décision de conformité du permis de construire avec les documents d’urbanisme. « Décision de conformité », cela signifie que le maire devra se borner à vérifier si le projet qui lui est soumis satisfait aux règles objectives des documents d’urbanisme.

Personnellement, cela me convient, mais à une seule condition : les DAC devront disposer d’outils assez forts pour réguler les implantations commerciales. Sans ces capacités prescriptives fortes, les documents d’aménagement commercial ne seront en effet rien d’autre que des machines à délivrer sans réserve des permis de construire et donc des autorisations d’implantations de commerce. Si nous devions remplacer les CDAC et la CNAC par des DAC du même acabit, l’opération n’aurait aucun intérêt. Je dirai même qu’elle serait plus nuisible que le système actuel dans lequel les élus ont encore un peu la possibilité de se prononcer à travers les CDAC.

En effet, les CDAC, malgré toutes les critiques dont elles font l’objet, restent un lieu qui permet aux élus d’exprimer leurs opinions sur les implantations commerciales et, le cas échéant, de s’opposer à celles qu’ils jugent néfastes pour la structuration de leur territoire. La disparition des CDAC ne doit donc pas se faire sans avoir la garantie que les élus locaux gagneront avec le nouveau régime un meilleur pouvoir de régulation.

Or, après avoir étudié longuement le texte voté par les députés en première lecture, et en accord avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, j’ai bien dû constater que rien, absolument rien, dans la boîte à outils du DAC, ne lui permettait de renforcer le pouvoir de contrôle des élus et d’empêcher la poursuite de la dévitalisation des centres-villes. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé à la commission de l’économie d’encadrer les conditions susceptibles d’être fixées par le DAC. Cet encadrement ne pouvait, si l’on y réfléchit, se faire que selon deux voies.

La première est celle de l’abaissement des seuils de surface. La commission de l’économie a partiellement suivi ce chemin en exprimant, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État – vous voyez que nous avons de nombreux points d’accord –, ces seuils en SHON plutôt qu’en surface de vente, ce qui correspond à une baisse des seuils de 20 % environ.

Je n’ai pas proposé à la commission d’aller plus loin dans cette direction pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, s’il suffisait d’abaisser les seuils pour réguler efficacement les implantations commerciales, cela se saurait. Nous avions des seuils de 300 mètres carrés avant 2008 et notre urbanisme commercial n’en est pas moins dans un état déplorable. Je pense donc que la régulation par les seuils est dans l’ensemble peu efficace.

Ensuite, un abaissement excessif des seuils est contraire au droit européen. Revenir à des seuils de 300 mètres carrés ou de 500 mètres carrés, ce serait clairement, pour l’Europe, franchir la ligne jaune.

Enfin, le relèvement des seuils par la loi LME n’a pas eu que des effets négatifs, au moins pour les centres-villes, chère Élisabeth Lamure. Nous connaissons tous des exemples d’implantations commerciales de moyenne surface en centre-ville qui sont devenues de véritables petites locomotives, continuant ainsi à animer des secteurs urbains qui avaient tendance à péricliter.

Compte tenu des limites inhérentes à la régulation par les seuils de surface, j’ai souhaité proposer une voie alternative, plus novatrice, en l’occurrence une régulation des implantations sur la base d’une typologie des secteurs d’activité commerciale.

Le texte adopté par la commission prévoit que le DAC pourra poser, dans les secteurs périphériques, des règles de localisation différentes selon la catégorie de commerce considérée : alimentation, équipement de la personne, équipement de la maison, loisir-culture. Cet outil permettra aux élus de réserver ou de limiter les secteurs géographiques périphériques aux commerces qui porteraient atteinte à la vitalité des centres-villes.

De toute façon, tout le monde le sait, mes chers collègues, s’installer en périphérie coûte moins cher, car les charges foncières y sont moins importantes, l’accessibilité y est meilleure grâce à la présence de nombreux parkings et les bénéfices sont plus élevés. Ceux qui ne saisiraient pas cette opportunité de s’installer en périphérie seraient donc de très mauvais entrepreneurs. En l’acceptant, ils sont dans leur rôle. Le nôtre, c’est de réguler. En effet, la finalité n’est pas de favoriser le bénéfice de ces commerçants, même s’il doit exister, mais d’éviter que leur activité ne se fasse au détriment des centres-villes.

La disposition en cause, novatrice, a été adoptée à l’unanimité par la commission de l’économie, qui l’a estimée fondamentale.

Cela n’empêche pas certains acteurs, qui voudraient pouvoir continuer à développer de façon totalement anarchique les bâtiments commerciaux, d’émettre à son égard certaines critiques, à mon sens infondées ou exagérées, auxquelles je souhaite répondre.

Certains lui reprochent d’être contraire à la liberté d’établissement. Il y a sur ce sujet beaucoup de confusion. La typologie permet certes, éventuellement, d’interdire l’installation de commerces d’un certain type à tel endroit précis, mais en aucun cas de leur fermer l’accès à la zone de chalandise.

Juridiquement, le seul critère pertinent pour juger du respect de la liberté d’établissement est celui-ci : les contraintes imposées à cette liberté restent-elles proportionnées à l’objectif recherché ? La réponse est sans conteste « oui ».

En effet, l’utilisation de la typologie est purement facultative ; la liberté d’implantation des commerces ne peut être bridée que dans des zones géographiques bien délimitées – les secteurs périphériques déterminés par le DAC – puisque la typologie ne s’applique pas ailleurs ; les contraintes imposées concernent uniquement les commerces d’au moins 1 000 mètres carrés, la typologie ne s’appliquant pas en deçà de ce seuil ; enfin, le renforcement de la régulation en périphérie est compensé par une totale liberté d’implantation dans les centralités urbaines.

La loi concilie donc liberté d’établissement et aménagement du territoire. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, la Commission européenne, consultée sur cette question, n’a pas considéré que la disposition proposée était contraire au droit européen. Elle a même déclaré que le texte qui lui était présenté par Michel Piron, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, et moi-même était « exemplaire et pouvait servir de modèle à d’autres pays européens ».

Autre élément du débat, le Gouvernement s’inquiète des modalités concrètes de mise en œuvre de cette mesure. Il craint, comme toujours, que certains élus ne détournent la typologie pour en faire un outil de régulation de la concurrence et non d’aménagement du territoire.

On doit rappeler d’abord que rien dans la loi n’autorise les élus à faire la police de la concurrence sur le marché local ni à opérer une discrimination entre les enseignes ou les concepts commerciaux. Le permis de construire, qui sert d’autorisation d’implantation, ne le permet pas.

En outre, il est clair que la typologie n’est pas un outil discrétionnaire. Le DAC devra justifier que les conditions restrictives qu’il pose sont proportionnées aux exigences d’aménagement du territoire qu’il fixe. Le juge y veillera le cas échéant et les SCOT trop malthusiens seront annulés au nom de la liberté de commerce. Des DAC ont d’ores et déjà été annulés en France pour ce motif.

Les travaux préparatoires à l’examen du présent texte montrent sans ambiguïté que le principe qui structure ce dernier est bien de concilier la liberté de commerce et l’aménagement du territoire, et non de subordonner l’un à l’autre. C’est sur ce point fondamental, monsieur le secrétaire d’État, que nos vues divergent avec le Gouvernement. Au nom du pouvoir d’achat de nos concitoyens, au moment où le gaz augmente de 9 %, où les produits de base enregistrent d’importantes hausses de prix, il faudrait laisser les promoteurs commerciaux s’installer où ils veulent, comme ils le souhaitent ; nous pensons pour notre part que la situation dans laquelle se trouve notre pays justifie largement l’instauration d’une certaine régulation.

Avant d’en arriver au contentieux, le texte prévoit cependant plusieurs garde-fous pour empêcher les détournements ou les erreurs de conception des DAC.

Ces garanties sont les suivantes : les commerçants seront associés à l’élaboration de ces documents d’urbanisme, de même, mon cher Gérard Cornu, que les chambres consulaires, qui donneront leur avis, comme le prévoit la procédure normale pour un SCOT ou un PLU. La commission régionale d’aménagement commercial sera consultée pendant l’élaboration du DAC. Il convient d’ajouter le contrôle du préfet avant l’entrée en vigueur du SCOT et des mécanismes de modification simplifiée des DAC qui permettront rapidement de rectifier le tir.

Tous ces arguments montrent que la typologie des secteurs d’activité commerciale constitue un outil à la fois efficace et mesuré.

Je le dis en toute franchise, notamment à vous, monsieur le secrétaire d’État, avec qui j’en ai longuement discuté et avec qui j’entretiens des relations plus que cordiales : si vous êtes en mesure de nous proposer une autre solution qui réponde au problème de l’agonie des centres-villes, nous sommes preneurs ! C’est bien parce que l’implantation commerciale sur notre territoire n’a pas été régulée depuis trente-cinq ans que nous sommes parvenus à une situation aussi anarchique. Restons modestes, mais soyons déterminés et volontaires pour y mettre fin !

Je parle naturellement d’une véritable solution, ce que ne comportent pas les nombreuses propositions que vous nous avez faites jusqu’à ce jour, comme le renforcement du droit de préemption ou la hausse de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, en périphérie, qui sont des outils complémentaires certes intéressants, mais très insuffisants, vous le savez, pour régler la question capitale de la désertification des centres des villes moyennes.

La solution que je préconise n’a sans doute pas que des avantages, mais ne pas la présenter reviendrait, j’en suis persuadé, à faire preuve d’un immobilisme coupable, dont je ne voudrais en aucun cas être coresponsable.

Telle est ma lecture de cette proposition de loi. Je suis convaincu que si l’on ne donne pas au DAC les outils puissants que je vous propose d’adopter – à charge pour les élus de les utiliser à bon escient – l’aménagement du territoire sera une fois de plus, et pour longtemps encore, sacrifié. Dans dix ans, la situation sera toujours la même, faute de nous être dotés des moyens adéquats.

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