Monsieur Fouché, vous le savez, la législation française sur l'urbanisme commercial qui a été mise en oeuvre depuis trente ans, c'est-à-dire à partir de la loi Royer, n'a pas prouvé son efficacité. Le texte le plus récent, la loi dite « Raffarin », qui devait assurer une meilleure régulation, n'a pu atteindre cet objectif.
Par exemple, le nombre de mètres carrés demandés chaque année aux CDEC, les commissions départementales d'équipement commercial, est passé de 1, 7 million en 1996, année au cours de laquelle a été adoptée cette loi, à plus de 3, 7 millions en 2005, et le nombre de mètres carrés autorisés chaque année a été multiplié par trois en dix ans, passant de un million en 1996 à 3, 5 millions en 2005.
La prise en compte prioritaire des critères de surface de vente a conduit à multiplier les petites et moyennes surfaces et à constituer des zones commerciales en laissant peu de place aux considérations architecturales esthétiques, paysagères, ou d'aménagement urbain. Certaines entrées de ville ont été défigurées, et ce phénomène ne se limite plus aujourd'hui aux grandes agglomérations, mais affecte aussi toutes les villes moyennes.
L'objectif de la préservation de l'équilibre entre la grande distribution et les petits commerces de centre-ville n'a pas été atteint. La législation a trop souvent conduit à opposer les centres-villes et les périphéries urbaines, là où le développement urbain appelle la mise en oeuvre de coopérations entre ces formes de commerces.
Le dispositif législatif en vigueur n'est pas toujours effectivement appliqué. Les sanctions pénales prévues par la loi sont très rarement mises en oeuvre, notamment en raison de la lourdeur de la procédure judiciaire prévue et des possibilités très larges de régularisation a posteriori offertes aux CDEC.
Enfin, la conformité de la législation française aux règles communautaires se trouve contestée, comme vous l'avez souligné, monsieur Fouché.
À l'issue de deux années d'échanges contradictoires entre la direction générale « Marché intérieur » et mon administration, dans une lettre du 5 juillet 2005, la Commission européenne a établi que certaines dispositions de la loi Raffarin relative à l'équipement commercial n'étaient pas compatibles avec l'article 43 du Traité instituant la Communauté européenne, qui porte sur la liberté d'établissement et la libre prestation de services.
J'ajoute, car ce point est important, que le projet de directive communautaire relative aux services dans le marché intérieur, qui vient d'être adopté par le Parlement européen, conforte la position de la Commission. Il interdit, en particulier, toute procédure consistant à analyser les besoins du marché, alors que la législation française consiste précisément, pour chaque projet, à subordonner l'autorisation de construction à la preuve de l'existence d'une nécessité économique.
La réforme de notre droit ne peut donc se limiter à un ajustement des procédures existantes, comme le prévoit la proposition de loi que vous avez évoquée, monsieur Fouché, et qui a été adoptée par le Sénat le 16 juin 2005.
Les dérives constatées depuis dix ans, la procédure engagée par la Commission européenne en juillet 2005, et surtout l'adoption récente de la directive « Services » appellent un réexamen beaucoup plus important et ambitieux de notre législation.
Il serait contre-productif, alors même que les discussions sur la directive « Services » ne sont pas achevées à Bruxelles, d'engager une réforme partielle et insatisfaisante de notre législation nationale. Le bon ordre à suivre, c'est la discussion et l'adoption de la directive d'abord, sa transposition dans la loi ensuite !
Je crois donc que le calendrier que nous avons retenu est le bon. Dès le 24 octobre dernier, j'ai réuni une commission de modernisation de l'urbanisme commercial, en associant à ses travaux l'ensemble des acteurs concernés.
Monsieur Fouché, vous avez accepté, et je vous en remercie, d'assurer la vice-présidence de cette commission, qui est composée d'élus locaux, de professeurs, d'avocats spécialisés, d'aménageurs, d'architectes, d'urbanistes, de paysagistes, de promoteurs d'immobilier commercial, et de représentants des chambres consulaires, des fédérations du commerce et des associations de défense de l'environnement. Tous ceux qui sont intéressés par ce sujet pourront donc s'exprimer.
Une deuxième réunion a eu lieu le 22 novembre 2006. Je réunirai de nouveau cette commission les 20 décembre et 17 janvier prochains.
Cette commission suivra trois axes de travail : tout d'abord, l'insertion de la procédure d'urbanisme commercial à l'intérieur de la procédure d'urbanisme général, afin d'éviter les incohérences actuelles ; ensuite, la refonte des critères de délivrance des autorisations, qui reposeraient non plus sur l'analyse des besoins du marché, mais sur un schéma de développement commercial qui deviendrait opposable et comporterait des critères d'aménagement du territoire, de développement durable, d'intégration écologique, architecturale, paysagère et sociale ; enfin, la recomposition des instances de délivrance des autorisations.
La proposition de loi adoptée le 16 juin 2005 par le Sénat ne comportait pas ces trois axes, mais était, à mon avis, bonne, et certains de ses éléments, notamment en ce qui concerne les procédures de contrôle administratif des surfaces illicites, pourront utilement être repris. Toutefois, la commission de modernisation de l'urbanisme commercial doit aujourd'hui travailler à une réforme beaucoup profonde.