Intervention de Jean-François Copé

Réunion du 19 décembre 2006 à 21h30
Loi de finances rectificative pour 2006 — Articles additionnels après l'article 34

Jean-François Copé, ministre délégué :

Avant de m'exprimer sur ces amendements, je voudrais dire aux uns et aux autres que, en réalité, le seul rôle, je dis bien le seul, qui m'incombe en l'occurrence, c'est de veiller au respect du droit.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de M. Cambon. Je n'ai pas de jugement de valeur à porter sur les artistes qu'il a cités ; la seule chose qui m'importe, c'est de m'assurer que les dispositifs économiques que nous mettons en oeuvre pour développer et accompagner nos entrepreneurs sont conformes au droit. Si, par malheur, ils ne le sont pas, nous créons deux problèmes.

D'une part, nous soulevons une difficulté avec la Commission européenne en mettant notre pays en infraction par rapport au respect du droit, et, d'autre part, nous créons un second problème avec les entrepreneurs qui ont espéré que cela marcherait et qui vont découvrir que, en réalité, c'est une fausse promesse puisque nous ne sommes pas en mesure de la tenir. Reconnaissez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que la situation n'est pas très simple et que nous devons, de ce point de vue, être un peu vigilants.

Qu'en est-il dans les faits ? Je voudrais le rappeler, tout crédit d'impôt - monsieur Cambon, vous êtes trop fin connaisseur de la chose publique pour ignorer cela -, dès lors qu'il est constitutif d'une aide d'État, doit faire l'objet d'une notification écrite à la Commission européenne, laquelle doit alors répondre pour dire ce qu'elle considère être ou non le droit en la matière.

C'est un point très important, monsieur Cambon, parce qu'on ne peut pas, d'un côté, s'inscrire dans un état de droit, et, de l'autre, faire croire aux acteurs économiques que l'on peut prendre une disposition alors que l'on sait très bien qu'elle est déterminée par le résultat de la décision européenne. Or, de ce point de vue, vous le savez, le Gouvernement n'est pas inactif. Il est au contraire extrêmement engagé. C'est pourquoi je m'étonne un peu de ces amendements.

Comment les choses se sont-elles passées en réalité ?

Le Gouvernement a notifié le projet de crédit d'impôt à la Commission européenne le 16 décembre 2005. Celle-ci a souhaité obtenir des précisions supplémentaires, notamment sur le caractère culturel du jeu vidéo.

Par ailleurs, des rencontres avec les services de la Commission ont également eu lieu, notamment le 17 octobre dernier entre Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture, très engagé au nom de la France sur cette question - Dieu sait si je lui apporte, à titre personnel, tout mon soutien, parce que j'apprécie les jeux vidéo, comme tout père de famille attentif à la modernité, et parce que je souhaite qu'il y ait sur ce marché le plus possible d'entrepreneurs français -, et Neelie Kroes, commissaire européen en charge de la concurrence. Cette dernière a estimé que la nouveauté du sujet pourrait rendre nécessaire l'ouverture d'une procédure formelle d'examen pour permettre à la Commission de mieux analyser le marché et pour savoir si ce dispositif était ou non constitutif d'une aide d'État.

La décision d'ouverture de la procédure d'enquête vient d'être confirmée par la Commission aux autorités françaises le 22 novembre dernier. Cette enquête va durer six mois, et la décision ne sera rendue qu'au printemps.

À partir de là, que doit-on faire ? Faut-il voter une disposition dont on sait très bien qu'elle n'est pas, en l'état, légale, au risque de faire croire aux entrepreneurs qu'elle est applicable ? Que direz-vous, monsieur Cambon, lorsque, les yeux dans les yeux, tel ou tel de ces entrepreneurs vous interrogera ?

Par ailleurs, vous allez placer la France dans une situation un peu délicate vis-à-vis de la Commission européenne. Pouvons-nous imaginer de lui dire : « Vous avez sans doute votre avis, vous nous le donnerez plus tard, mais nous, nous avons déjà décidé » ? On peut d'ailleurs considérer que cela devrait être la bonne formule, mais je rappelle que ce n'est pas comme cela que nous fonctionnons en l'état du droit. On peut le regretter, mais c'est ainsi !

Je voudrais sur ce point, monsieur Cambon, vous faire observer que nous avons été à de nombreuses reprises confrontés à des dilemmes comme celui-là, sur des sujets autrement plus difficiles, à propos desquels nous avons essayé de faire preuve de responsabilité. Je prendrai l'exemple de l'hôtellerie-restauration et de la TVA à 5, 5%.

J'ai le souvenir d'une nuit de débat, à l'Assemblée nationale, sur un amendement présenté par l'un de vos collègues députés et portant sur cette question. Celui-ci souhaitait ni plus ni moins inciter la France à défier la Commission européenne en adoptant une disposition qui, à l'évidence, n'était pas légale : ramener le taux autoritairement à 5, 5 %. Le Gouvernement, à l'époque, s'y était opposé, expliquant que ce serait considéré comme une provocation.

Je crois que, par souci de cohérence, nous devons adopter la même démarche. Sinon, nous risquons d'en subir tous les inconvénients et de n'en retirer aucun avantage.

Je le répète, d'une part, les entrepreneurs croiront que nous avons pris la décision alors que, de fait, elle n'est pas applicable, et, d'autre part, la Commission européenne pensera que nous avons outrepassé nos compétences, feignant de considérer que son avis n'a pas d'importance.

Vous le voyez, à aucun moment, dans cette argumentation, je ne me suis placé sur le fond, parce que, comme vous, je considère que tout cela est plein de bon sens, mais que le fait d'agir sans avoir le droit avec nous fragilise la France.

Ce sujet est suffisamment important et sensible pour que je puisse vous rendre conscients de la difficulté. C'est la raison pour laquelle, dans ce contexte et en conscience, je demande aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer, car, à l'évidence, ils fragiliseraient la position de la France et les relations, par ailleurs excellentes, entre notre ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, et Mme Neelie Kroes, à un moment où elles sont très importantes pour emporter la conviction sur des arguments de fond.

Il est important de gagner cette bataille, mais, à ce stade, ce n'est pas ici qu'il faut la gagner, c'est devant la Commission européenne. C'est dans cet esprit, monsieur Laffitte, monsieur Cambon, que je me place par rapport à votre démarche.

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